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[CRITIQUE] : The Nightingale

Réalisatrice : Jennifer Kent
Avec : Aisling Franciosi, Sam Claflin, Baykali Ganambarr, Damon Herriman, ...
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Thriller, Drame, Historique
Nationalité : Américain, Australien
Durée : 2h10min

Synopsis :
En 1825, alors que l'Australie est en pleine colonisation. Clare, une prisonnière irlandaise de 21 ans, sert une garnison de l'armée britannique. Un soir, alors qu'elle vient quémander une lettre pour obtenir sa libération et celle de sa famille, l'officier Hawkins abuse d'elle, puis trois soldats assassinent son mari et leur enfant sous les yeux de la jeune femme. Clare se lance aux trousses des militaires, partis à travers le bush. Elle fait appel à Billy, un aborigène, pour la guider dans la forêt tasmanienne pleine de dangers.

Critique :



La réalisatrice Jennifer Kent (Mister Babadook) pose sa caméra pour son second long métrage dans la Tasmanie du XIXe siècle. The Nightingale faisait en 2018 un passage remarqué à la Mostra de Venise, où la cinéaste était repartie avec le prix spécial du jury. Nous attendions avec impatience sa sortie en salles, qui ne viendra jamais. Trois longues années plus tard, le film est enfin disponible en France, sur OCS depuis le 9 mars dernier. La cinéaste nous plonge encore une fois dans l’horreur et livre une histoire de vengeance dans un contexte bien particulier. Celui de l’histoire coloniale anglaise à l'intérieur des terres aborigènes.

Copyright Condor Distribution


Au début du XIXe siècle, Clare (Aisling Franciosi), une jeune irlandaise, vit en Tasmanie, avec son mari Aiden et son bébé, contre sa volonté. Il se trouve qu’elle est prisonnière du lieutenant Hawkins (Sam Claflin), un militaire anglais ambitieux. Elle ne peut partir sans l’autorisation de Hawkins. Celui-ci représente l'archétype de la domination masculine. Pour lui, Clare lui appartient corps et âme, et s’octroie le droit d’abuser de son corps, de nombreuses fois. Après un incident entre Hawkins et Aiden, Clare est violée tandis que des soldats tuent son mari et son bébé. Laissée pour morte, les soldats n’auraient jamais pensé qu’elle irait s’aventurer dans le bush australien dans le but de se venger. Avec l’aide de Billy (Baykali Ganambarr), un autochtone qui souffre également de la domination de ces colons, Clare se transforme en une sorte de Némésis, venue pour assouvir une colère juste et puissante.
Jennifer Kent propose un regard nouveau sur le rape & revenge, un genre souvent accusé de voyeurisme, qui enferme ses personnages féminins dans un male gaze malsain, incapables de se détacher de leur statut de femmes-objets. Dans The Nightingale, la vengeance, deuxième partie du genre où le personnage s’attaque à ses bourreaux, est filmée comme une réponse à la cruauté des colons anglais. La violence n’est pas montrée comme animale, comme monstrueuse. Les antagonistes ne sont pas incapables de retenir leur pulsion. La cinéaste filme une violence issue du pouvoir. Elle appartient à un système qui l’exploite, l'entretient. La violence enferme les minorités sur lesquelles elle se défoule : les femmes, les aborigènes et montre à quel point elle ne peut être présente sans contexte de classe, de genre et/ou de race.

Copyright Condor Distribution

La cinéaste dévoile une mise en scène très réaliste, mais loin d’être dans la démonstration de la violence gratuite. Elle commence par choisir un cadre carré pour enfermer ses personnages. L’atmosphère y est rugueuse, étouffante. La violence se trouve dans chaque centimètre du cadre, dans une simple promenade au rythme d’une comptine chantée pour bercer un bébé, un couteau à la main et scrutant les bois. Elle est viscérale dans la première partie du film, quand on comprend que Clare n’est jamais en sécurité. L’horreur nous est montrée telle quelle, dépourvue d’artifices. Une séquence pivot devient alors insoutenable et sans complaisance. Jennifer Kent filme cette séquence du point de vue de Clare, refusant alors tout voyeurisme. La caméra ne lâche pas le personnage et rend l'horreur de ce qu'elle vit plus palpable. Ancrant son récit dans l’atrocité de la colonisation, Jennifer Kent se démarque intelligemment d’un récit très fermé sur la domination masculine. Clare va devoir travailler sur son racisme latent en voyageant avec Billy. Les deux protagonistes unifient leurs vécus, différents dans le fond mais similaires sur la forme, pour s’attaquer à l’oppresseur. Mais cette vengeance n'est pas l'enjeu du film, comme nous le montre la dernière séquence. La symbolique du titre, The Nightingale, qui se traduit par "rossignol" en français se dévoile dans son dernier plan, où Claire et Billy regardent un lever de soleil sur une plage. Le rossignol est un oiseau qui célèbre l'arrivée du soleil. Apaisés, les deux protagonistes peuvent enfin respirer. Le tout dernier plan, Clare face à nous, rejoint la fin de la série I May Destroy you, où le personnage joué par Michaela Coel nous faisait face également, sur une plage et respirait enfin, après 12 épisodes éprouvants. Ces deux œuvres, très différentes l'une de l'autre, sont pourtant liées par un même récit. Comment survivre au traumatisme ? En nous faisant face, les deux personnages prennent le spectateur à partie. La mise en scène nous sort de la narration pour amener la réflexion dans le présent, dans la réalité.

Copyright Condor Distribution

The Nightingale est un récit sur la réappropriation. Réappropriation d’un genre cinématographique, enfermé la plupart du temps dans une fascination voyeuriste. Réappropriation d’une terre prise de force à un peuple. Réappropriation d’un corps violenté et traumatisé. Jennifer Kent livre un film à l’écriture soignée, interrogeant sur le désir de possession qui va de pair avec le pouvoir.


Laura Enjolvy



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