[FUCKING SERIES] : Pluribus saison 1 : Everything is (not) awesome
(Critique - avec spoilers - de la saison 1)
La question était toute aussi saine qu'évidente, passé les réussites implacables de Breaking Bad et (surtout) Better Call Saul : Vince Gilligan allait-il être l'homme d'un (double) gros coup, où l'un des faiseurs de rêves - et de cauchemars - les plus talentueux de sa génération, capable de scotcher son auditoire à chaque retour sur le petit écran ?
Pluribus, objet télévisuel hautement ambitieux et casse-gueule (que l'on peut penser comme une cousine pas si éloignée, de The Leftlovers voire d'une Severance également produite et diffusée par Apple TV... pas de hasard), qui poussait le bonhomme à arpenter le terrain hautement sinueux de la science-fiction à forte tendance métaphysique, apporte une réponse claire et limpide en à peine une poignée de minutes : le bonhomme en a dans la plume, et pas qu'un peu.
Bien moins avare en réponses que le show chapeauté par Ben Stiller (dont la capacité d'apporter des résolutions satisfaisantes aux réponses/mystères qu'il compose, semble de plus en plus vaciller avec le temps), la nouvelle création de Gilligan s'amuse tout du long de ses neuf épisodes à triturer son postulat de départ digne d'un (bon) épisode de La Quatrième Dimension sauce Le Prisonnier, au moins autant qu'il s'échine à en révéler ses tenants à mesure que les questionnements s'imposent à son auditoire.
À l'image même, au fond, d'un monde qui semble désireux de satisfaire une héroïne qui, refusant d'accepter la réalité qui lui est imposé à la suite d'un événement cataclysmique (qui instaure bonheur, paix et félicité sur toute la planète... t'as la référence), entreprend de la renverser.
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Et tout est là, dans le refus d'une reddition si facile d'une femme qui sait que quelque chose ne va pas, qui a totalement conscience que cette conversion de l'humanité en une sorte de conscience collective étrange et à la passivité troublante, cache quelque chose de sinistre : tous où presque (seuls quelques " immunisés " subsistent) sont amicaux et partagent le désir comme l'expression cohérente d'une existence paisible et harmonieuse.
L'argumentaire est convaincant (qui n'aurait pas envie d'être réellement heureux, dans la vie ?), mais l'exécution flaire un peu trop la vaseline pour paraître totalement vraie.
Une relecture de L'Invasion des profanateurs de sépultures sans petits hommes verts - où presque - ni invasion (mais avec toute la paranoïa et le poids psychologique qu'un tel cocktail impose), où l'individualisme purement nord-américain serait bousculé par une valorisation de l'esprit de communauté à la résonnance sensiblement plus latino-américaine, flanqué dans un cadre - le Nouveau-Mexique - à l'héritage social et culturelle amérindien aussi douloureux que dense (une fusion/confluences d'influences hétéroclites, à la fois espagnole, mexicaine et américaine); le tout avec un prisme moins spectaculaire qu'intime, au plus près d'une anti-héroïne écrivaine à la misanthropie exacerbée (et encore plus envers ses propres fans), ni bénie par son talent et sa célébrité.
La popote paraît chargée mais elle tient merveilleusement bien la route sur cette première saison, autopsie d'une fin du monde au coeur d'une humanité absurde et terrifiante, où l'on crie " no future " sans un bruit et dans une détresse abyssale, aux côtés d'une âme endeuillée et tiraillée de toutes parts, à la complexité émotionnelle rare (une Rhea Seehorn absolument renversante, paradoxalement antipathique et profondément héroïque), dont la solitude insondable est le pire - mais pourtant essentiel dans un tel univers - compagnon de souffrance qui soit, dans son combat pour s'adapter comme se rebeller face à cette nouvelle normalité.
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Une épopée post-apocalyptique (où post-confinement, c'est selon, où l'important n'est pas tant ce qu'il s'est passé mais bien comment cela a affecté ceux qui ont survécus) horrifique et mélancolique, philosophique et grinçante qui se nourrit des contradictions, mise en scène d'une manière toute aussi dépouillée d'artifices putassiers que chirurgicale, où chaque plan est méticuleusement pensé et exécuté pour servir son histoire (et non l'inverse, une nouvelle preuve de l'intelligence télévisuelle de Gilligan, et de son amour pour une narration télévisuelle claire et à la conclusion déjà établie); l'exemple parfait d'une série qui exige toute l'attention de son auditoire, mais sait habilement bien lui rendre en retour.
Ce type de proposition est rare aujourd'hui, autant en profiter comme il se doit, même s'il va méchamment falloir s'armer de patience pour avoir la suite...
Jonathan Chevrier








