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[CRITIQUE] : Emma


Réalisatrice : Autumn de Wilde
Acteurs : Anya Taylor-Joy, Johnny Flynn, Josh O’Connor, Mia Goth, Bill Nighy,...
Distributeur : Universal Pictures International France (?)
Budget : -
Genre : Romance, Drame, Comédie
Nationalité : Britannique
Durée : 2h05min

Synopsis :
Adaptation du roman éponyme de Jane Austen sorti en 1815.
Emma Woodhouse tente de faire rencontre aux célibataires de son cercle d'amis leur âme soeur.



Critique :





Emma, le premier long-métrage de la photographe Autumn de Wilde, est un des films directement impactés par l’épidémie du Covid-19. Alors qu’il était prévu en salles, le film a fini par être mis à disposition par Universal en vidéo à la demande, tout d’abord aux États-unis, puis dans d’autres pays. Comme son titre l’indique, le film est une nouvelle adaptation du roman écrit par Jane Austen et publié en 1815. Réunissant un casting britannique des plus impressionnants, la réalisatrice nous offre un objet cinématographique très beau visuellement, avec un travail marqué sur les décors et les costumes, aux cadrages inspirés par les tableaux romantiques, à la lumière rose poudré, mais qui pourtant déploie un récit beaucoup plus incisif qu’il n’y paraît. 


Copyright Universal Pictures International France

De toutes les héroïnes de l’autrice, Emma est la moins appréciée. Difficile de s’identifier à une personne si égocentrique et manipulatrice, qui réfute tout commentaire sur son comportement. C’est pourquoi, dans les différentes adaptations qui ont vu le jour, la critique de la bourgeoisie avait tendance à être édulcorée au profit de l’histoire de triangle amoureux, certes plaisant à regarder, mais qui ne pouvait pas s'élever au niveau du livre. Ironiquement, c’est en modernisant le récit que la réalisatrice Amy Heckerling avait donné naissance à l’adaptation (très libre) la plus convaincante et pertinente avec le film Clueless en 1995. Pourtant, Autumn de Wilde et sa scénariste Eleanor Catton, préfèrent revenir à la base du roman et nous offrent un film d’époque, avec costumes élégants et une bourgeoisie omniprésente. Mais c’est parce que le film regorge de beauté esthétique, avec des plans léchés et une lumière douce pastel que le récit nous paraît encore plus cruel. La superficialité assumée de Emma joue sur ce que nous voyons à l’écran et offre un contrepoint intéressant avec le comportement de l'héroïne et de ses proches.
Emma est la jeune femme accomplie de son temps : riche, belle, intelligence, qui vit avec son père dans un magnifique château. Alors qu’elle voit sa dame de compagnie, Miss Taylor, se marier, elle se voit ainsi privée de sa seule source de distraction. Elle se met en tête qu’elle est la seule raison du mariage de sa chère amie et décide de réitérer l’expérience. Elle prend alors sous son aile une jeune fille orpheline, fille illégitime, qu’elle veut marier à tout prix, pour lui donner un rang (qu’elle ne peut atteindre à cause de sa situation). C’est décidé, Harriet épousera Mr Elton, le pasteur du village, désespérément célibataire. Bien évidemment, rien ne se passe comme elle l’imagine, allant de frustration en frustration. L’argent et le charisme ne font pas tout, et le personnage va se heurter aux désillusions, que son rang et sa beauté lui ont jusque là éviter l’expérience. 


Copyright Universal Pictures International France

Comme tous ses romans et nouvelles, il faut voir dans le livre de Jane Austen plus qu’une histoire d’amour. Avec un style bien à elle, l’autrice diffusait beaucoup d’auto-dérision, d’humour, une critique de la société de son époque, de la bourgeoisie tellement déconnectée de la réalité que cela en devient drôle. Le film de Autumn de Wilde, essaye de retrouver cette atmosphère, un récit léger, qui cache un propos beaucoup plus profond. Pour ce faire, elle n’hésite pas à montrer son héroïne principale dans toute son hostilité, dès la scène d’ouverture. Alors qu’elle se lève tôt pour créer le bouquet de mariée de Miss Taylor, future Mrs. Weston, elle emmène avec elle deux domestiques, pour lui tenir une bougie et lui couper les fleurs qu’elle choisit. Cette tâche, qu’elle pouvait accomplir seule, déploie tout un stratagème, que seule une personne de son rang peut jouir. Les domestiques sont d’ailleurs très présents tout le long du long-métrage, mais ne possèdent aucune âme. Ils n’existent pas aux yeux des personnages, ils ne leur parlent jamais, même pour les remercier de leur service. Dans la maison des Woodhouse, les domestiques sont utilisés comme des objets, qui doivent tenir des plats, doivent se battre contre un courant d’air inexistant ou réchauffer le père de Emma, hypocondriaque et facilement angoissé. Anya Taylor-Joy interprète l’héroïne principale parfaitement, avec son regard glaçant et ses petites mimiques condescendantes. Le film donne la part belle aux dialogues, qui sont le cœur des romans austaniens. Ils sont ici partiellement conservés, et prouvent, s’il fallait encore le faire, la modernité qui se dégage de l’autrice. L’opinion de Emma sur le mariage est teinté par les notions de consentement et de choix, deux choses que les femmes ne pouvaient se permettre à l’époque, à part si elles avaient le privilège de bénéficier d’une fortune considérable. Les personnages féminins doivent alors mener une vraie bataille pour se marier par amour, ou pour tout simplement obtenir le privilège du choix. Si le film donne à voir tout ceci avec un ton humoristique, qui sied à l'histoire, le propos est là. 

Copyright Universal Pictures International France

C’est pour cela qu’il est dommage qu’Emma n’aille pas jusqu’au bout de sa cruauté et bascule dans les dernières séquences du film dans une mièvrerie un peu gauche, quoique plaisante. Le changement du caractère du personnage, qui apprend des conséquences de ses actes, se fait beaucoup trop rapidement, ce qui décrédibilise l’ensemble du film. Cependant, le long-métrage fonctionne grâce aux acteurs convaincants, qui donnent une autre dimension aux personnages du livre. Derrière son air de tableau romantique, de maison de poupée, Emma nous donne à voir une bourgeoisie déconnectée de la réalité, jouissant d’un privilège qui l’aveugle aux sorts des autres. Sous la frivolité se cache la cruauté, celle de l’ignorance de la lutte des classes, qui résonne étrangement avec notre époque.


Laura Enjolvy 


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