[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #109. Kiki’s Delivery Service (Majo no takkyubin)
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Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#109. Kiki la petite sorcière d'Hayao Miyazaki (1989)
Il y a quelque chose de profondément grisant et didactique de replonger avec un oeil adulte, sur les premières oeuvres d'un cinéaste que l'on chérit depuis que nous sommes biberonnés par le septième art; et encore plus quand celui-ci est un conteur hors pair tel qu'Hayao Miyazaki, dont tous les films (oui, tous) sont - au minimum - des pépites.
Surtout que ces premiers films ont gentiment pris leur temps pour débarquer dans l'hexagone, la faute à un mélange obscur de distribution difficile et d'intérêt relatif pour une animation familial plus sombre et débridée, en comparaison à tout ce qui est pondu avec plus ou moins de conviction par, entre autres (mais surtout), la firme aux grandes oreilles.
Heureusement réhabilité au tout début des années 2000 dans nos salles obscures (notamment grâce à... Walt Disney, aussi contradictoire que cela puisse paraître), et désormais disponible sur une Netflix qui a réalisé un joli coup de poker - surtout vu la période moribonde actuelle -, ils sont des séances à ne manquer sous aucun prétexte, Kiki la petite dorcière en tête, sorte de grande soeur de Chihiro, qui réunissait déjà en son temps (la fin des 80's), tous les thèmes charnières de la firme Ghibli... tout en étant diamétralement différent.
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Initiation " à la dure " vers l'âge adulte, d'une petite sorcière craquante, ou Miyazaki marie l'universel et le singulier avec un naturel jamais heurté et un humanisme terrassant, le film, épuré de tout aspect merveilleux futile, évite tout regard sombre et ténébreux pour embrasser une sensibilité implacable, et une passion démesuré pour ses personnages à la normalité et à la sincérité rafraîchissante.
En effet, impossible de ne pas se prendre d'affection pour Kiki, petit bout de femme de treize ans et sorcière en devenir, qui doit quitter les siens et rejoindre une ville inconnue (mais très Europe occidentale, voire même très italienne) pendant un an, pour parfaire son apprentissage.
Là-bas, elle va peu à peu perdre son espièglerie et sa singularité (donc ses pouvoirs) au contact d'une société insidieusement normative, qui gomme l'indépendance et la différence au profit d'une uniformité de groupe étouffante et fragilisée par les inégalités.
Un poil engagé (notamment sur la question écologique et sur l'industrialisation galopante, mais dans un ton définitivement moins radical que pour Princesse Mononoké) mais surtout savoureusement léger et émouvant, le plaçant de facto comme un aîné (comme dit plus haut) du Voyage de Chihiro ou de Ponyo sur la falaise, la péloche est une ode (très) drôle et délicieuse à la vie dans tout ce qu'elle a de plus simple et merveilleuse (il en sublime même la banalité des scènes du quotidien), ou l'amour - sous toutes ses formes - est le moteur le plus vibrant.
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Ancré dans un univers réaliste (commun pour nous, mais sans doute savoureusement exotique pour le public nippon) même si pétri de petites loufoqueries so-Miyazaki (un amour certain et assumé pour l'aviation, les animaux parlants, notamment ici le chat - évidemment - noir Jiji, et son cynisme ravageur,...), prônant des valeurs universelles et nobles (l'acceptation de soi et des autres, la solidarité, l'amitié,...) et d'une animation certes moins fluide que pour les derniers nés Ghibli, mais d'une richesse et d'une énergie débordante; Kiki la petite sorcière, sublimé par les sonorités harmonieuses du maître Joe Hisaichi, est une merveille de récit initiatique/identitaire modeste et d'une poésie rare, une oeuvre très (trop) courte et aboutie, dont la magie ne fait que croître au fil des visions.
Comme tout grand film Ghibli en somme.
Jonathan Chevrier