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[CRITIQUE] : Mort sur le Nil


Réalisateur : Kenneth Branagh
Avec : Kenneth Branagh, Gal Gadot, Emma Mackey, Armie Hammer, Annette Bening, Tom Bateman, Rose Leslie, Sophie Okonedo, …
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Policier, Thriller
Nationalité : Américain
Durée : 2h07min

Synopsis :
Au cours d’une luxueuse croisière sur le Nil, ce qui devait être une lune de miel idyllique se conclut par la mort brutale de la jeune mariée. Ce crime sonne la fin des vacances pour le détective Hercule Poirot. A bord en tant que passager, il se voit confier l’enquête par le capitaine du bateau. Et dans cette sombre affaire d’amour obsessionnel aux conséquences meurtrières, ce ne sont pas les suspects qui manquent ! S’ensuivent une série de rebondissements et de retournements de situation qui, sur fond de paysages grandioses, vont peu à peu déstabiliser les certitudes de chacun jusqu’à l’incroyable dénouement !


Critique :


En 2017, Kenneth Branagh décide de s’attaquer à un autre monument de la littérature anglaise, après Shakespeare, la bien nommée Dame Agatha Christie avec Le crime de l’Orient-Express. Reine du crime anglaise, dont l'œuvre continue à divertir nos petites cellules grises, l’autrice voit non seulement ses livres continuer à être réédités (nouvelles couvertures, nouvelles éditions, nouvelles traductions), son œuvre donne également naissance à pléthores d’adaptations audiovisuelles plus ou moins réussies. Nous le savons, Agatha Christie n’a, de son vivant, jamais vu une adaptation trouver grâce à ses yeux. Si son petit-fils, Matthew Pritchard, ancien ayant-droit de L’Agatha Christie Limited (la société des droits littéraires de l’autrice), ne consentait à donner les droits qu’avec parcimonie, son fils James Pritchard (arrière petit-fils d’Agatha), le nouvel ayant-droit, décide d’élargir le champs des possibles. C’est la raison pour laquelle, depuis 2015, les adaptations et de nouveaux livres utilisant les personnages d’Agatha Christie, pullulent.

Copyright 2020 Twentieth Century Fox Film Corporation. All Rights Reserved.

Agatha Christie fait donc son grand retour sur grand écran. Après Le crime de l’Orient-Express, Kenneth Branagh endosse de nouveau la moustache gigantesque du détective Hercule Poirot. Il nous fait voyager cette fois en Égypte, pays des pharaons, où l’amour et la mort ne font parfois qu’un. Les meurtres sont perpétrés sur un bateau voguant dans les eaux calmes du Nil. Une histoire de jalousie, d’argent et de passion destructrice. Mort sur le Nil est un roman suivant toutes les petites obsessions d’Agatha Christie : les faux-semblants, les amours contrariés, des meurtres à foison (ici particulièrement sanglants) et un Hercule Poirot en grande forme. Kenneth Branagh, ne déviant pas de son habitude, prend l’histoire et la transforme en grande tragédie. Ne se refusant rien, le cinéaste nous livre sa vision de l’histoire : plus sombre, plus jazzy, et malheureusement plus assommante.

Le Hercule Poirot version Branagh n’a plus rien à voir avec le vieux monsieur bedonnant et asexué issu de l’imagination de l’autrice anglaise. Pourquoi pas après tout. Si le but est de faire peau neuve et d’attirer un public plus jeune, il était de bon ton d’ajouter un peu de peps à notre « cher ami ». A contrario du arm chair detective (détective en fauteuil, la spécialité d’Agatha Christie), ce nouveau Poirot est plus jeune, plus dynamique et possède un passé mystérieux. Une Katherine venait parfois assombrir le regard de Poirot dans Le crime de l’Orient-Express. Ici, nous savons enfin l’histoire derrière la photo sépia de cette belle jeune femme à laquelle le détective paraît très attaché. Pour ajouter du sel et un peu d’empathie à cet irritant petit homme belge, Mort sur le Nil débute par un flash-back grandiloquent, en noir et blanc, de la Belgique en temps de guerre. Cette introduction possède un double enjeu : nous donner quelques pistes du passé de Poirot et introduire le fil conducteur du film qui est l’Amour avec un grand A. Ce que l’on peut faire par amour, sentiment qui défit toute limite du bien et du mal. Mais chez Christie, dont les romans se placent souvent dans le monde de la bourgeoisie, l’amour est souvent mis à mal à cause de l’argent. Il en va de même dans Mort sur le Nil.

Copyright 2020 Twentieth Century Fox Film Corporation. All Rights Reserved.

