[CRITIQUE] : The Shaman Sorceress
Réalisateur : Ahn Jae-huun
Avec les voix de : -
Distributeur : -
Budget : -
Genre : Animation.
Nationalité : Sud-coréen.
Durée : 1h25min.
Synopsis :
Une fille muette et son père ont laissé chez moi un tableau intitulé "La Sorcière chamane". Cette représentation vaut mille mots. Une chamane dénommée Mohwa, qui vit avec sa fille muette Nang-yi et son mari, a pratiqué le chamanisme durant toute son existence. Un jour, son fils Wook-yi revient à la maison après plusieurs années d'absence, et après s'être converti au christianisme. Cela provoque un conflit et mène sa famille à la tragédie.
Critique :
Entre le regard affûté sur l'érosion de la culture coréenne face à la modernisation, le témoignage sincère de l'effondrement de la foi et des valeurs collectives, et le drame familial bouleversant,#TheShamanSorceress est une proposition aussi séduisante et prenante que singulière pic.twitter.com/PiQMxG466x— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) June 17, 2020
Adapté du roman de Kim Dong-ri, La chamane nommé au prix Nobel de littérature en 1982, le film de Ahn Jae-huun s’intéresse à la relation tendue d’une famille avec deux religions bien distinctes.
The Shaman Sorceress est présenté dans la catégorie Contrechamp de cette édition du festival de Annecy en ligne. Les festivaliers avaient pu voir un extrait lors de l’édition de 2016, où l'équipe avait présenté son Work in Progress. Avec une animation colorée, ponctuée de moments chantés et dansés, le film de Ahn Jae-huun dépeint une réelle tragédie, celle d’une famille soudée qui perd pied lorsqu’elle est confrontée à une différence d’opinion majeure.
Mohwa, la mère est une chamane respectée dans son village, malgré son choix d’être mère hors-mariage, deux fois, avec deux pères différents. Elle élève Wook-yi son ainé et la petite Nang-yi. Sa précarité l’oblige à se séparer de Wook-yi et à le placer dans un temple bouddhiste. Sa fille vit très mal cette séparation, tombe malade et devient par la suite sourde. Il finit par revenir, après s’être enfui du temple et s’être converti au christianisme dans la capitale. Wook-yi se sent investi d’une mission, celle de convertir à son tour sa mère et sa jeune sœur, qu’il pense perdues à cause du chamanisme, brouillant leurs esprits, les empêchant de comprendre les paroles du Christ. Cette histoire nous est contée par un narrateur extérieur, qui expose l’esprit mélancolique se dégageant du film avec un prologue où il se remémore la fortune familiale maintenant disparue. L’animation détaille la somptueuse demeure du narrateur, évoquant le passé, l’élégance des traditions. La vente des œuvres d’art du grand-père sert de métaphore à la disparition de la culture coréenne ancienne au profit de la modernité. Une époque se termine, mais Nang-yi a le don de la faire revivre grâce à sa peinture. Privée de leurs biens, la famille du narrateur l’accueille avec bienveillance, pour apaiser la douleur de leur gloire passée.
Mohwa est une femme qui assume ses convictions, contournant les frontières des us et coutumes de la société patriarcale, où les femmes n’ont pas beaucoup d’amplitude. Ce n’est pas par égoïsme qu’elle envoie Wook-yi loin d’elle, mais bien parce que c’était l’unique solution pour que son fils reçoive une éducation digne de ce nom. Son choix va avoir des répercussions douloureuses pour cette famille pauvre, mais heureuse. L’animation creuse cet aspect doux et protecteur qu’a cette maisonnée, loin de se douter du schisme qui va les séparer physiquement et idéologiquement. Nang-yi n’est pas la seule à tomber malade au départ de son frère, Mohwa succombe également à une drôle de maladie et en sort avec la capacité à exorciser les démons. Le style du film se met au diapason du récit, représentant les danses chamaniques avec des couleurs éclatantes et une musique au tambour percutante. C’est avec subtilité que Ahn Jae-huun tisse la psychologie de Mohwa, persuadée de son pouvoir et nourrissant par sa conviction la dévotion des habitants. Si Wook-yi essaye de convertir sa mère à sa religion, elle fait la même chose de son côté, avec des rituels pour enlever le démon qu’elle appelle “le fantôme de Jésus” qui posséderait son corps. C’est le choc brutal entre l’orient et l’occident, entre deux générations persuadées d’avoir raison qui crée la tragédie. The Shaman Sorceress se nourrit d’une dimension politique bien réelle, celle de la modernisation de la culture coréenne amenée par (mais pas seulement) une occidentalisation du pays pour étudier l’effondrement de la foi des anciennes traditions. Mowha a l’impression de perdre ses pouvoirs à mesure que le christianisme prend de l’ampleur chez son fils et dans le village. Elle perdra le respect acquis par sa profession, et sera remise dans sa condition initiale : une mère célibataire et maintenant alcoolique de surcroît. Un petit aspect viendra ternir un temps soit peu la subtilité du récit, avec une névrose sexuelle subite chez Nang-yi, qui repart comme elle est venue, sans que cela ne soit expliqué, ni cohérent avec le reste.
