[CRITIQUE] : Le Dernier Duel
Réalisateur : Ridley Scott
Acteurs : Jodie Comer, Matt Damon, Adam Driver, Ben Affleck,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h33min.
Synopsis :
D'après l'ouvrage Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386 d'Eric Jager.
Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France - également nommé « Jugement de Dieu » - entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l'intelligence et l'éloquence font de lui l'un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris - une accusation que ce dernier récuse - elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L'épreuve de combat qui s'ensuit - un éprouvant duel à mort - place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.
Critique :
Le Moyen Âge, vaste baignée dans la violence et la brutalité la plus primaire ou quand la justice, excitée par la rage de la ferveur religieuse, se faisait le pain public d'un peuple nourrissant ce spectacle dramatique, et aucun spectacle ne promettait plus de drame qu'un duel à mort.
C'est sur ce terrain de l'histoire humaine (où les clercs et les nobles considéraient qu'un tel combat incarnait une forme appropriée et légitime d'arbitrage juridique et divin), et plus directement sur ce qui est connu comme le dernier duel judiciaire en France (également nommé le « Jugement de Dieu »), que l'on retrouve ce cher papy Ridley Scott, loin d'être étranger à cette période (coucou Kingdom of Heaven et Robin des Bois), avec Le Dernier Duel, ou il adapte le script à trois plumes signé Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener, lui-même adapté du roman Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386 d’Eric Jager.
Flanqué dans un temps où la vérité du vainqueur est la meilleure - mais point la plus juste -, le film place la sienne au coeur du témoignage d'une femme, Marguerite de Carrouges, une femme violée dont le seul recours est de se tourner vers son mari, Sir Jean de Carrouges, qui ne veut rien de plus que d'affronter à l'épreuve du combat, le violeur, Jacques Le Gris, autrefois ami et devenu depuis un adversaire féroce.
L'affrontement devient vite alors une question d'honneur d'hommes déshonorés alors que la douleur de Dame Marguerite elle, est presque accessoire, limite un inconvénient.
D'autant quelle ne réalise pas tout de suite que ses accusations ont des conséquences mortelles pour sa propre personne, puisque la loi médiévale impose que sa vie soit elle aussi placée dans la balance du duel car si son mari perd, elle sera brûlée vive...
Tout comme le chef-d'oeuvre Rashomon de Kurosawa, la singularité du long-métrage réside dans sa volonté de jouer avec plusieurs points de vues d'un même événements mais surtout avec la notion de vérité, au travers de trois récits - ceux de Dame Marguerite, Sir Jean et Jacques Le Gris -, ou la vérité objective devient une notion tortueuse, en particulier dans les dires des deux hommes.
La vanité s'infiltre dans leurs souvenirs (globalement les mêmes au final), colorant leurs récits de fioritures sur leur gentillesse et leur bravoure - dans le cas de Jean de Carrouges -, ou leur charme et leur intelligence - pour Jacques Le Gris -, pour mieux agrémenter sournoisement une histoire dont ils sont les seuls héros; chacun incarnant invariablement un symbole avant-coureur de la justice, rappelant la meilleure version d'eux-mêmes et la pire de leur adversaire.
Ce sera alors par le récit final, celui de Marguerite, que la vérité éclatera réellement et que Le Dernier Duel laissera transparaître toute sa puissance et son importance.
Thème matriciel d'un scénario impressionnant de complexité, l'angle « #MeToo for the Middle Ages » fonctionne comme un moyen intéressant de réinterroger l'histoire, suppléant les (fausses) vérités d'hommes vils (qui se rêvent comme de nobles chevaliers de la tradition arthurienne) par celle de la jeune femme, la seule à laquelle nous sommes censés faire confiance au sein d'un monde froid et cruel.
Monnaie d'échange humaine par la faute de son traître de père, elle est piégée vivante dans son propre domaine, chargée par son époux (l'homme à qui elle a été vendue) de procréer; une véritable belle pour sa bête, qui aura le malheur d'attirer le regard d'un autre, qui se croit amoureux et n'hésitera absolument pas à abuser d'elle - une scène proprement insupportable, et dont le malaise et la brutalité diffèrent selon les points de vues.
Pendant des siècles sans la moindre évolution humaine, les femmes ont été les victimes du pouvoir des hommes, uniquement été considérées comme des biens, leur vérité rejetée comme un simple commérage insignifiant et leurs corps strictement utilisés pour procréer et cultiver des héritiers masculins.
