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[CRITIQUE] : Licorice Pizza

Réalisateur : Paul Thomas Anderson
Acteurs : Cooper Hoffman, Alana Haim, Bradley Cooper, Benny Safdie, Sean Penn,...
Budget : -
Distributeur : Universal Pictures International France.
Nationalité : Américain.
Genre : Comédie, Drame, Romance.
Durée : 2h13min.

Synopsis :
1973, dans la région de Los Angeles. Alana Kane et Gary Valentine font connaissance le jour de la photo de classe au lycée du garçon. Alana n’est plus lycéenne, mais tente de trouver sa voie tout en travaillant comme assistante du photographe. Gary, lui, a déjà une expérience d’acteur, ce qu’il s’empresse de dire à la jeune fille pour l’impressionner. Amusée et intriguée par son assurance hors normes, elle accepte de l’accompagner à New York pour une émission de télévision. Mais rien ne se passe comme prévu…



Critique :


Il est fascinant de voir comment la carrière de l'exceptionnel Paul Thomas Anderson, a pu évoluer depuis ses débuts au coeur des 90s, à une heure où il livre aux spectateurs ce qui est, sans l'ombre d'un doute, son oeuvre la plus personnelle à ce jour.
Passé de réalisateur un brin hyperactif tout droit sortie du Nouvelle Hollywood, porté par une totale liberté de création et un niveau de contrôle exigeant sur tous les aspects de la production (ce qu'il est toujours), à un faiseur de rêves à la spontanéité plus discrète mais dont la maturité émotionnelle en a fait un grand auteur à part entière; PTA n'a décemment plus rien à prouver et c'est peut-être là finalement, alors qu'il a atteint l'âge de la raison - la cinquantaine -, que ce nouveau virage dans sa carrière, s'avère des plus enthousiasmants.
Situé au début des 70s (sans que l'année exacte soit réellement précisée, au-delà du synopsis lui-même), le bien nommé Licorice Pizza visse sa narration sur la relation passionnée de Alana Kane - une assistante photographe de (supposément) 25 ans - et de Gary Valentine - un comédien/wannabe entrepreneur de 15 ans -, pour mieux permettre au cinéaste d'aborder avec justesse la période difficile et imprévisible entre l'enfance et l'âge adulte.

Copyright 2021 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. All Rights Reserved.

Si Gary use de son charme surnaturel pour naviguer sans encombre dans le monde des adultes, tout en étant mué par un désir sincère de se débarrasser des limites de l'adolescence, Alana elle, vit dans le monde que Gary veut désespérément conquérir et voit frontalement à quel point il peut être insatisfaisant.
Les deux sont impulsifs et imprudents à leur manière, mais ils partagent une attirance étrangement déséquilibrée l'un pour l'autre : Gary tombe amoureux d'Alana parce qu'il voit en elle une femme "mûre" qui peut faciliter son entrée dans l'âge adulte, alors qu'Alana tombe amoureuse de Gary parce qu'elle envie sa vision naïve du monde des adultes.
Mais l'ironie est qu'Alana est beaucoup moins mature et plus cynique qu'elle n'y paraît, et que Gary, malgré sa relative inexpérience, a une intelligence de la rue et un art de la débrouille qui fait qu'il est un gamin définitivement plus mature que la moyenne...
Conçu comme un diaporama de souvenirs, un simili-film à sketchs ou chaques séquences/chapitres à la fois anecdotiques et homériques, sont enracinées dans l'essence de véritables histoires Hollywoodiennes que l'écriture exagère de manière soit tragique, soit comique (notamment basées, comme le personnage de Gary d'ailleurs, sur les expériences formatrices de Gary Goetzman, un ancien enfant acteur devenu superviseur musical et producteur, notamment auprès du réalisateur Jonathan Demme, mentor de PTA), la péloche explore avec minutie la frontière ténue entre fiction et réalité pour mieux en exhumer une authenticité ineffable, tant Anderson est davantage préoccupée par l'expérience et le vécue que par la vérité littérale.

