[C’ÉTAIT DANS TA TV] : #6. Pushing Daisies
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Avant de devenir des cinéphiles plus ou moins en puissance, nous avons tous été biberonnés par nos chères télévisions, de loin les baby-sitter les plus fidèles que nous ayons connus (merci maman, merci papa).
Des dessins animés gentiment débiles aux mangas violents (... dixit Ségolène Royal), des teens shows cucul la praline aux dramas passionnants, en passant par les sitcoms hilarants ou encore les mini-séries occasionnelles, la Fucking Team reviendra sur tout ce qui a fait la télé pour elle, puisera dans sa nostalgie et ses souvenirs, et dégainera sa plume aussi vite que sa télécommande.
Prêts ? Zappez !!!
#6. Pushing Daisies (2007-2009)
Le dicton (ou la chanson... peut importe), assure que ce sont toujours les meilleurs qui nous quittent en premier, et force est d'avouer que si la chose est infiniment vraie dans la vie, elle l'est également sur le petit écran, surtout quand on l'associe avec tristesse aux créations du génial Bryan Fuller, dont la côte d'amour auprès des networks et du public US, a une date de péremption infiniment trop courte et indigne de son talent.
Si l'on pleure encore et toujours l'annulation de sa merveilleuse Hannibal (love you forever Mads), c'est peut-être la disparition précoce de son bijou Pushing Daisies, qui nous aura finalement le plus fait du mal, elle qui se classe gentiment tout en haut dans le Top des séries qui mériteraient d'être ressuscitée... un comble quand on sait qu'elle parle justement de mort, et de possibilité de faire renaître les choses.
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Car même si cela fait déjà plus d'une décennie que The Pie Hole n'a plus servi la moindre part de tarte, le plaisir est toujours aussi intact de s'y rendre, de flairer la chaleur des fruits chauds et de laisser sa rétine s'imbiber de décors colorées et baroques (tout droit sorties de l'imaginaire de Roald Dahl et Tim Burton), mais surtout de laisser nos esprits - et même nos coeurs - se remémorer avec enthousiasme de tous ces petits détails magiques qui ont fait non pas que la série soit géniale (elle l'est, la question ne se pose même pas une seule seconde), mais pourquoi elle restera à jamais, inoubliable.
Un show à part, sorte de mélange incroyablement doux de cop show (une enquête par épisode, qui n'a rien a envié à la loufoquerie géniale de la résolument moins fantastique Clair de Lune), de gentillesse et de belle bizarrerie (même si parfois profondément glauque, mais jamais repoussante), enveloppés dans une compote de rhubarbes, de cerises et d'un amour follement empathique; un show traitant de la mort tout autant qu'il est férocement ancré dans le monde des vivants, avec toute la complexité, les bonheurs et les douleurs qu'il comporte.
Elle en épouse d'ailleurs tous les points d'ancrage importants qui rendent une existence complète : l'amour, la perte, la famille, la tristesse, le chagrin, les rires et les pleurs; pour mieux en retranscrire la vérité, dans une sorte de cocon de conte de fées savoureusement décalé - voire un brin tordu - et rétro, dont chaque effet surréaliste et coloré semble tout droit sortie des histoires éphémères que nos parents nous comptaient pour nous endormir chaque soir.
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On y suivait passionnément et assidûment les aléas du jeune Ned, petit garçon lambda qui un jour d'été, se découvre le pouvoir extraordinaire de faire revivre les morts rien qu'en les touchant du bout du doigt (un don qui n'aura aucune explication saugrenue ni même de mythologie plombante, et c'est tout ce qui en fait sa force).
C'est après avoir fait revivre son chien Rugby, des suites d'un terrible accident de camion (il est passé sous les roues, en s'amusant avec son jeune maître), mais surtout sa mère quelques jours plus tard, qui fut frappée par une attaque foudroyante, qu'il réalisera que son don à un sacré revers de la médaille; en effet, si une touche signifie la vie, une autre touche signale la mort pour toujours.
Malheureusement, cet étrange cadeau prend une vie une minute plus tard pour maintenir l'équilibre, et en sauvant sa mère, il condamnera le père de sa meilleure amie Charlotte - Chuck pour les intimes -, puis maladroitement sa mère en la touchant à nouveau au moment de lui souhaiter une bonne nuit.
Cette double action tragique, qui se déroule sur une poignée d'heures, scellera les jeunes existences de Ned et Chuck dont la séparation semblait éternelle jusqu'à ce que, bon dans le temps magique oblige, la magie de l'amour et de la destinée entre en jeu.
