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[CRITIQUE] : Un Autre Monde


Réalisateur : Stéphane Brizé
Acteurs : Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon, Marie Drucker,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h36min.

Synopsis :
Un cadre d'entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l'un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd'hui exécutant. Il est à l'instant où il lui faut décider du sens de sa vie.



Critique :


Dans ce qui peut se voir comme sa " trilogie anticapitaliste " autant qu'une plongée viscérale et réaliste sur la vie en entreprise, le génial Stéphane Brizé avait débuté au bas de l'échelle pour mieux pointer du bout de la caméra les sacrifiés du capitaliste moderne, avec La Loi du Marché ou un Vincent Lindon au sommet de son art et tout en expressivité retenue, incarnait un chômeur cinquantenaire condamné aux emplois précaires et faisant cruellement face à la dure réalité qu'il n'est (plus) rien aux yeux de la société.
Trois ans plus tard, le duo (également accompagné du scénariste Oliver Gorce) surenchérissait avec En Guerre ou le comédien incarnait une nouvelle fois un homme - un syndicaliste - à nouveau poussé dans ses plus extrêmes retranchements, pour garder son emploi et empêcher la fermeture de son usine.
En 2022, ils persistent et signent avec le complexe et captivant Un Autre Monde, ou ils quittent le prolétariat pour se retrouver (presque) tout en haut de la chaîne alimentaire, celle où (sur)vit un homme ayant placé son métier de au-dessus de tout, et qui doit désormais en payer le prix fort.

Copyright 2020 - Nord-Ouest Films France 3 Cinéma

Ils suivent cette fois, de manière plus fictionnelle mais toujours aussi épurée, les atermoiements d'un cadre dirigeant tiraillé entre les exigences de ses supérieurs (l'injonction de concocter une liste d'environ 10% de salariés à licencier, pour aider l'entreprise à rester compétitive à l'avenir) et les pressions de ses subordonnés (des syndicats qui font tout pour maintenir les emplois), mais aussi une vie personnelle torturée, où il doit encaisser un divorce difficile d'avec une femme las d'un mariage frustrant, l'ayant obligé de mettre des objectifs professionnels en sourdine (un mariage également fragilisé par l'éducation d'un fils autiste dont il a du mal à s'occuper).
Scrutant la lente déliquescence de la vie professionnelle et intime en ruine d'un homme positif (Lindon, une nouvelle fois incroyable) jadis respecté pour sa loyauté, qui voit son autorité se fissurer tout autant que ses principes et sa responsabilité éthique au coeur d'un système hiérarchique pourri jusqu'à l'os; le film emprisonne dans une impasse systémique autant la conscience (l'humanité) que la notion d'individu dans un mécanisme cynique où la déshumanisation est toujours inlassablement récompensée.

Copyright 2020 - Nord-Ouest Films France 3 Cinéma

D'un geste nerveusement fouillé et proche du documentaire (mais sans en embrasser tous ses tics familiers), aussi tendu qu'il se termine sur une note étonnamment optimiste (le personnage se bat et souffre avec une sincérité si contagieuse qu'on ne peut s'empêcher d'être touché et entraîné dans sa lutte et ses dilemmes moraux), Brizé fait d'Un Autre Monde le point final d'une formidable et rigoureuse trilogie humaniste à la vérité brute, sur des êtres dignes comme les autres, des pions désespérés saisis par la main invisible et arbitraire du capitalisme pour être lentement mais sûrement essoré jusqu'au point de non retour.
Il n'y a pas de gagnant chez Stéphane Brizé, et encore moins au sein des innombrables victimes de la " loi du marché "...


Jonathan Chevrier
 

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