[CRITIQUE] : Vous ne désirez que moi
Avec : Swann Arlaud, Emmanuelle Devos, Christophe Paou,…
Distributeur : Dulac Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Français
Durée : 1h35min
Synopsis :
D’après Je voudrais parler de Duras, entretiens de Yann Andréa avec Michèle Manceaux, éditions Pauvert / Fayard.
Compagnon de Marguerite Duras depuis deux ans, Yann Andréa éprouve le besoin de parler : sa relation passionnelle avec l’écrivaine ne lui laisse plus aucune liberté, il doit mettre les mots sur ce qui l’enchante et le torture. Il demande à une amie journaliste de l’interviewer pour y voir plus clair. Il va décrire, avec lucidité et sincérité, la complexité de son histoire, leur amour et les injonctions auxquelles il est soumis, celles que les femmes endurent depuis des millénaires…
Critique :
#VousNeDésirezQueMoi s’enferme lui-même dans une pièce, où la fenêtre - possible échappatoire ou ouverture sur le monde - ne s’ouvre jamais. Le film devient alors une sorte d’objet bizarroïde, qui nous fascine autant qu’il nous rebute. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/r8staUPZRG
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) February 7, 2022
Pour son sixième long métrage de fiction, Claire Simon s’attaque à un énorme morceau : la figure de Marguerite Duras. Son ombre plane dans le cinéma et dans la littérature. Un morceau difficile à avaler tant il prend à la gorge, tant il est synonyme d’intellect et de génie. Vous ne désirez que moi ne la montre jamais. Une silhouette, des pas, une esquisse dessinée pour montrer sa sexualité dévorante. Car s’il parle de désir et d’amour, le film est avant tout un témoignage fictionnel du dernier compagnon de l’artiste : Yann Andréa.
Un film est avant tout une histoire racontée à l’aide de l’image et du son. La singularité de Vous ne désirez que moi vient de sa base : les cassettes de l'interview menée par Michèle Manceaux, grande reporter et amie de Yann Andréa. Retranscrits dans un livre publié en 2016 — Je voudrais parler de Duras — ces entretiens ont maintenant une image, celle que lui donne Claire Simon. Les voix ont des corps, ceux de Swann Arlaud et Emmanuelle Devos. Et le témoignage a une émotion tangible, celle d’un homme dont le besoin intense de s’épancher sur son expérience de l’amour et du couple se dévoile à mesure de sa logorrhée.
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Le récit du film ne se forme qu’à partir de l’entretien. Le film débute juste avant et se finit juste après. Il faut se laisser happer par la voix de Swann Arlaud, qui interprète un homme tourmenté par sa relation avec Marguerite Duras et par sa sexualité. En face se trouve la douceur d’Emmanuelle Devos et son oreille attentive. Claire Simon nous invite dans la tête de Yann Andréa et emmène le film dans des flash-back. Mais ces séquences ne nous montrent que Yann, en proie à la passion ou au doute. Il ne peut guère y avoir de place pour un autre personnage car l’histoire fait qu’il essaie d’analyser ses sentiments et sa fascination pour sa compagne. La mise en scène s’inscrit dans cette volonté d'éphémérité, un moment voué à disparaître tel un souvenir dans une mémoire défaillante. Le film s’ouvre sur Yann, allongé seul et fumant une cigarette. Il se lève au moment où Michèle Manceaux arrive, comme un acteur s’éveille à l’approche de son entrée sur scène. Le son vient avec l’enregistreur. Le micro allumé nous apporte les voix des acteurs et quand il est éteint, c’est le silence. Claire Simon met alors le son à un niveau supérieur de l’image. La caméra n’est qu’un soutien visuel, un accompagnement discret. C’est par le son que nous devrons suivre l’histoire. Écouter son témoignage, à l’instar de Michèle, et se laisser porter par ses souvenirs. À la fin, il refuse de prendre les cassettes qu’elle lui donne, comme si ces quelques heures n’avaient jamais existées pour lui.
Vous ne désirez que moi est à l’image de son titre mystérieux. Le film est emprunt d’une emprise si terrible qu’elle ne sera jamais vraiment verbalisée. Yann Andréa parle d’amour et de désir. De création et de fascination aussi. De sentiment et de sexe. Il nous dévoile pourtant une autre facette de Marguerite Duras. L’artiste est là, en image d’archive. Directe, dure, créative. Mais la femme aussi s’installe devant nos yeux. Une femme sexuée aux désirs voraces de posséder tout être qui se donne à elle. « Je veux te dé-créer pour te recréer » lui dit-elle alors qu’elle lui donne le rôle principal dans son film Agatha et les lectures illimités ainsi que dans L’homme atlantique la même année (1981). La phrase est d’autant plus violente que Duras nie l’homosexualité de Yann en lui disant qu’il est atteint de la maladie de la mort et qu’il ne correspond donc pas au désir de l’homme qu’elle voudrait dans son lit. Les griffes de l’emprise s'emparent du récit. Les bruits que fait Duras pendant l’interview entonnent un chant fiévreux de savoir ce qui se dit sur elle, au-dessus. Le téléphone sonne quelque fois, pour s’assurer que l’on sache qu’elle est là et qu’elle peut monter mettre fin à l’entretien quand elle le veut.
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Vous ne désirez que moi s’enferme lui-même dans une pièce, où la fenêtre — possible échappatoire ou ouverture sur le monde — ne s’ouvre jamais. Le film devient une sorte d’objet bizarroïde, qui nous fascine autant qu’il nous rebute. Qui aurait envie d’écouter pendant une heure trente les élucubrations d’un homme pris dans une relation toxique ? Pourtant, nous écoutons et nous partageons un bout de son dilemme, avides de comprendre et fasciné⋅es par la figure vivace du monstre Duras.
Laura Enjolvy