Comme pour une comédie musicale, les chansons viennent ponctuer les émotions des personnages ou faire avancer le récit. Avec tout d’abord un air traditionnel, elles se transforment petit à petit en chansons modernes, que ne renieraient pas une certaine firme aux grandes oreilles, accentuant l’érosion de la culture au profit de produit plus mainstream. Mélangeant l’animation 2D avec la 3D, The Shaman Sorceress fait la part belle aux paysages tout en rendant statique les personnages avec des expressions faciales plus limitées, peut-être pour accentuer l'emprisonnement des personnages pour des croyances qui mettent fin à la bonne entente familiale. Une fresque familiale teintée de tragédie dans un contexte politique tendu.
Laura Enjolvy
Situé à un moment charnière de l'histoire coréenne, au moment ou le féodalisme à cédé la place à la modernité, The Shaman Sorceress de Ahn Jae-huun, dépeint la tragédie d'une mère chamane qui perd pieds quand sa pratique spirituelle est contestée par le christianisme de son propre fils.
Basé sur une nouvelle écrite en 1936 par le nominé au prix Nobel Kim Dong-ree, le film est savoureusement ponctué de chants et de danses (entre pansori traditionnel et rythmes plus modernes), ce qui lui confère le souffle émotionnel d'une comédie musicale animée et franchement coloré, un rafraîchissement de tous les instants qui tranche avec la dureté de son propos, et l'ambivalence de son animation; mélange hybride mais enchanteur entre le style dessiné à la main, très expressif et resplendissant de détails d'époque, et une technique délibérément plus rustre et primitive.
Dans un prologue qui installe avec justesse l'esprit mélancolique qui imbibe tout le métrage, le narrateur se remémore les prémisses puis la chute de la fortune familiale, un instant de pur poésie ou des illustrations somptueusement détaillées de son domaine ancestral, évoquent l'élégance d'une époque révolue, et ou la dissipation de la collection d'art de son grand-père sert presque de métaphore à la disparition de la culture coréenne traditionnelle.
Ancrée dans un monde de gloire fanée et de famille démunie, l'histoire nous ramène toujours entre passé et présent, auprès de Nang-yi, une fillette malentendante aux yeux tristes qui a en elle le don de la peinture, et qui est profondément attaché à son frère aîné, Wook-i, à tel point qu'elle tombera malade à son départ (et deviendra sourde).
Elle est la fille de Mohwa, une femme qui a choisi de devenir mère hors mariage, par deux fois; une mère chamane qui représente un exemple rare d'une femme qui contourne les frontières de la société patriarcale, radicale à l'époque, et toujours encore aujourd'hui, vu les normes coréennes contemporaines.
Le coeur du métrage est justement les tourments cette mère courage, et la dimension psychologique intrigante qui l'entoure, elle qui est convaincue de posséder en elle l'a magie du chamanisme, et qui se nourrit de la croyance de ses disciples.
Tout sera bousculé lors du retour à la maison de son fils, chrétien affirmé qu'elle pense possédé par des démons (elle appelle son Dieu «le fantôme de Jésus»), une confrontation qui symbolise non seulement le malaise culturel face à la montée progressive de la manifestation occidentale en Corée, mais qui capture aussi et surtout le douloureux choc entre les volontés/croyances de deux générations qui peinent à s'unir; entre perte de contrôle et mépris intime.
Entre le regard affûté sur l'érosion de la culture coréenne des causes de la modernisation (et même de l'occidentalisation), le témoignage sincère de l'effondrement de la foi et des valeurs collectives, et le drame familial bouleversant (couplé à une crise identitaire tragique d'une mère célibataire et isolée); The Shaman Sorceress, un poil plombé par son dernier acte très pathos, est une proposition singulière et séduisante.
Singulière car contrairement aux animations japonaises sophistiquées dont nous sommes habitués, où les paysages vibrent de vie, la plupart de l'action ici est porté par les mouvements de la caméra qui parcourt de superbes dessins.
Une belle surprise.
Jonathan Chevrier
© Mirovision Inc. |
Mohwa est une femme qui assume ses convictions, contournant les frontières des us et coutumes de la société patriarcale, où les femmes n’ont pas beaucoup d’amplitude. Ce n’est pas par égoïsme qu’elle envoie Wook-yi loin d’elle, mais bien parce que c’était l’unique solution pour que son fils reçoive une éducation digne de ce nom. Son choix va avoir des répercussions douloureuses pour cette famille pauvre, mais heureuse. L’animation creuse cet aspect doux et protecteur qu’a cette maisonnée, loin de se douter du schisme qui va les séparer physiquement et idéologiquement. Nang-yi n’est pas la seule à tomber malade au départ de son frère, Mohwa succombe également à une drôle de maladie et en sort avec la capacité à exorciser les démons. Le style du film se met au diapason du récit, représentant les danses chamaniques avec des couleurs éclatantes et une musique au tambour percutante. C’est avec subtilité que Ahn Jae-huun tisse la psychologie de Mohwa, persuadée de son pouvoir et nourrissant par sa conviction la dévotion des habitants. Si Wook-yi essaye de convertir sa mère à sa religion, elle fait la même chose de son côté, avec des rituels pour enlever le démon qu’elle appelle “le fantôme de Jésus” qui posséderait son corps. C’est le choc brutal entre l’orient et l’occident, entre deux générations persuadées d’avoir raison qui crée la tragédie. The Shaman Sorceress se nourrit d’une dimension politique bien réelle, celle de la modernisation de la culture coréenne amenée par (mais pas seulement) une occidentalisation du pays pour étudier l’effondrement de la foi des anciennes traditions. Mowha a l’impression de perdre ses pouvoirs à mesure que le christianisme prend de l’ampleur chez son fils et dans le village. Elle perdra le respect acquis par sa profession, et sera remise dans sa condition initiale : une mère célibataire et maintenant alcoolique de surcroît. Un petit aspect viendra ternir un temps soit peu la subtilité du récit, avec une névrose sexuelle subite chez Nang-yi, qui repart comme elle est venue, sans que cela ne soit expliqué, ni cohérent avec le reste.
