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[CRITIQUE] : Monos


Réalisateur : Alejandro Landes
Acteurs : Julianne Nicholson, Moises Arias, Sofia Buenaventura,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Colombien, Argentin, Néerlandais, Allemand, Suédois, Uruguayen, Danois, Américain.
Durée : 1h43min.

Synopsis :
Dans ce qui ressemble à un camp de vacances isolé au sommet des montagnes colombiennes, des adolescents, tous armés, sont en réalité chargés de veiller à ce que Doctora, une otage américaine, reste en vie. Mais quand ils tuent accidentellement la vache prêtée par les paysans du coin, et que l'armée régulière se rapproche, l'heure n'est plus au jeu mais à la fuite dans la jungle...




Critique :


Il y a des petites claques qui se frayent un chemin dans les salles obscures sans qu'on ne les voit trop venir, même si elles draguent joliment quelques-uns des festivals les plus huppés du vieux continent, et Monos du cinéaste cinéaste colombien Alejandro Landes, est clairement l'une des meilleures choses que vous pourrez voir au cinéma en ce pluvieux début de mois de mars; un thriller incroyablement tendu et profondément fou, sorte de rejeton irrévérencieux et brillant de Sa Majesté les Mouches et
Aguirre, la colère de Dieu du roi Herzog, dont un ressort littéralement K.O.
Plongée bouillonnante au coeur d'une micro-société dysfonctionnelle, le cinéaste décortique la dynamique changeante du pouvoir d'un culte quand la folie ancrée dans l'esprit des enfants soldats bascule, quand les ressentiments nourris dans une unité militaire sans un officier commandant explose, et que les failles d'une " dynamique " sociale déviante deviennent incontrôlables.




Il pose son regard sans concession sur l'Organisation, sorte de groupe de guerriers/soldats adolescents retirés dans les montagnes, encouragés par des " superieurs " à baigner dans la violence la plus décomplexée - aux rites initiatiques humiliants - et une autonomie aussi fragile que dangereuse et toxique; des guerriers en culottes courtes à l'éducation fantomatique, dont la passion pour vider les chargeurs de leurs semi-automatiques les mènera au désastre et au chaos le plus rude qui soit - lui qui était pourtant déjà bien conséquent.
Thriller méditatif tendu et captivant, Monos ne se préoccupe pas simplement de montrer une situation statique et surréelle qui se détériore de manière inéluctable, il en explore toutes les facettes et les causes avec brutalité et surréalisme, attirant constamment l'attention sur l'absurdité et la tristesse abyssale de ces enfants qui tentent d'imiter les actions sanguinaires des adultes, le tout filtré au travers d'une poussée d'hormones brûlante (les scènes d'intimité ont la même immédiateté que la crudité des envolées violentes), d'une maladresse évidente et d'un sentiment d'insécurité inhérent à l'adolescence.
Une bataille pour survivre à tous les niveaux (celle des enfants soldats, de leur otage campée par une Julianne Nicholson incroyable, et des forces dangereuses qui les mettent tous les deux en danger et en conflit), jamais moralisatrice (la péloche intime même au spectateur de considérer les circonstances des actes/décisions de chacun à l'écran, en en faisant autant des victimes que des méchants) ni même totalement partisane (les notions du bien et du mal sont clairement moins nettes que l'urgence intense de rester en vie), mais surtout jamais accordé sur le même rythme, comme s'il incitait son auditoire à constamment rester à l'affût du plus improblable (un moment de bravoure impromptu, la mise en avant d'un personnage pensé comme peu crucial à l'intrigue,...).




Poussant sur un terrain résolument familier tout autant qu'il cherche tout du long à se forger sa propre voie, littéralement hors du temps, mise en scène avec fluidité et sublimé autant par la photographie hypnotique de Jasper Wolf (il fait du métrage un merveilleux songe brumeux au coeur d'un paradis montagneux luxuriant, cédant peu à peu sa place au bourdonnement suave de la jungle) que le score percutant et dérangeant du compositeur Mica Levi (véhicule sonore d'une anxiété planante); Monos est un thriller surréaliste et sensoriel presque post-apocalyptique, une immersion primitive et implacable au coeur de la terreur, ou la violence pervertie tout et détruit tout, même l'enfance.
Une invitation mystérieuse et rare, qu'il serait bien dommage de décliner.


Jonathan Chevrier