[CRITIQUE] : Séjour dans les Monts Fuchun
Réalisateur : Gu Xiaogang
Acteurs : Qian Youfa, Wang Fengjuan, Sun Zhangjian,...
Distributeur : ARP Selection
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Chinois.
Durée : 2h30min
Synopsis :
Le destin d’une famille s’écoule au rythme de la nature, du cycle des saisons et de la vie d’un fleuve.
Critique :
Oeuvre chorale et mélancolique à la lisière du documentaire, sur la fatalité d'une nation tiraillée entre son héritage puissant et une pression économique étouffante, #SéjourdanslesmontsFuchun est une symphonie humble, poétique et sublime dont on dévore chacun des accords intimes pic.twitter.com/0U4htdZ5g7— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) January 4, 2020
Ce que l'on peut affirmer avec une certitude qui est loin d'être du chauvinisme facile (quoique...), c'est que notre bonne vieille Croisette Cannoise a très rarement le nez creux dans ses nombreuses sélections annuel, et encore plus quand elle s'échine à vouloir mettre en lumière les premiers passages derrière la caméra de ce qui incarnera à n'en pas douter, le septième art mondial de demain.
Après avoir offert le point final d'une brillante Semaine de la Critique 2019, le bien nommé Séjour dans les Monts Fuchun du jeune prodige chinois Gu Xiaogang, se met cette fois en tête, tout comme la merveilleuse Greta Gerwig avec son adaptation des Filles du Docteur March, de marquer les spectateurs hexagonaux dès le premier mercredi des sorties de l'année 2020.
Ce qu'il arrive, n'ayons pas peur des mots, avec une indécence qui n'a d'égale que son talent, tant son premier essai dégage non seulement une maîtrise bluffante, mais il est surtout d'une fluidité rare pour une bande atteignant aisément les deux heures trente au compteur.
Fruit d'une production poliment compliquée, qui démontre autant la patience imposante que la détermination sans bornes du bonhomme (tournage étalé sur deux ans, au gré des saisons et de la disponibilité de ses comédiens tous plus ou moins amateurs, budget riquiqui,...), et qui peut/doit se voir comme le premier opus d'une wannabe trilogie inspirée d’un classique de la peinture chinoise peint entre 1348 et 1350 par Huang Gongwang, Séjour dans les Monts Fuchun est une formidable fresque familiale éclatée et faussement contemplative (elle l'est en partie, évidemment, mais ne se résume pas qu'à cela), tissée à travers le prisme des pérégrinations d'une fratrie de quatre frangins - mais aussi de leur matriache et de leurs enfants - qui s'unissent et se déchirent au gré des saisons, des éléments perturbés d'une nature majestueuse (et avec laquelle ils sont en parfaite communion), en constante évolution... tout comme la Chine.
En plaquant la ramification de ses personnages à la poésie de dame nature (éternelle mais irrémédiablement détruite par l'homme), ainsi que la mutation constante d'une nation sombrant peu à peu dans le capitalisme outrancier (où quand l'urbanisation croissante et le développement économique entraîne la pauvreté de plus en plus constante, d'une tranche importante de la population), Xiaogang, dont la caméra virevolte autour de ses comédiens avec une virtuosité excitante (superbes travellings latéraux, plans-séquences longs et impressionnants,... une véritable démonstration), décrie avec minutie la complexité sociale et sentimentale de son époque (chaque âme fait ce qu'elle peut pour s'en sortir et survivre, peut importe ce qu'il en coûte), et touche de sa caméra une humanité rare déchirante, qui n'est pas sans rappeler les cinémas bénis d’Edward Yang et Jia Zhangke.
Oeuvre chorale et mélancolique à la lisière du documentaire, sur la fatalité et la vulnérabilité d'une nation tiraillée entre son héritage puissant et une pression économique étouffante, ou le cinéaste n'accable jamais ses personnages (il les croque même avec une bienveillance à toute épreuve) et rend hommage à sa terre natale, Séjour dans les Monts Fuchun est une symphonie humble, douce et enivrante dont on savoure chacun des accords intimes à la beauté indécente, en espérant qu'ils ne se terminent jamais.
Vivement la suite, et le mot est faible.
Jonathan Chevrier