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Licorice Pizza n'apparaît alors pas seulement comme une fiction romancée arrachée à la réalité, mais aussi et surtout comme une oeuvre personnelle qui s'inscrit totalement dans la vie de son cinéaste (même s'il était tout gosse dans la première moitié des 70s) et de son entourage.
De son cadre familier (San Fernando Valley, lieu de sa jeunesse et toile de fond de ses premiers efforts) à la présence de la famille même d'Haim à l'écran (dont la mère est une ancienne prof du réalisateur), en passant par les courts passages des propres enfants d'Anderson et de sa femme Maya Rudolph, mais surtout le rôle titre offert à Cooper Hoffman (fils de l'un des habitués de son cinéma, feu le regretté Philip Seymour Hoffman); le cinéaste crée une énergie chaleureuse et intime, quasiment familial même, qu'il partage amoureusement avec le spectateur comme s'il avait tourné le film dans son arrière-cour avec les gens qui comptent le plus pour lui.
Une tendresse et une delicatesse qui se retrouvent jusque dans sa mise en scène fluide et enlevée (le film est tourné en 35 mm, avec des objectifs vintage pour mieux nous plonger davantage dans l'esprit 70s), embaumée dans un score mélancolique (couplée aux tubes des Doors, de McCartney ou encore Bowie) et une reconstitution soignée, qui rappellerait presque les meilleures heures du cinéma béni de Cameron Crowe.
Un rapprochement loin d'être innocent tant le long-métrage n'est pas si éloigné du merveilleux Presque Célèbre, un cousin rock'n'roll lui aussi catapulté au coeur des 70s et vissé sur l'alchimie tendre d'une romance contrariée - puisque jamais concrète -, portée par deux comédiens qui ressemblent tout simplement à de vraies personnes - donc à nous -, et dont les rapports détendus ne sont jamais parasités par leur différence d'âge, ni par les désirs déconcertants de l'adolescence.

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Mais là où il se détache sensiblement du regard nostalgique de Crowe (une bulle de légèreté presque hors du temps, le dernier shoot d'ivresse d'une insouciance condamnée à être révolue), c'est dans sa volonté de voir plus loin que ses contours de coming of age movie exubérant et pétillant - voire même de potentiel effort à la nostalgie creuse -, et d'incarner un véritable instantané de son époque (et pas uniquement sur la dangerosité d'une scène Hollywoodien en pleine mutation artistique, le Nouvel Hollywood, dont PTA a toujours été un héritier affirmé), cruel miroir d'une société contemporaine dont les maux sont douloureusement similaires.
À l'instar de Boogie Nights et, plus directement, d'Inherent Vice, Licorice Pizza se fait le baromètre d'une Amérique traumatisée (le Vietnam, l'impact de la crise pétrolière, la politique catastrophique de Nixon, la libération des moeurs,...) et à la jeunesse ambitieusement paumée, ici personnifiée par la relation entre Alana et Gary, qui porte le vernis innocent d'un amour un brin tordu et malavisé, fruit d'une codépendance transmise d'une génération à l'autre : un fantasme mutuel construit autour d'un désir de révolution et d'insatisfaction (sensiblement motivé par le fameux " rêve américain "), qui ne s'avère finalement qu'une chimère vouée à l'impasse, une passade dont on se lasse.
Même émotionnellement, tout n'est qu'un retour à la case départ dans ce monde sans queue ni tête (comme la narration volontairement alambiquée du film), tant aucun des deux personnages ne tirent de leçon du temps passé ensemble, prenant pour vérité ce que Paul Thomas Anderson a professé, de Boogie Nights à Phantom Thread : l'amour fait (très) mal.

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Une auscultation lucide à laquelle PTA se soustrait cependant, tant si ce neuvième effort a lui aussi tout du retour temporel volontaire et assumé, aux premières heures de son cinéma, c'est pour mieux en faire un vrai-faux premier film expurgé de tous les tics et tropes des premières fois, par un cinéaste mature décidé à revivre un monde disparu, sans que la gravité qui s'y cache ne surplombe totalement sa bonhomie (on peut le voir comme un versant volontairement décontractée du Once Upon A Time in Hollywood de Quentin Tarantino).
Fable sensible et surréaliste aux figures absurdes (comme peut l'être la vie au fond) et aux références culturelles ludiques, Licorice Pizza - jusque dans son titre - se fait une boutique des souvenirs intime et fragile, une parenthèse triviale et insaisissable ou PTA mêle une nouvelle fois la petite et la grande histoire dans une balade douce et funambule qui ne demande à son spectateur que d'embrasser, comme elle le fait, le lâcher-prise de son virtuose auteur.


Jonathan Chevrier



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