Sans tambour ni trompette mais avec une crudité imposante (au moins égale à celle de l'époque qu'il dépeint), Scott dissèque cette tranche sombre et laide de l'histoire en imposant sa caméra en plein coeur de la version biaisée et égocentrée des faits de deux hommes, là où réside la réalité mais surtout la vérité fragile de la femme à leur côté.
" Veritas liberabit vos ", une vérité chevaleresque (mais avant tout anti-héroïque et anti-romanesque), ou ces bêtes de guerres ne combattent pas tant pour l'honneur et la liberté que pour l'argent et la gloire, pas du tout idéalisée et encore moins belle à voir, puisque scrutée dans ses moindres coutures patriarcales.
Volontairement éprouvant tout autant qu'il trouve un écho tout particulier dans notre société contemporaine, Le Dernier Duel prend volontiers le pli du mélodrame historique et politique follement immersif (parce qu'ancré dans une reconstitution minutieuse et appliquée) plus que de celui du simili-actionner chevaleresque violent et pétri de fureur (les combats ici sont aussi rudes et sanglants qu'éreintants et réalistes), dont le parti pris - trois points de vues d'une même histoire - est autant un outil scénaristique fantastique (auquel Scott adapte subtilement sa mise en scène enlevée) qu'il peut un brin amputer son rythme.
Un menu défaut compte tenu de l'intelligence et de la densité de sa narration, couplée aux prestations impliquées et nuancées de ses interprètes (Damon et Comer en tête, même si Affleck s'en sort mieux que bien en noble cruel et savoureusement amoral, et que Driver en impose en colosse aussi charmeur qu'il est abject).
À 83 ans, Ridley Scott en a toujours dans la caméra et signe un grand film classique dans la plus noble définition du terme (le plus beau et épique, peut-être, depuis le Braveheart de Mel Gibson), à la fois nuancé, réflexif et grisant, sur une violence passée qui, finalement, ne nous a jamais vraiment quitté depuis.
Jonathan Chevrier
Acteurs : Jodie Comer, Matt Damon, Adam Driver, Ben Affleck,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h33min.
Synopsis :
D'après l'ouvrage Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386 d'Eric Jager.
Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France - également nommé « Jugement de Dieu » - entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l'intelligence et l'éloquence font de lui l'un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris - une accusation que ce dernier récuse - elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L'épreuve de combat qui s'ensuit - un éprouvant duel à mort - place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.
Critique :
Volontairement brutal et éprouvant tout autant qu'il trouve un écho tout particulier dans notre société contemporaine, #LeDernierDuel prend le pli du mélodrame politique, réflexif et nuancé, et incarne un grand film classique dans la plus noble et grisante définition du terme. pic.twitter.com/MPrYhDYnIe
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) October 13, 2021
Le Moyen Âge, vaste baignée dans la violence et la brutalité la plus primaire ou quand la justice, excitée par la rage de la ferveur religieuse, se faisait le pain public d'un peuple nourrissant ce spectacle dramatique, et aucun spectacle ne promettait plus de drame qu'un duel à mort.
C'est sur ce terrain de l'histoire humaine (où les clercs et les nobles considéraient qu'un tel combat incarnait une forme appropriée et légitime d'arbitrage juridique et divin), et plus directement sur ce qui est connu comme le dernier duel judiciaire en France (également nommé le « Jugement de Dieu »), que l'on retrouve ce cher papy Ridley Scott, loin d'être étranger à cette période (coucou Kingdom of Heaven et Robin des Bois), avec Le Dernier Duel, ou il adapte le script à trois plumes signé Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener, lui-même adapté du roman Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386 d’Eric Jager.
Copyright 2021 Jessica Forde / 20th Century Studios. All Rights Reserved. |
Flanqué dans un temps où la vérité du vainqueur est la meilleure - mais point la plus juste -, le film place la sienne au coeur du témoignage d'une femme, Marguerite de Carrouges, une femme violée dont le seul recours est de se tourner vers son mari, Sir Jean de Carrouges, qui ne veut rien de plus que d'affronter à l'épreuve du combat, le violeur, Jacques Le Gris, autrefois ami et devenu depuis un adversaire féroce.
L'affrontement devient vite alors une question d'honneur d'hommes déshonorés alors que la douleur de Dame Marguerite elle, est presque accessoire, limite un inconvénient.
