[CRITIQUE] : The Dead Don’t Die
Réalisateur : Jim Jarmusch
Acteurs : Bill Murray, Adam Driver, Tilda Swinton, Chloë Sevigny, Steve Buscemi, Danny Glover, Caleb Landry Jones, Rosie Perez, Iggy Pop, Sara Driver, RZA, Selena Gomez, Carol Kane, Austin Butler, Luka Sabbat, Tom Waits,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : -
Genre : Comédie, Épouvante-Horreur.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h43min.
Synopsis :
Le film est présenté en ouverture du Festival de Cannes 2019
Dans la sereine petite ville de Centerville, quelque chose cloche. La lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et les animaux commencent à avoir des comportements inhabituels. Personne ne sait vraiment pourquoi. Les nouvelles sont effrayantes et les scientifiques sont inquiets. Mais personne ne pouvait prévoir l’évènement le plus étrange et dangereux qui allait s’abattre sur Centerville : The Dead Don't Die – les morts sortent de leurs tombes et s’attaquent sauvagement aux vivants pour s’en nourrir. La bataille pour la survie commence pour les habitants de la ville.
Critique :
Loin de la comédie hilarante, #TheDeadDontDie est un pamphlet conscient et funeste où Jarmusch se fait Romero et crache son dégoût pour l'hypocrisie sociale et les dérives d'une société engoncée dans ses réflexes consuméristes.— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) May 14, 2019
Une apocalypse lugubre qui ne plaira pas à tous... pic.twitter.com/2oU9Id8GJ1
Voir le merveilleux Jim Jarmusch toucher avec The Dead Don't Die, au sacro-saint genre du film de zombies, glorifié par feu le roi George Romero, le tout avec un casting vedette tellement imposant que s'en est limite indécent (seul Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino peut se targuer d'avoir plus glorieux sur la Croisette cette année), il n'en fallait pas plus pour exciter les cinéphiles amoureux du cinéma du bonhomme que nous sommes.
Surtout que s'il était quasiment acquis que le gore inhérent au giron zombiesque aurait perdu de son jusqu'au-boutisme viscéral chez le papa de Paterson, le questionnement sociologique lui, n'en serait que plus pertinent.
Plus cabotin que jamais, le cinéaste se joue constamment de son auditoire en lui tendant de multiples perches, brisant le quatrième mur au sein d'une fable chorale acide et corrosive façon miroir de notre société contemporaine, articulée autour de l'un de ses thèmes/obsessions chers - la répétition -, pour mieux matérialiser avec ironie, sa vision de la banalité du quotidien et la manière dont le citoyen lambda s'y étouffe à petit feu.
Un pamphlet sur pellicule de l'Amérique sous Trump - mais pas que - égoïste, apathique et littéralement engoncée dans ses réflexes consuméristes et son déni total de l'autre (la Terre se meurt... fuck off), où le zombie n'est plus un outil contestataire mais bien la personnalisation troublante d'un monde qui ne tourne plus très rond, peuplé par des quasi-morts qui s'ignorent et qui ne pensent qu'à eux-mêmes.
Chapitre engagé dans la carrière du cinéaste (même s'il est mineur dans sa filmo, il y dévoile son dégoût pour l'etablishment et l'hypocrisie sociale comme rarement), The Dead Don't Die, péloche sur la fin du monde et la décadence culturelle qui en découle, est surtout un cartoon funèbre, moqueur et désespéré solidement mis en scène, une cour de récréation au tempo d'un autre temps dans laquelle un casting d'amis dézingue son prochain avec un enthousiasme non feint, le tout dans un cocktail d'humour à froid souvent sarcastique (car ce n'est pas une comédie) et de références à la pop-culture joliment efficace - même si trop nombreuses -, dénué de toute horreur (c'est l'antidote léthargique à The Walking Dead).