À l’image du premier film, Kenneth Branagh met les petits plats dans les grands. Les décors sont éblouissants de 3D et de fond vert. Tout est lumineux, riche, ampoulé, adjectifs qui vont de pair avec le monde de Linnet Ridgeway (Gal Gadot), jeune héritière célibataire qui met le grappin sur le fiancé d’une vieille amie, Jackie (Emma Mackey). Linnet devient Mrs Simon Doyle (Armie Hammer), quelques mois après leur rencontre, où celui-ci était encore lié à Jackie. Tout le monde est riche, beau. Le monde est propret et les meurtres qui se succèdent viennent ternir le blanc virginal des tenues des passagers. Nous avons l’impression que le cinéaste n’a pas pu se cadrer cette fois. Malgré les défauts de l’Orient-Express, on ne pouvait pas nier le rythme dynamique du film, qui allait à l’essentiel. Tout le contraire de Mort sur le Nil, qui étire, pour on ne sait quelles raisons, toutes les séquences jusqu’à épuisement. Au jeu facile des comparaisons, le film de John Guillermin de 1978 paraît plus macabre malgré le ton bon enfant. La version de Branagh est trop lisse. À trop vouloir transformer l’histoire en sursaut dramatique, le récit est boursouflé et s’empêtre dans le ronflant.

Si on ne peut s’empêcher d’admirer l’esbroufe avec laquelle Kenneth Branagh se met en scène, Mort sur le Nil s’avère décevant. La mayonnaise de la tragédie ne prend pas et le reste — alourdi par une mise en scène sur-symbolique et un trop-plein de personnages et de sous-intrigues (dont l’on se fout royalement pour être honnête) — vient se noyer dans les eaux du Nil. Serait-il temps que Poirot/Branagh prenne sa retraite ? Si on en croit l’indice que nous laisse le film sur une possible troisième adaptation, la réponse est oui (à la campagne, avec des cucurbitacées).


Laura Enjolvy



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Sur le papier, voir le talentueux Kenneth Branagh s'enticher de l'oeuvre tentaculaire et exigeante de la légende Agatha Christie, laissait présager qu'il l'épouse avec un fétichisme au moins aussi imposant que celui dont il avait fait preuve à ses débuts, lorsque son cinéma vibrait de tous ses pores pour les proses chantantes de William Shakespeare.
Alors que Le Crime de l'Orient Express nous avait un brin laisser sur notre faim, aussi divertissant soit-il, l'espoir était grand face à l'idée qu'il s'approprie pleinement Mort sur le Nil, un mystère encore un peu plus tourné vers le pathétique humain et les crimes de coeur.

Si cette seconde adaptation dérive presque autant qu'elle reste à flot (un peu comme son exploitation en salles, conditionnée par la pandémie, le bad buzz d'Armie Hammer et les envies changeantes de Disney), force est d'admettre qu'elle conforte grandement les qualités déjà perceptible dans le précédent film, tout en s'expurgeant de quelques défauts imputables à un casting rassemblement plus à un empilement de stars qu'autre chose.

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Peut-être moins pimpant (Bening, Hammer, Gadot ou encore Wright ne valent pas Depp, Dafoe, Cruz ou même Dench), celui-ci a résolument plus de viande à mordre tant toute l'intrigue épico-mystérieuse se déroule quasiment dans l'ombre de l'énorme moustache de Poirot, moins imposante mais sans doute plus impactante (notamment grâce à un flashback introductif au coeur des tranchées de la Première Guerre mondiale, qui explique les raisons de ce look si particulier).
Et c'est là toute la force finalement de cette adaptation qui prend gentiment - pour être poli - ses libertés avec le matériau d'origine : faire de Poirot un pilier central de la narration (dont le célibat auto-imposé est constamment conforté par les pulsions passionnels de ceux dont il scrute méticuleusement les faits), tout en donnant une part égale d'attention à tous ceux qui sont les cibles de ses interrogations (excepté cela dit le personnage incarné par Ali Fazal, qui requiert plus de contexte et de profondeur qu'il n'en reçoit jamais).

En ce sens, celles qui tirent le mieux leur épingle du jeu sont Sophie Okonedo (superbe en chanteuse de jazz Salome Otterbourne, qui par experience est aussi attentive à la haine raciale que Poirot peut être méfiant face à l'amour), Letitia Wright (insaisissable dans la peau de la nièce de Salome, Rosalie) et Rose Leslie (Louise, qui tire totalement parti du rôle simpliste de la femme de chambre française de Linnet).
Mention également à la prestation frivole d'un Russell Brand au jeu - drastiquement - plus épuré qu'à l'accoutumée.

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Dommage à contrario, que cette volonté sérieuse de donner de l'épaisseur à Poirot autant qu'à cette adaptation, jouant au funambule entre le divertissement à l'ancienne (l'âge d'or d'Hollywood et l'importance de l'amour, des feux ardents de la passion à la tragédie qu'elle convoque parfois) et les appétits modernes du cinéaste (une légère bouffée de sophistication par-ci, un commentaire anticapitaliste jovial par-là,...), ne frappe pas la mise en scène peu subtile et prosaïque de Branagh, qui se laisse (trop) entraîner par les doux courants du Nil notamment dans une seconde moitié férocement répétitive et vissée sur d'interminables monologues.

Enthousiasmant et jovial autant qu'il est destiné à ne pas rester dans les mémoires (et encore plus en comparaison avec l'adaptation de de John Guillermin), Mort sur le Nil cuvée 2022 peut s'avérer réellement divertissant tant que l'on se prend au jeu du détective Poirot, sans trop s'attarder sur les coutures très (trop) visible de cette couverture...


Jonathan Chevrier



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