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[CRITIQUE] : Le père de Nafi

Réalisateur : Mamadou Dia
Acteurs : Alassane Sy, Saikou Lo, Penda Daily Sy, Aicha Talla, ...
Distributeur : JHR Films
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Sénégalais
Durée : 1h47min

Synopsis :
Dans une petite ville du Sénégal, deux frères s’opposent à propos du mariage de leurs enfants. Deux visions du monde s’affrontent, l’une modérée, l’autre radicale. Les jeunes Nafi et Tokara rêvent, eux, de partir étudier à Dakar, la capitale, et de vivre avec leur époque. A la manière d’une tragédie, et alors que s’impose la menace extrémiste, les amoureux doivent trouver un chemin pour s’émanciper des conflits des adultes.


Critique :


Primé au festival de Locarno 2019, le premier long métrage de Mamadou Dia, Le père de Nafi filme un village menacé par l’obscurantisme. Cet ancien journaliste a grandi au Sénégal, avant de partir faire des études de cinéma à l’Université de New York. Mais c’est dans son pays natal qu’il a voulu raconter par les images, la relation entre sa religion (l’islam) et sa région, l’aspect communautaire et égalitaire, entravé par l’abus de pouvoir d’un seul individu. Son film se pare de l’histoire du Sénégal tout en racontant une pure fiction. Pour le réalisateur, il est peu probable qu’un tel événement arrive. Cependant, l'élection de Donald Trump en 2016 l’a stupéfié. Il livre alors un long métrage emprunt d’avertissement, sans se faire juge.
Durant les premiers instants du film, le cinéaste nous présente un des personnages principaux du film, le fameux père de Nafi, Tierno, l'imam de Yonti, un petit village du Sénégal. La caméra le filme de dos, torse nu, dans un espace dépouillé et clinique. Quand un docteur arrive pour lui donner les résultats de ses examens, nous comprenons qu’il est affaibli. Tierno sera pourtant, avec l’aide de sa fille et de sa femme, le dernier rempart contre l’arrivée du terrorisme au pas de sa porte. Les traits marqués par la douleur de son brillant interprète Alassane Sy donnent le ton. Tierno est un personnage doux, animé par sa foi. Il pense naïvement qu’il suffit d’attendre que cela se passe, que tout va se remettre en place de lui-même. La douleur de la maladie se confond de plus en plus avec la douleur de voir son village se transformer, la politique se durcir et de voir le futur qu’il laissera à sa fille.

Copyright JHR Films

Le père de Nafi prend son temps pour raconter l’action. Un rythme qui n’a pourtant rien de lancinant, il est plutôt réaliste, la violence s'installant doucement, par petite touche. Yonti, le village, se mue à l’image des deux frères protagonistes, Tierno l’imam et Ousmane, dont l’ambition est de devenir le nouveau maire. Nous ne savons pas vraiment d’où vient l’animosité, elle se dévoile aux spectateur‧trices vers la fin, dans une confrontation verbale où la jalousie prend place. Une jalousie venant d’une communication brisée, de la fierté d’un père envers ses fils mal comprise. L’incompréhension entre générations parcourt le récit. Nafi et Tokara, les deux enfants des frères ennemis, voient le mariage non pas comme une entrave, mais comme une porte de sortie. Le seul moyen de contenter des traditions familiales et d’obtenir l’émancipation tant voulue : étudier les neurosciences pour Nafi, la danse pour Tokara. Le couple déjoue les clichés de genre par leur passion et les clichés sur l’islam sur l’hyper-virilisation des hommes et le manque de libertés des femmes musulmanes. C’est dans cette nuance, dans cette complexité du récit et des personnages qui le parcourent, que le film puise sa dimension pondérée et évite l’écueil du jugement. Ce n’est pas tant l’alerte qui intéresse Mamadou Dia que l’ensemble des actions amenant à la montée de l’extrémisme. La souffrance de la paysannerie peu écoutée par le gouvernement, la structure familiale — tellement structurée qu’elle exacerbe les jalousies fraternelles, le refus du débat au sein de la communauté. Le scénario souligne le questionnement et permet l’équilibre entre valorisation et condamnation.

Copyright JHR Films

La mise en scène du cinéaste se veut épurée, épousant les moindres regards des protagonistes. Une caméra proche des corps, du mouvement amorcé par les personnages, donne l’espace nécessaire aux visages d’exprimer ce que les mots ne peuvent plus. Le père de Nafi s’apparente à un cinéma naturaliste, qui en quelques plans, en dit long sur le basculement des mœurs. Privilégiant ses acteur‧trices pour matérialiser cette histoire de haine fraternelle, Mamadou Dia se réapproprie un récit trop souvent manichéen sur une religion ostracisée et dépouillée de sa nuance.


Laura Enjolvy



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