D'autant quelle ne réalise pas tout de suite que ses accusations ont des conséquences mortelles pour sa propre personne, puisque la loi médiévale impose que sa vie soit elle aussi placée dans la balance du duel car si son mari perd, elle sera brûlée vive...
Tout comme le chef-d'oeuvre Rashomon de Kurosawa, la singularité du long-métrage réside dans sa volonté de jouer avec plusieurs points de vues d'un même événements mais surtout avec la notion de vérité, au travers de trois récits - ceux de Dame Marguerite, Sir Jean et Jacques Le Gris -, ou la vérité objective devient une notion tortueuse, en particulier dans les dires des deux hommes.
La vanité s'infiltre dans leurs souvenirs (globalement les mêmes au final), colorant leurs récits de fioritures sur leur gentillesse et leur bravoure - dans le cas de Jean de Carrouges -, ou leur charme et leur intelligence - pour Jacques Le Gris -, pour mieux agrémenter sournoisement une histoire dont ils sont les seuls héros; chacun incarnant invariablement un symbole avant-coureur de la justice, rappelant la meilleure version d'eux-mêmes et la pire de leur adversaire.
Copyright 2021 20th Century Studios. All Rights Reserved. |
Ce sera alors par le récit final, celui de Marguerite, que la vérité éclatera réellement et que Le Dernier Duel laissera transparaître toute sa puissance et son importance.
Thème matriciel d'un scénario impressionnant de complexité, l'angle « #MeToo for the Middle Ages » fonctionne comme un moyen intéressant de réinterroger l'histoire, suppléant les (fausses) vérités d'hommes vils (qui se rêvent comme de nobles chevaliers de la tradition arthurienne) par celle de la jeune femme, la seule à laquelle nous sommes censés faire confiance au sein d'un monde froid et cruel.
Monnaie d'échange humaine par la faute de son traître de père, elle est piégée vivante dans son propre domaine, chargée par son époux (l'homme à qui elle a été vendue) de procréer; une véritable belle pour sa bête, qui aura le malheur d'attirer le regard d'un autre, qui se croit amoureux et n'hésitera absolument pas à abuser d'elle - une scène proprement insupportable, et dont le malaise et la brutalité diffèrent selon les points de vues.
Pendant des siècles sans la moindre évolution humaine, les femmes ont été les victimes du pouvoir des hommes, uniquement été considérées comme des biens, leur vérité rejetée comme un simple commérage insignifiant et leurs corps strictement utilisés pour procréer et cultiver des héritiers masculins.
Sans tambour ni trompette mais avec une crudité imposante (au moins égale à celle de l'époque qu'il dépeint), Scott dissèque cette tranche sombre et laide de l'histoire en imposant sa caméra en plein coeur de la version biaisée et égocentrée des faits de deux hommes, là où réside la réalité mais surtout la vérité fragile de la femme à leur côté.
" Veritas liberabit vos ", une vérité chevaleresque (mais avant tout anti-héroïque et anti-romanesque), ou ces bêtes de guerres ne combattent pas tant pour l'honneur et la liberté que pour l'argent et la gloire, pas du tout idéalisée et encore moins belle à voir, puisque scrutée dans ses moindres coutures patriarcales.
Copyright 2021 20th Century Studios. All Rights Reserved. |
Volontairement éprouvant tout autant qu'il trouve un écho tout particulier dans notre société contemporaine, Le Dernier Duel prend volontiers le pli du mélodrame historique et politique follement immersif (parce qu'ancré dans une reconstitution minutieuse et appliquée) plus que de celui du simili-actionner chevaleresque violent et pétri de fureur (les combats ici sont aussi rudes et sanglants qu'éreintants et réalistes), dont le parti pris - trois points de vues d'une même histoire - est autant un outil scénaristique fantastique (auquel Scott adapte subtilement sa mise en scène enlevée) qu'il peut un brin amputer son rythme.
Un menu défaut compte tenu de l'intelligence et de la densité de sa narration, couplée aux prestations impliquées et nuancées de ses interprètes (Damon et Comer en tête, même si Affleck s'en sort mieux que bien en noble cruel et savoureusement amoral, et que Driver en impose en colosse aussi charmeur qu'il est abject).
À 83 ans, Ridley Scott en a toujours dans la caméra et signe un grand film classique dans la plus noble définition du terme (le plus beau et épique, peut-être, depuis le Braveheart de Mel Gibson), à la fois nuancé, réflexif et grisant, sur une violence passée qui, finalement, ne nous a jamais vraiment quitté depuis.
Jonathan Chevrier