[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #90. 8MM
© 1999 Global Entertainment Productions GmbH & Co. |
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#90. 8mm de Joel Schumacher (1999)
À chaque fois qu'un ou une cinéaste à le malheur de nous quitter, il y a toujours, instinctivement ou non, une petite part de nous voulant réhabiliter ou ne serait-ce que célébrer un minimum, ses plus beaux essais pour lui rendre hommage ou même rendre justice à un travail parfois pas assez mis en valeur.
Capable de belles fulgurances quand il s'en donnait réellement les moyens (Génération Perdue, Chute Libre, Phone Game), mais surtout capable du pire (certains n'hésiteront même pas à affirmer, que c'est dans le pire qu'il est le meilleur), feu Joel Schumacher nous a laissé il y a quelques semaines dans une indifférence un peu poli, de quoi ressentir l'envie évidente de parler, modestement, de ses films que l'on aime d'amour... Et 8mm en fait clairement parti, une descente aux enfers plus sombre encore que celle opérée par le charismatique Wiliam Foster, et décemment pas à mettre devant tous les regards.
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Se démarquant des thrillers d'investigations autant par l'univers choisi - les crimes au coeur de l'industrie du cinéma underground, et plus directement les snuff-movies -, que par la profondeur de la dépravation inimaginable (mais crédible) dans laquelle doit s'engluer un Nicolas Cage des grands jours, pour résoudre son affaire, dite enquête qui devient le MacGuffin d'une acceptation brutale de la part sombre et bestiale du héros; 8mm ne fait pas dans la dentelle, et c'est la qu'il tire toute sa magie malsaine.
Démarrant comme les pérégrinations d'un privé lisse à la vie (trop) bien rangée, Tom Welles, sommé par la veuve de la plus riche famille de Pennsylvanie, de découvrir l'identité - fictive ou réelle - de la victime d'une sombre vidéo découverte dans le coffre-fort du mari décédé, l'intrigue part vite en sucette en l'espace de quelques dépoussiérage d'indices - et avec l'arrivée d'un employé de sexshop/guide au fond du terrier d'Alice aux pays des horreurs -, allant de l'univers du porno underground craspec à celui d'une production plus immonde, ou toute notion d'humanité est inconnue au bataillon.
Autant quête de vérité, quête initiatique (la manière dont Welles doit lutter avec sa transformation inéluctable, épousant à la perfection la notion de se " salir les mains jusqu'au bout ") et quête vengeresse (un chouïa incohérente, tant le personnage, qui n'arrive même pas à mentir à sa femme sur son usage abusif de la nicotine, arrive pourtant à trouver une boussole morale puissante lorsqu'il est au plus profond des enfers), profondément nihiliste et d'une dépravation débridée (inédite pour un film de grosse major, et la version salle est d'ailleurs censée être une version " aseptisée "), louchant gentiment sur le Se7en de Fincher (Andrew Kevin Walker au script, et un Fincher qui justement, a décliné la réalisation parce que le projet était trop violent) et le bouillant Hardcore de Paul Schrader; 8mm est un vrai polar noir qui ne ment jamais sur la marchandise (adieu la subtilité, bonjour amis bourrins), fournissant sans trembler des secousses viscérales, des rebondissements certes attendus mais intelligents, et une critique sociale affûtée (les classes sociales les plus aisés, sont celles qui sont les plus tentées d'assouvir leurs pulsions primaires), troublant suffisamment son auditoire pour ne pas le perdre, et le captiver tout du long.
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Avec un vrai casting de gueules inquiétantes et diaboliques (Chris " Machine ! " Bauer, feu James Gandolfini et Peter Stormare, donnant de la chair et de la haine à des personnages qui en avaient cruellement besoin pour ne pas être juste détestables), pervertissant la chaleur de l'alchimie réconfortante du tandem Joaquin Phoenix/Nicolas Cage (qui offre une partition retenue avant de lâcher les chevaux dans son dernier tiers, et nous rappeler à ses grandes heures de cabotinage extrême), un score discret et une photo terreuse et granuleuse (ou les différents niveaux d'obscurité sont profonds et encrés), 8mm est un petit bout de cinéma dérangeant qui vaut bien mieux que sa piètre réputation... un peu comme son metteur en scène.
Jonathan Chevrier