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[CRITIQUE] : Onoda - 10 000 nuits dans la jungle


Réalisateur : Arthur Harari
Acteurs : Yûya Endô, Kanji Tsuda, Yuya Matsuura,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Guerre, Historique.
Nationalité : Français, Belge, Japonais, Allemand, Italien, Cambodgien.
Durée : 2h47min.

Synopsis :
Le film est présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes 2021

Fin 1944. Le Japon est en train de perdre la guerre. Sur ordre du mystérieux Major Taniguchi, le jeune Hiroo Onoda est envoyé sur une île des Philippines juste avant le débarquement américain. La poignée de soldats qu'il entraîne dans la jungle découvre bientôt la doctrine inconnue qui va les lier à cet homme : la Guerre Secrète. Pour l'Empire, la guerre est sur le point de finir. Pour Onoda, elle s'achèvera 10 000 nuits plus tard.



Critique :


Pour les non-initiés (soyons honnêtes, 99% des spectateurs - dont nous), Hirō Onoda auquel le film prend le nom mais aussi l'authentique histoire vraie, était un soldat japonais de la Seconde Guerre mondiale, affecté à une île des Philippines vers la fin de la guerre avec pour mission - secrète - de résister à tout prix à l'invasion nord-américaine.
Personne ne pouvait soupçonner cependant, que le bonhomme porterait cette mission à bien jusqu'à ses limites ultimes, prolongeant sa résistance solitaire pendant des décennies - un cas de déni records -, longtemps même après la capitulation du Japon (il serait resté trente ans sur l'île de Lubang, tuant parfois même des civils selon les récits, jusqu'en 1974).
Une histoire incroyable, logiquement digne d'être rappelée et racontée à travers le prisme du septième art, et pour laquelle il aurait été si facile d'adopter l'approche d'un biopic purement pacifiste - et dénué de toute psychologie - en condamnant la folie de cet homme résolument à part (qui avait échoué à devenir pilote et kamikaze).
Un écueil dans lequel ne tombe absolument pas le cinéaste français Arthur Harari pour son second long-métrage (après l'excellent Diamant Noir), dont l'assurance et la sérénité avec laquelle il développe patiemment son histoire, force instinctivement le respect.

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Sous les auras tutélaires de Kurosawa et Lean, ce portrait d'un homme qui a choisi de se fermer du monde extérieur a une résonance étrange à une heure ou la pandémie fait rage, et que l'on questionne les notions de fraternité et de civisme face à l'égoïsme et l'entre-soi.
Dans une société contemporaine ou les théories du complot proliférent et renforcent la croyance collective, grâce à la force d'adeptes dont la capacité est d'assimiler toute preuve contraire pour en faire une vérité, l'histoire d'Onoda a presque une importance urgente, lui qui a gardé la Seconde Guerre mondiale en vie dans son esprit d'une manière quasi-similaire : en rationalisant tout signe de la fin de la guerre comme une ruse, comme l'armée le lui a enseigné.
Mais aussi sauvage que soit Onoda, Harari maintient constamment les choses ancrées dans une réalité physique imposante (la photographie de Tom Harari est somptueuse), de part la complexité folle de son cheminement psychologique, la maîtrise totale de son récit - près de trois heures au compteur - ou l'épure extrême de son vertige humain à la limite du surréalisme.
D'une précision percutante et regorgeant de vertus, ce second long-métrage à la mise en scène incroyablement immersive, s'inscrit dans le sillage d'un cinéma venu d'une autre époque, et parvient à offrir un regard aussi lyrique que cru sur un homme, tout comme la jungle impassible qui l'entoure, littéralement suspendu dans le temps.
Une épopée intime hallucinée et hallucinante, une leçon de poésie dont on ressort K.O., et qui a tout de la séance immanquable cet été dans les salles obscures hexagonales.


Jonathan Chevrier