© Mirovision Inc. |
Comme pour une comédie musicale, les chansons viennent ponctuer les émotions des personnages ou faire avancer le récit. Avec tout d’abord un air traditionnel, elles se transforment petit à petit en chansons modernes, que ne renieraient pas une certaine firme aux grandes oreilles, accentuant l’érosion de la culture au profit de produit plus mainstream. Mélangeant l’animation 2D avec la 3D, The Shaman Sorceress fait la part belle aux paysages tout en rendant statique les personnages avec des expressions faciales plus limitées, peut-être pour accentuer l'emprisonnement des personnages pour des croyances qui mettent fin à la bonne entente familiale. Une fresque familiale teintée de tragédie dans un contexte politique tendu.
Laura Enjolvy
© Mirovision Inc. |
Situé à un moment charnière de l'histoire coréenne, au moment ou le féodalisme à cédé la place à la modernité, The Shaman Sorceress de Ahn Jae-huun, dépeint la tragédie d'une mère chamane qui perd pieds quand sa pratique spirituelle est contestée par le christianisme de son propre fils.
Basé sur une nouvelle écrite en 1936 par le nominé au prix Nobel Kim Dong-ree, le film est savoureusement ponctué de chants et de danses (entre pansori traditionnel et rythmes plus modernes), ce qui lui confère le souffle émotionnel d'une comédie musicale animée et franchement coloré, un rafraîchissement de tous les instants qui tranche avec la dureté de son propos, et l'ambivalence de son animation; mélange hybride mais enchanteur entre le style dessiné à la main, très expressif et resplendissant de détails d'époque, et une technique délibérément plus rustre et primitive.
Dans un prologue qui installe avec justesse l'esprit mélancolique qui imbibe tout le métrage, le narrateur se remémore les prémisses puis la chute de la fortune familiale, un instant de pur poésie ou des illustrations somptueusement détaillées de son domaine ancestral, évoquent l'élégance d'une époque révolue, et ou la dissipation de la collection d'art de son grand-père sert presque de métaphore à la disparition de la culture coréenne traditionnelle.
Ancrée dans un monde de gloire fanée et de famille démunie, l'histoire nous ramène toujours entre passé et présent, auprès de Nang-yi, une fillette malentendante aux yeux tristes qui a en elle le don de la peinture, et qui est profondément attaché à son frère aîné, Wook-i, à tel point qu'elle tombera malade à son départ (et deviendra sourde).
© Mirovision Inc. |
Elle est la fille de Mohwa, une femme qui a choisi de devenir mère hors mariage, par deux fois; une mère chamane qui représente un exemple rare d'une femme qui contourne les frontières de la société patriarcale, radicale à l'époque, et toujours encore aujourd'hui, vu les normes coréennes contemporaines.
Le coeur du métrage est justement les tourments cette mère courage, et la dimension psychologique intrigante qui l'entoure, elle qui est convaincue de posséder en elle l'a magie du chamanisme, et qui se nourrit de la croyance de ses disciples.
Tout sera bousculé lors du retour à la maison de son fils, chrétien affirmé qu'elle pense possédé par des démons (elle appelle son Dieu «le fantôme de Jésus»), une confrontation qui symbolise non seulement le malaise culturel face à la montée progressive de la manifestation occidentale en Corée, mais qui capture aussi et surtout le douloureux choc entre les volontés/croyances de deux générations qui peinent à s'unir; entre perte de contrôle et mépris intime.
Entre le regard affûté sur l'érosion de la culture coréenne des causes de la modernisation (et même de l'occidentalisation), le témoignage sincère de l'effondrement de la foi et des valeurs collectives, et le drame familial bouleversant (couplé à une crise identitaire tragique d'une mère célibataire et isolée); The Shaman Sorceress, un poil plombé par son dernier acte très pathos, est une proposition singulière et séduisante.
Singulière car contrairement aux animations japonaises sophistiquées dont nous sommes habitués, où les paysages vibrent de vie, la plupart de l'action ici est porté par les mouvements de la caméra qui parcourt de superbes dessins.
Une belle surprise.
Jonathan Chevrier