Désormais adulte et comblant son vide affectif comme il le peut (c'est à dire dans la fragile et enivrante nostalgie du passé), Ned (formidable Lee Pace) est devenu le pâtissier en chef de The Pie Hole, un diner pour les amateurs exigeants de... tartes.
Un jour, sa capacité unique et cachée attire l'attention du détective Emerson Cod, qui voit en lui le partenaire parfait pour faire fructifier son business.
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Avec son aide, il interroge les morts dans l'espoir de récupérer des récompenses diverses, mais surtout en forme de billets tout vert avec de gros chiffres dessus.
Mais dans le cadre de ce partenariat inhabituel, le génie des tartes retrouvera Chuck (merveilleuse Anna Friel) après sa disparition prématurée... et c'est là que tout va basculer, pour le meilleur et pour le pire.
Ne pouvant se résoudre à ne la ramener que quelques secondes, Ned la ramène définitivement d'entre les morts et ensemble, ils vont réaliser que cette décision ne sera pas aussi simple qu'elle semblait l'être...
Et c'est là que tout le charme de Pushing Daisies réside : l'histoire d'amour impossible, et presque Shakesperienne, qui unit deux êtres faits l'un pour l'autre mais qui ne pourront jamais l'être ou tout du moins, répondre fébrilement au moindre appel charnel qui les dévorent à petit feu.
Surtout que Fuller a le très bon ton de traiter avec soin le moindre de ses personnages, qu'il soit secondaire ou important.
À une époque où les anti-héros dominaient - et dominent toujours - le petit écran, Ned en était le parfait opposé, sorte de géant au coeur d'or au charme enfantin, dont la prudence de ses rapports aux autres (notamment Olive Snook, employée de The Pie Hole qui vibre d'un amour non partagé pour lui) et l'aspect réservé, dévoilait une maturité plus que rare dans une série résolument comique.
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L'inverse de la pétillante Charlotte «Chuck» Charles, dont la renaissance (la définition parfaite du fantasme de la " seconde chance " que tout le monde espère) est justement l'occasion férocement enthousiasmante pour elle, de vivre sa vie pleinement, de s'émanciper et d'embrasser toutes les possibilités qu'offre le monde avec joie et espoir.
À tel point qu'elle offre un regard unique au tandem d'enquêteurs Emerson/Ned - qui deviendra vite un trio -, se plaçant de manière rationnelle du côté des victimes fugacement ramenées à la vie (et souvent dans des états ironiquement glauques), en leur offrant une attention toute particulière (et n'allant pas uniquement vers un interrogatoire visant à boucler les raisons de leurs trépas), en appuyant la nécessité d'avoir un dernier mot pour soi (une manière pour elle aussi, de rendre le cadeau qu'on a pu lui faire), quitte à ne pas jouer la montre... et rendre plus complexe chacune des enquêtes.
Mais rien n'est plus beau et tendre dans la série, que les instants qu'elle partage avec Ned (définitivement les meilleurs), sans qu'une seule touche ne soit échangée (ils trouvent cependant quelques subterfuges absolument craquants), montrent les émotions les plus vraies de ses deux personnages et l'incapacité des deux amoureux de s'inscrire dans un monde qui considère que l'accomplissement amoureux est basé sur le contact.
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On aimerait tous se dire qu'au crépuscule de la série, terminée avec une hâte rare (son audience déclinante l'a fait disparaître brutalement de la grille des programmes de ABC), les deux amoureux maudits connaissent une fin heureuse, mais c'est une possibilité totalement anéanti par la dure loi de la télévision, laissant orphelin un univers foisonnant à peine exploré au cours de vingt-deux épisodes et deux toutes petites saisons, et dont la vraie/fausse conclusion n'apportent jamais les réponses que l'on attend, mais surtout le point final d'une histoire qui en mérite cruellement un.
Se perdre sans réserves dans ses aventures farfelues, véritable cocon plein de chaleur et de bienveillance qui nous isole de la dureté du quotidien, est un bonheur qui ne fait que grandir au fil des visions, un nirvana de douceur télévisée qui n'aura de cesse de vivre dans nos imaginaires, tant qu'on lui laissera la chance d'y perdurer.
Alors, que l'on soit en hiver ou en été, que la pluie claque sur les vitrez ou que le soleil transpercé vos volets, calez-vous gentiment dans vos fauteuils, un plaid sur le corps et une bonne tasse de thé à la main, et reprenez une bonne part de Pushing Daisies, la plus délicieuse des séries du petit écran.
Jonathan Chevrier