Si l'on pourra décemment lui reprocher son absence de subtilité parfois, son manque d'ampleur et la redondance de son histoire (au fond, comme le répète souvent les personnages, on connait la chanson), autant que certaines longueurs - c'est souvent poussif -, il n'en reste pas moins une plaisante apocalypse, lugubre, absurde et méta, qui ne plaira vraiment pas à tout le monde, mais qui s'inscrit logiquement, même dans ses limites, dans la continuité de Paterson et Only Lovers Left Alive.
Jonathan Chevrier
Il existe une sorte de malédiction sur les films d'ouverture du Festival de Cannes. Ce sont rarement des films qui font l'unanimité (pour parler gentiment). Évidemment, des exceptions ont trouvé leur public pendant les années (Là-haut en 2009 ou Moonrise Kingdom en 2012, pour parler des plus récents). Pour cette 72ème édition, Cannes ouvre avec le nouveau film de Jim Jarmusch, habitué du festival. Après le romantique et lugubre Only Lovers Left Alive et le poétique et lent Paterson, le réalisateur nous revient avec un casting quatre étoiles (Bill Murray, Adam Driver, Tilda Swinton, Danny Glover, etc…) et des zombies.The Dead Don't Die nous promettait une ouverture qui ne passerait pas inaperçue, ce film de genre au ton comique détonne par rapport au reste de la compétition.
L'humanité qui se transforme en zombie, assoiffée, détruisant tout sur son passage est un état de fait que le réalisateur a déjà abordé dans son film de vampire Only lovers left alive. Tilda Swinton et Tom Hiddleston étaient des vampires, cultivés, civilisés, comparés aux humains qui ont "peur de leur imagination". Ici, si Jarmusch reprend sa métaphore, il décide de ne pas creuser plus sa contemplation du monde et livre une critique acerbe de notre société. Il n'est pas question de faire réfléchir, mais de montrer, avec humour qu'il est trop tard pour un revirement de situation.
"It will end badly". Phrase que répète tout du long Ronnie, joué par Adam Driver, policier de la petite ville de Centerville. Le monde va mal. Les conditions climatiques irréversibles. Les scientifiques craignent le pire pour notre planète bleue. La nuit se fait attendre, les montres et les portables semblent de plus vouloir fonctionner, les animaux s'enfuient et d'étranges meurtres sanglants s'abattent sur la ville. Pourtant, le chef de la police Cliff (Bill Murray), ses acolytes et les habitants portent peu d'intérêt aux mauvaises nouvelles et continuent leur train train quotidien. Jusqu'au moment où il est clair qu'ils ne peuvent plus détourner la tête : des zombies ont envahi leur ville. Et malgré leurs efforts et leur habilité à savoir couper des têtes, cela ne sera pas suffisant.
On ne peut passer à côté du message, car il n'est pas du tout subtil. Tellement, que l'on se dit que ce n'est pas un hasard. Jarmusch voulait taper fort. Le réalisateur constate l'état déplorable de son pays (Trump est bien évidemment visé), mais décide de se servir de l'absurde, comparé à un film de zombie plus classique (Romero en tête). Les zombies, tout comme les vivants sont obsédés. Certains par les sucreries, d'autres par le Wi-Fi ou avoir le câble gratuitement. Obsessions qui nous semblent légères par rapport à ce qui se passe mais rien ne peut les faire changer. La métaphore est sans équivoque.
Avoir choisi ce cinéma de genre est loin d'être anodin. Car le film de zombie est connu pour être un cinéma très politique, dénonçant avec finesse la société. Les clins d'œil appuyés à Romero et au genre en général sont là pour le souligner, comme si Jarmusch nous disait que ce cinéma était dans le vrai et qu'il est temps de le réhabiliter.
The Dead Don't Die apparaît comme un film mineur dans la filmographie de Jim Jarmusch. Et il est vrai qu'il ne sera sûrement pas son meilleur. Certaines choses semblent futiles, comme son côté méta non expliqué ou un élément de la fin qui nous paraît de trop. Pourtant le film est plaisant à voir, avec son humour tirant sur l'absurde et son casting de qualité. Humour qui nous ferait presque oublier le fait que le film est immensément pessimiste.
Laura Enjolvy