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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #15. Gattaca

Copyright Columbia Pictures Corporation

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !






#15. Bienvenue à Gattaca d'Andrew Niccol (1997)


Il plane sur Bienvenue à Gattaca l’ombre d’un autre film qu’on pourrait se définir par un mot des plus galvanisant : culte. Ce film c’est The Truman Show de Peter Weir mettant en scène un Jim Carrey star de téléréalité à son insu. Qu’est-ce qu’il lie les deux œuvres ? Un homme, Andrew Niccol. En effet, le réalisateur de Bienvenue à Gattaca était le scénariste derrière The Truman Show, son inexpérience dans le milieu hollywoodien ne lui permet pas à l’époque de réaliser le film d’abord pensé pour Brian De Palma. Mais, la vente de son script lui donne par la suite de s’imposer à la tête de Bienvenue à Gattaca. Un premier film qui prend donc des allures de seconds films, et qui demeure - personnellement - son meilleur long-métrage.

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Une anecdote qui n’est pas sans intérêt, puisqu’elle dessine des liens entre ces deux œuvres. Deux films aux confins des genres, entre SF et anticipation, décrivant des sociétés dystopiques ou la surveillance et l’hygiénisme règnent en maitre. Néanmoins, les récits bifurquent, là ou The Truman Show fait du sérieux de son sujet une œuvre caustique ou se parsème l’émotion, Bienvenue à Gattaca est empreint d’une irrémédiable gravité.
Le périple débute dans une société futuriste où les parents peuvent choisir le génotype des enfants, autrement dit concevoir in vitro un enfant ayant le moins de défauts et le plus de qualités possibles. Vincent Freeman est ce qu’on appelle un enfant invalidé, un enfant né de façon naturelle qui rêve de devenir astronaute et de rentrer à Gattaca - centre d’études et de recherches spatiales. Confronté dès sa jeunesse à l’injustice de son statut génétique, il doit faire face à l’arrivée de son frère, Anton, ayant été conçu grâce à la science. Toujours dans son ombre, Vincent va s’émanciper de sa famille et devenir un pirate générique. Pour cela il fait la rencontre de Jérôme, un « valide » déchu à la suite d’un accident. Il lui fournit les échantillons biologiques pour les tests ADN et prépare des poches de fluides en tous genres pour déjouer les analyses auxquelles sont soumis les employés de Gattaca.
Ceci est la base d’une intrigue plurielle où viennent s’imbriquer différents genres. Tout d’abord, Bienvenue à Gattaca est un récit d’antipication, Andrew Niccol décrit un futur possible, tangible, palpable en extrapolant une situation réelle, la manipulation de l’ADN. En cela, le film se présente comme une dystopie, mettant en avant une dérive d’un procédé scientifique. On y observe une nouvelle forme de discrimination s’appuyant sur la qualité du génome humain, car, dans un premier temps, l’acte des parents de Vincent est des plus louables, vouloir laisser faire la nature. De cet acte d’amour et d’humanisation découle une injustice de naissance contre laquelle Vincent ne peut rien puisque ce qui est rejeté c’est son être le plus profond. 

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De cela ruissèlent d’autres ramifications, la société de Bienvenue à Gattaca, de par l’expansion de l’eugénisme, est devenue obnubilée par la sécurité (on décèle le risque de dangerosité) et le contrôle (vérification du statut). Dans ce prolongement, Andrew Niccol présente un univers aseptisé ou tout n’est que propreté et pureté qui aboutit à entraver la liberté individuelle qui se retrouve prédestinée par sa naissance.
Dans un geste envers le spectateur, le réalisateur dilue ses obsessions dans une structure thrillesque. L’intrigue centrale s’axe autour d’une enquête sur un assassinat au sein de Gattaca, déroulant les étapes classiques d’une investigation. Découverte d’indice, suspect idéal, course-poursuite, fausse piste ainsi que le retournement de situation. Dans ce genre du film noir, Bienvenue à Gattaca ne fait pas réellement d’étincelle, ce n’est qu’une toile de fond dont le cinéaste puise une inspiration purement visuelle.
Andrew Niccol livre une fable, une quête ou encore un récit initiatique. Ce qui traverse de part et d’autre Bienvenue à Gattaca est l’identité de l’individu, le dépassement de soi et des obstacles pour obtenir ce que l’on veut. Vincent devient une incarnation du rêve américain, celui qui part sa volonté, son ambition et sa ténacité parvient à décrocher l’objet de son désir, ici en l’occurrence partir dans l’espace. Une obsession qui fait de Bienvenue à Gattaca un film sur l’individualisme, Vincent est certes en lutte contre la société ; mais contrairement à un Néo dans Matrix ou un Luke Skywalker dans Star Wars, son but n’est pas de mettre fin a ces injustices pour le bien commun, mais bien d’y mettre fin pour lui-même. La quête devient personnelle et non universelle.

