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[CRITIQUE] : Copyright Van Gogh

Réalisateur•ice : Yu Haibo et Yu Tianqi Kiki
Avec : -
Distributeur : ASC Distribution
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Chinois, Néerlandais.
Durée : 1h43min

Synopsis :
Jusqu'en 1989, le village de Dafen situé dans la province de Shenzhen, en Chine, était légèrement plus grand qu'un hameau. Il compte à présent 10.000 habitants, dont des centaines de paysans reconvertis en peintres.
Dans de nombreux ateliers, appartements et jusque dans les rues, les peintres de Dafen produisent des milliers de répliques de tableaux occidentaux mondialement connus. Une commande de 200 copies de tableaux de Van Gogh ne choque personne. Pour respecter leurs délais, les peintres dorment par terre, entre les cordes à linge où sèchent les toiles. En 2015, le chiffre d'affaires de la vente de tableaux dépassait 65 millions de dollars.
Les réalisateurs Haibo Yu et Tianqi Kiki Yu ont suivi l’un de ces peintres, Xiaoyong Zhao. Sa famille et lui ont peint environ 100 000 copies d’oeuvres de Van Gogh. Après toutes ces années, Zhao se sent une affinité profonde avec Van Gogh. Il décide d’aller en Europe pour voir les oeuvres originales au Musée Van Gogh et rendre visite à l’un de ses plus gros clients, un marchand d'art d'Amsterdam...



Critique :


N'avons-nous pas tous une reproduction d'un tableau célèbre accroché dans notre maison ?
Peut-être, et il se pourrait (avec un taux de probabilité très élevé, soyons honnêtes) même qu'elle soit l'oeuvre d'artistes chinois issus du quartier de Dafen à Shenzhen, qui s'est tranquillement mais sûrement transformé en une industrie artisanale d'« ouvriers-peintres », reproduisant par milliers les œuvres d'art les plus célèbres du monde, qui sont ensuite expédiées aux vendeurs du monde entier - et visiblement surtout les Pays-Bas, terre natale de Van Gogh.
C'est cette exploitation que met en lumière le tandem père/fille Yu Haibo et Yu Tianqi Kiki au travers du fascinant documentaire Copyright Van Gogh, principalement vissé sur le surdoué Zhao Xiaoyong, l'un des nombreux hommes qui tentent de survivre dans une industrie en déclin, capable de reproduire avec une exactitude folle les coups de pinceau de Van Gogh.

Copyright ASC Distribution

Bien que le titre puisse à première vue sembler ironique - il fait directement référence aux « fausses » peintures -, le documentaire n'en est pas moins étrangement émouvant puisqu'il explore avec brio les conflits qui continuent de définir les vies des artistes qui, comme ils le disent, peignent pour vivre mais prennent leur art très au sérieux tout en possèdant d'énormes compétences techniques; des artistes qui sont obligés d'étouffer leurs propres instincts créatifs pour produire des copies méticuleuses avec à la clé une somme dérisoire, qui les fait à peine survivre.
À travers la quête identitaire et le voyage en Europe de Xiaoyong, remplit autant d'émerveillement que de désillusions cruelles (lorsqu'il réalise que ses peintures sont vendues dans une boutique de souvenirs pour à peine trois fois plus que ce qu'il a été payé pour les peindre, environ 8 €), le documentaire pose les questions essentielles sur la popularité de ses oeuvres (nos achats conditionnés et conscients de la vérité, n'ont fait que faire grandir ce business de la contrefaçon) autant que leur légitimité (une reproduction méticuleuse peut-elle être en elle-même une œuvre d'art à part entière, si elle est peinte à partir de ce qui a été peint par le passé ? Le peintre qui reproduit une oeuvre, aussi talentueux soit-il, peut-il être considéré comme un artiste ?), tout en dressant le portrait de la société capitaliste contemporaine, tellement absurde que même l'impensable devient possible et commercialisable.
Un moment de cinéma fascinant mais surtout étonnamment mélancolique.


Jonathan Chevrier