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[CRITIQUE] : Viens je t'emmène


Réalisateur : Alain Guiraudie
Avec : Jean-Charles Clichet, Noémie Lvovsky, Iliès Kadri,...
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : 3,2M€
Genre : Comédie.
Nationalité : Français.
Durée : 1h40min.

Synopsis :
A Clermont-Ferrand, Médéric tombe amoureux d’Isadora, une prostituée de 50 ans, mais elle est mariée. Alors que le centre-ville est le théâtre d’une attaque terroriste, Selim, un jeune sans-abri se réfugie dans l’immeuble de Médéric provoquant une paranoïa collective. Tout se complique dans la vie de Médéric, tiraillé entre son empathie pour Sélim et son désir de vivre une liaison avec Isadora.



Critique :


Six ans après Rester Vertical, Alain Guiraudie nous revient en forme avec Viens je t'emmène, une tragi-comédie creusant encore un peu plus le sillon politique et furieusement contemporain de son cinéma, une oeuvre qui n'a peur de rien et encore moins de ses hypothétiques faiblesses.
Migrant de la perversité rurale vers la calamité paranoïaque urbaine (ici le microcosme d'une Clermont-Ferrand faisant face au terrorisme), le cinéaste, qui résiste avec audace à la tentation de l'autosatisfaction (il n'est jamais vraiment là où on l'attend, et c'est tant mieux), suit les atermoiements d'une poignée de personnages haut en couleurs dans leur manière de se débattre face aux réalités inconfortables de la France d'aujourd'hui.
Soit Méderic, un informaticien qui tombe amoureux d’Isadora - une prostituée insatiable au mari férocement jaloux -, tout en se mettant en tête d’aider Sélim - un jeune sans-abri arabe qui traîne en bas de chez lui -, alors que tout son voisinage s’en mêle après que la ville vient d'être secouée par un attentat.
Peu à peu, le quotidien de Médéric devient rapidement aussi chaotique et déséquilibré que le paysage urbain au vitriol qui l'entoure...

Copyright Les Films du Losange

En chevauchant les idéaux passés et présents, tout en télescopant avec une générosité folle des personnages et territoires de cinéma qui n'ont pas forcément grand chose à voir entre eux (une prostituée nymphomane au grand cœur, un informaticien loser et lâche mais attachant, un jeune arabe SDF et en rupture avec les siens), Guiraudie nourrit une sorte d’agora politique où toutes les âme (dissemblables mais finalement complémentaires) sont sommés par les contours savoureux de la comédie libertaire et gentiment singulière, d’échanger leurs peurs sur une société qui ne tourne plus vraiment rond, embrassant en quelque sorte la possibilité d'une camaraderie pleine d'espoir dans un monde gangrené par la paranoïa, l'égoïsme et les désirs réprimés.
Constat direct sur l'état du monde à travers des interventions détournées, Viens je t'emmène s'avère peut-être moins assurés il est vrai que ses deux derniers efforts, la faute à une narration principalement vissée sur le personnage le moins intéressant de l'intrigue, Médéric (pourtant solidement incarné par un Jean-Charles Clichet en mode François Damiens), qui s'avère néanmoins désopilant dans sa quête Bunuellienne de coït avec la - très - libérée Isadora (fantastique Noémie Lvovsky, véritable catalyseur comique du film), qui fait de sa profession un vrai acte politico-social.

Copyright Les Films du Losange

Volontairement tourné vers l'absurde, où le désir et la luxure se font audacieusement une distraction des peurs sous-jacentes de l'islamophobie (et plus directement du racisme quotidien outrageusement normalisé, mais pas uniquement en France), Guiraudie fait de son nouvel effort une fable détendue et frivole s'appuyant sur un sens de la responsabilité communautaire (il prône la coexistence sociale, même si elle est de plus en plus mise à l'épreuve), une oeuvre enlevée qui démontre la facilité avec laquelle nous sommes infectés par les stéréotypes et les préjugés, autant que celle de nous complaire dans une incompréhension culturelle et une défense morale (et souvent de classe) plus proche du mépris qu'autre chose.
Une déconstruction/reconstruction des comportements communs qui tombe incroyablement à pic en somme, alors que les présidentielles polarisent toutes les attentions nationales.


Jonathan Chevrier