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[CRITIQUE] : Rouge


Réalisateur : Farid Bentoumi
Acteurs : Sami Bouajila, Zita Hanrot, Céline Sallette, Olivier Gourmet,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Français.
Durée : 1h28min.

Synopsis :
Nour vient d’être embauchée comme infirmière dans l’usine chimique où travaille son père, délégué syndical et pivot de l’entreprise depuis toujours.
Alors que l’usine est en plein contrôle sanitaire, une journaliste mène l’enquête sur la gestion des déchets. Les deux jeunes femmes vont peu à peu découvrir que cette usine, pilier de l’économie locale, cache bien des secrets. Entre mensonges sur les rejets polluants, dossiers médicaux trafiqués ou accidents dissimulés, Nour va devoir choisir : se taire ou trahir son père pour faire éclater la vérité.



Critique :


Sami Bouajila a ce luxe que peut de comédiens hexagonaux ont finalement, de se bonifier avec le temps comme un grand vin, de profiter d'une maturité qui lui sied à merveille pour mieux habiter l'écran et, par effet d'extension, d'obtenir des rôles qui jusqu'à maintenant, ne lui était pas forcément confiés.
Un peu comme le tout aussi excellent Roschdy Zem qui, puisqu'il n'y a pas forcément de hasard, l'a d'ailleurs souvent accompagné aussi bien devant (Indigènes) que derrière la caméra (Omar m'a tuer), aux carrefours importants de sa carrière.
Cinq ans après avoir tourné pour Farid Bentoumi dans le sympathique feel good movie Good Luck Algeria, le voilà qu'il rempile avec lui pour ce qui est un film de confirmation nettement plus corsé et ambitieux, Rouge - labellisé Cannes 2020 -, rencontre maîtrisée entre le thriller social et le drame familial intime, plus ou moins inspiré du scandale sanitaire de l’usine Alteo de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône (pointé du doigt par Ségolène Royal pour ses errances écologiques, et son absence de traitement de ses déchets balancés depuis des années dans la Fosse de Cassidaigne).

Copyright Les films VELVET-Les films du FLEUVE

Rouge, c'est les atermoiements d'un homme littéralement entre deux eaux, dont les principes vont plier sous le poids écrasant de son employeur, et qui ne verra pas réellement arriver la tourmente qui va s’abattre sur ses propres certitudes, prenant les traits de sa propre géniture qu'il aime plus que tout au monde.
Slimane est un employé modèle, délégué syndical d’une gigantesque usine de produits chimiques dans laquelle sa fille vient elle aussi d'être embauché, pour gérer l'infirmerie après avoir fait l'objet d'une enquête à l'hôpital.
Mais lorsqu'elle se penche sur les risques auxquels l'entreprise expose ses employés, faisant de facto vaciller le maintien déjà fragile du site, elle va se mettre famille à dos, et plus encore...
Avec son titre furieusement évocateur (il convoque autant la couleur du sang que de la violence, de l'alerte que de la révolte, de la peur que, tout simplement, la boue dégueulée par l'usine du film), le second effort de Farid Bentoumi se place au coeur des visages et des corps qui plient, résistent face à la violence sourde d'une société capitaliste, et cite naturellement les thrillers sociaux et urbains de James Gray (tout comme le récent Dark Waters de Todd Haynes), ou les enjeux familiaux épousent toujours des dilemmes plus universels et cruellement d'actualité (la précarité sociale et ouvrière, le délitement de la santé française, l'urgence du constat climatique,...).

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Fouillé et tout en nuances, dans son opposition complexe et sous tensions de deux remises en questions/combats aussi indissociables que perdus d'avance (celui d'une fille pour protéger la santé de ses collègues quitte à trahir les siens; celui d'un père pour protéger les siens quitte à cautionner les agissements abjects de son employeur), formidablement incarné par un quatuor d'exception (Sami Bouajila, Zita Hanrot, Céline Sallette et Olivier Gourmet, merveilleusement détestable); Rouge est un drame politique et écologique férocement honnête (notamment dans sa mise en images des limites de l'engagement politique et militant) et urgent, une tragédie moderne au regard constamment humain qui appelle tout du long à une prise de conscience générale.


Jonathan Chevrier