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C’est de cette différence entre l’individu et la communauté que né l’émotion du récit de Niccol. Car, Bienvenue à Gattaca est une œuvre d’incarnation, chaque personnage est un double déformé de Vincent, des sortes de fragments qui construisent ce qu’il est. Anton — le petit frère de Vincent, est le premier d’entre eux. Il est l’opposé, l’antagoniste, la version améliorée de son aine, il est celui portant le nom du père, il est l’origine du mal-être de Vincent. Adulte, Anton est en charge de l’enquête à Gattaca, le rapport des frères va muter, Vincent devient celui qui a réussi, en dépit de son handicap il est au-dessus de son frère. Il est surtout libre, une chose que ne peut supporter Anton. Le réalisateur utilise la nage comme une métaphore de leur relation, nager vers le large pour en revenir, un défi qu’enfant Anton remporte haut la main. Alors que le métrage avance, la scène est "rejouée" avec les versions adultes des personnages, cette fois-ci Anton perd. Un échec qui n’est que logique, Anton est aveuglé par sa supériorité scientifique, il est dénué de cette volonté qui pousse Vincent à dépasser sa condition.
Jérôme est l’antithèse d’Anton. S’ils sont tous les deux issus de la sélection génétique, Jérôme n’a jamais atteint les sommets que son ADN lui promettait. Champion de natation il n’a toujours été que second, une belle place qui est pourtant pour lui une douleur. Un échec qui le pousse à tenter de se suicider et devenir paraplégique. Mais, contrairement à Anton, Jérôme se lie à Vincent, il fait « don » de son corps, de son sang, une action qui fait de lui le frère. Cette relation va redéfinir les croyances de Jérôme, sceptique sur l’entreprise de Vincent, il va comprendre qu’il pourrait dépasser son handicap et faire ses propres choix. Un libre arbitre qui lui donne la nausée, il va alors vivre par procuration, se fondre en Vincent, à tel point que lorsque celui-ci s’envole, Jérôme choisit la mort. Par un effet de miroir, il a accompli l’impossible et peut mourir.
Enfin, Irène, figure féminine, elle est née « valide », mais présente un risque cardiaque d’origine génétique. Son personnage est ambivalent, à la fois gangrené par les préjugés de la société et animé par une envie de liberté. Son imperfection cardiaque lui donne le sentiment qu’elle ne mérite pas l’amour de Vincent. Pourtant, celui-ci va pousser Irène dans ses retranchements, avide de savoir qui il est et tenant à garder le mystère qui l’entoure. Vincent se dévoile à elle, non pas en étalant son patrimoine génétique comme elle tente de le faire en lui donnant une de ses mèches de cheveux, mais bien en lui montrant qui il est. Un amour rédempteur qui apaise ses tourments.

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Tout cela construit une œuvre dense où s’anime un questionnement autour de l’innée et de l’acquis. La société que dépeint Andrew Niccol fait de l’inné la clé de voute de ce système. Tout n’est que déterminisme, ce qui implique que tout est prédestiné, prédéfini, ainsi, l’éducation, le lien social, l’expérience ne représente plus rien. Un propos que le film va mettre à l’épreuve en interrogeant son spectateur sur l’éthique posée par la manipulation génétique. Une question qui agite régulièrement les débats, et qui ne trouve pas ici une réponse définitivement. Le cinéaste ne dit jamais si cela est juste ou injustice; Bienvenue à Gattaca présente un futur possible, avec toute la complexité que cela implique, à la fois œuvre de désespoir et d’espoir, d’inné et d’acquis, Niccol pose au fond une question : Quand s’arrêter ?


Thibaut Ciavarella

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