[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #28. Batman
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Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#28. Batman de Tim Burton (1989).
Il est assez fou de se dire qu'il aurait fallu attendre rien de moins que seize ans (hors Incassable de M. Night Shyamalan et Donnie Darko de Richard Kelly, qui nous ont offert des relectures originales sans forcément affirmer leurs appartenance directe au genre), pour qu'un cinéaste se décide enfin à revisiter le mythe du super-héros sous le même angle adulte qu'à pu le faire Tim Burton avec son Batman, et s'extirper du marasme des adaptations alternant entre le très divertissant et le franchement navrant, produites par des studios cupides (qui a dit tous ?).
Hasard ou pas (ou pas), c'était Christopher Nolan qui s'occupait une fois encore, des aventures du Chevalier Noir, comme si l'histoire tourmentée de Bruce Wayne, tragédie absolue d'un vengeur furieusement humain, était la seule propice à voguer sur les terrains glissants mais passionnants, du film noir épique, du drame vibrant autant que de l'épouvante gothique.
Si Joel Schumacher s'est amusé à gentiment contredire cette affirmation - moins Zack Snyder -, Tim Burton lui, avait pris avec sérieux l'oeuvre de Bob Kane - et plus directement la partition pour le comics, de la légende Frank Miller - pour imprimer en premier, la légende au fer rouge.
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Gentiment engoncé entre les impératifs commerciaux (Prince à la B.O.... pourquoi pas) et une envie de laisser exploser sa marque étrange et inimitable sur le Bat, le génie de Burbank rend un tumultueux hommage aux polars noirs des années 40 et à l'expressionnisme allemand de la fin de la première Guerre Mondiale, autant qu'il fait de son antihéros une figure tragique tout droit sorti de la Hammer.
Si Nolan avait pensé son adaptation du Dark Knight de Miller comme une plongée dans l'âme malade d'un être aussi dangereux que les psychopathes qu'il traque, Burton lui, lui préfère son versant mystérieux et torturé, celle d'un schizophrène en proie à des pulsions de meurtres qu'il met au service de la loi, même si chaque acte vengeur ne fait que le précipité peu à peu dans une autodestruction et une solitude inéluctable, pas même sauvé par une romance que l'on sait fugace d'avance.
La folie colorée, qui vient transpercer la noirceur d'une Gotham City décadente et macabre, totalement gangrenée par un crime polluant le moindre de ses coins de rue (versant infiniment noir de Metropolis), naîtra elle de la violence anarchique et volontairement absurde du Joker, tirant judicieusement l'attention sur lui pour encore mieux accentuer le portrait sombre et la dualité qui anime le duo Bruce Wayne/Batman.
Surtout que Burton a le bon goût d'opposer le héros et son antagoniste ultime autant que de les réunir sur un facteur essentiel (mais oublié par énormément d'adaptation de comics aujourd'hui) : chacun incarne le reflet déformé de l'autre mais surtout, chacun est le fruit des actes néfastes de l'autre (Jack Napier a tué les parents de Bruce, Batman a précipité Napier dans une cuve d'acide en voulant l'arrêter).
Une opposition revenant aux sources mêmes du sempiternel combat entre le bien et le mal dont l'issue, obligatoirement fatale pour le vilain fantasque dans un tel divertissement, ne résolvera pourtant en rien ni la condition ni le mal-être d'un homme malade, même cette fois libéré d'une vengeance intime qu'il a toujours recherché.
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Campé à la perfection par deux comédiens au sommet de leur art (Jack Nicholson et Michael Keaton, faits pour les rôles du Joker et du Bat), porté par un score dantesque et instinctivement reconnaissable de Danny Elfman (à une époque ou son duo avec Burton était à son meilleur), assez timide dans sa critique de la société contemporaine, égoïste et engluée dans son consumérisme (le cinéaste se corrigera quelques temps plus tard sur le chef-d'oeuvre Batman Returns) et un poil daté dans ses effets autant que dans son action (épurée au possible, et se concentrant majoritairement sur des combats plutôt bien emballés), Batman est un spectacle total, terriblement sombre, loufoque et délirant, une sorte de petit miracle d'étrangeté qui allait en appeler un plus imposant encore trois ans plus tard.
Une oeuvre obsédante et nostalgique à souhait, qui a su aussi bien nourrir notre amour du cinéma de Tim Burton, que celui du justicier de Gotham.
Jonathan Chevrier