[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #136. Predator
© 1987 Twentieth Century Fox. All Rights Reserved
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se baladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leur mot à dire...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#136. Predator de John McTiernan (1987)
1987, alors que les extraterrestres gardent une image on ne peut plus douce dans la pop culture, la faute à ce bon vieux Steven Spielberg qui a minimisé par deux fois leur intrusion sur nos terres (les merveilleux Rencontre du Troisième Type et E.T. l'extraterrestre), John McTiernan, encore nouveau dans le business (son premier long, l'excellent Nomads, n'a pas cassé des briques dans les salles US), appuyé par le script rageur du tandem Jim et John Thomas, va donner un sérieux coup de pied dans la fourmilière et démontré que non, les aliens ne sont absolument pas nos amis.
Série B guerrière un temps titré Hunter, et qui voyait un homme d'origine indienne affronter un chasseur venu d'ailleurs, Predator va prendre in fine les contours d'une pure production Joel Silverienne, fleurant bon la poudre et les muscles saillants.
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Un commando d'élite mené par Alan " Dutch " Schaefer, débarque dans la jungle amazonienne pour exfilter un ministre du du cabinet présidentiel perdu avec son second à cause des forces de la guérilla du Val Verde (cette magique région fictive, qui a vu plus d'un héros burnée s'y attaquer durant les glorieuses 80's)
Le hic c'est que ce dit commando va in fine être décimé par une créature un temps mystérieuse, mais qui se révélera être un alien venu chasser de l'humain dans un pur souci sportif et ludique...
Totalement dans son époque, entre la relecture d'un mythe du septième art (Les Chasses du Comté Zaroff d'Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel) et la canonisation d'une mode en plein boom (un penchant pour le fétichisme militaire, ici comme dans Aliens de James Cameron, totalement fracassé par des créatures venues d'ailleurs), Predator va pourtant savoureusement tordre les clichés pour mieux incarner un divertissement " autre ". Jamais totalement actionner bourrin (McTiernan y va franco pour hypertrophier son regard sur le genre), ni complètement survival en terre hostile, et encore moins fresque fantastico-science-fictionnelle, le cinéaste façonne son oeuvre à son image, complexe, jouissive et grandiose, en égrainant quelques-uns des thèmes qui lui sont le plus cher (choc des civilisations, l'invisible, l'invasion féroce du territoire,...), tout en poussant une fois de plus le mâle Alpha dans ses derniers retranchements, devant évoluer en même temps que son environnement - et sa connaissance de l'ennemi - pour avoir une chance de survivre.
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Caractérisés comme des demi-dieux à la toute puissance physique démesurée (gros muscles, gros flingues, gros couteaux, grosses b*rnes,...), cette élite de la masculinité machiste domine la jungle comme si elle était leur (ils expédient leur mission et envahissent un village de guérilleros en deux temps, trois mouvements), avant que le rapport de force se voit progressivement bousculé, la jungle devenant elle-même plus féroce qu'eux, et les exposant à la menace sourde et invisible du Predator (introduit subtilement au fil du récit, d'abord via sa vision infrarouge et par la suite plus physiquement, alors qu'il aligne les victimes), les confrontant constamment au doute et à une peur qu'il ne semble avoir jamais connu auparavant.
Faible et brisé, soumis à ses émotions mais surtout à un inconnu qui se révèle plus véloce, sauvage et mieux armés qu'eux (le déballage de tirs face à la mort de Cooper, est l'exemple criant d'une impuissance absolue), le mâle Alpha redevient alors qu'un simple homme, la proie facile d'un chasseur glacial aux assauts aussi brutaux que chirurgicaux - qui ne mène qu'à la mort -, et qui voit chaque soldat (l'élite au combat) comme un simple trophée de plus à décrocher.
Un retour à l'instinct primaire - ou l'état sauvage - en somme, ou pour vaincre, l'homme - le dernier en vie - doit reconquérir un espace qu'il pensait sien (un regard qui peut aussi se substituer à la politique colonialiste de Reagan, qui dispense " la démocratie " partout en s'appropriant les territoires qu'ils " sauvent " par la force), l'apprivoiser pour mieux remporter ce combat symbolique, transcendé dans un climax quasiment muet (et uniquement rythmée par les sonorités sentencieuses et tribales du puissant score d'Alain Silvestri).
© 1987 Twentieth Century Fox. All Rights Reserved |
Un véritable duel de titans/gladiateurs ou la jungle se fait arène comme dans la Rome Antique, et où les deux combattants reviennent à une certaine pureté ancienne, en se frittant à main nue, jusqu'à ce que l'un d'entre eux trépasse : celui qui saura user du plus adroitement de ses aptitudes physiques et intellectuelles.
Si jusqu'ici, Schwarzenegger avait subtilement choisi ses projets pour mettre en avant sa puissance surhumaine, indomptable pour le commun des mortels, qu'il soit un guerrier mythologique (Conan le Barbare, Kalidor), un cyborg venant du futur (Terminator) ou même un super soldat (Commando), il fait preuve ici pour la première fois d'une fragilité physique et émotionnelle face à un ennemi - supposément - indestructible.
Transcendé par la caméra virtuose d'un McTiernan littéralement bouillant, il (re)devient un homme de Neandertal (une symbolique appuyé par un cri de guerre venant des tripes, avec le feu - l'arme ultime - dans les mains), en communion avec ses instincts et la nature, et touche dès lors à la quintessence de son jeu - jadis - limité, mais physiquement imposant; une déconstruction dans les règles de l'héros américain (et surtout férocement Reaganien, deux ans après sa célébration (in)volontaire dans Rambo II de George P. Cosmatos), que le cinéaste réitérera avec encore plus de précision et de pertinence, avec Die Hard a peine un an plus tard.
© 1987 Twentieth Century Fox. All Rights Reserved
Récit anthropologique aux milles et une richesses, transcendant son apparat d'actionner bourrin et limité aux gueules magiques (Carl Weathers, Jesse Ventura, Sonny Landham, Bill Duke,...) pour en foutre plein la poire à coups de séquences et de dialogues iconiques (" get to the choooopppppeeeerrrr " en tête), fruit d'un tournage spartiate (et le mot est faible) et d'une volonté de fer, Predator est un chef-d'oeuvre ultime du cinéma burné des 80's, une série B qui allie le fond et la forme sans jamais dénigrer ni l'un ni l'autre, et qui annonce avec fracas la suite de la filmographie de ce qui reste, clairement, comme l'un des cinéastes les plus importants du cinéma ricain de ses quarante dernières années.
Jonathan Chevrier