[CRITIQUE/RESSORTIE] : Rétrospective Francis Ford Coppola
Rétrospective Francis Ford Coppola, composée de sept films : Dementia 13 Director's Cut (1963), Conversation secrète (1974), Apocalypse Now Final Cut (1979), Coup de Coeur (1982), Outsiders (1984), Tucker (1988) et Twixt (2011).
Distribution : Pathé Films.
Il est très difficile d'écrire sur Francis Ford Coppola et sa foisonnante carrière, sans trop s'attarder sur un déclin qui n'avait décemment pas attendu Megalopolis, pour s'exprimer d'une manière aussi claire que limpide pour quiconque n'avait pas la mémoire sélective (Jack, vraiment ?), même si les accusations entourant son comportement déplacé - pour être poli - sur le tournage (associés aux engagements de personnalités troubles et, elles aussi, frappées par de multiples accusations... un véritable combo de l'enfer), couplé à la qualité fluctuante du film (mais pas aussi catastrophique comme beaucoup l'ont annoncés, avec un argumentaire rivalisant souvent avec l'encéphalogramme d'une grenouille), ne nous facilite pas forcément la tâche.
Un sacré point final cela dit, quand bien même le bonhomme reste attaché a l'idée de remettre le couvert prochainement (ce qui n'arrivera vraisemblablement jamais), où quand l'épanouissement du desideratum filmique ultime d'un faiseur de rêve, vient inéluctablement relâcher ses instincts primaires et pervers comme si l'un ne pouvait pas fonctionner sans l'autre.
Une ambivalence qui se retrouvelait au cœur même du film, spectaculaire et complaisant, excessif jusqu'à l'extrême mais jamais réellement dénué d'intérêt.
Mais passons, tant il n'est pas l'heure d'une réhabilitation imméritée (et qui n'était nullement l'intention de cette introduction définitivement trop longue, mais un peu de lecture superflue ne fait jamais véritablement de mal, pas vrai ?), mais bien de la célébration - où non - de quelques-uns de ses efforts d'hier, motivée par la rétrospective aux petits oignons fraîchement concoctée par Pathé Films : sept séances en versions restaurées 4K, allant de Apocalypse Now Final Cut à Conversation secrète en passant par Outsiders, Coup de coeur, Twixt où encore Tucker et Dementia 13, un premier long-métrage qui trouve son chemin dans nos salles plus de six décennies plus tard.
L'un des immanquables du moment, avec la rétrospective Werner Herzog qui nous oblige à manier l'art délicat du dédoublement pour réussir à tout mirer dans une salle obscure (c'est faux, mais on aimerait tellement...).
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| Outsiders - © 2021 STUDIOCANAL GmbH |
Quitte à ne pas perdre plus de temps que de raison, en enchainant les adjectifs sensiblement élogieux pour mieux chanter les louanges du monument Apocalypse Now, chef-d'œuvre pamphlétaire né des entrailles d'un tournage (comme sa production) infernal et inspiré de la nouvelle Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, sur lequel le bonhomme est revenu par deux fois - une version Redux de 3h22 là où la version cinéma affichait 2h33, puis ce Final Cut grimpant à 3h02.
C'est cette dernière qui retrouve les salles (la plus fragile des trois, clairement), dans une facture sublimant d'une maniere encore plus imposante, la photographie baroque et enflammée de Vittorio Storaro, alliée létale - au même titre que le montage affûté de Walter Murch, également au mixage sonore - du Francis pour coller au plus près de la vérité poisseuse et pétrie de fureur d'un conflit inutile et sanglant (où l'ennemi n'est pas toujours plus dangereux que sa propre hiérarchie), dévoreur de raisons autant que d'âmes.
Toujours autant cloué au regard vert emeraude et halluciné d'un Martin Sheen fantomatique et auto-destructeur, spectre rampant dans une jungle effrayante et suintante pour se confronter à un Marlon Brando absolument méconnaissable - mais grandiose - en messie ayant pleinement embrasser la (sa) folie, ce cut " final " qui n'a de finalité que de nom (un Redux avec vingt minutes de moins en gros, mais un bon gros coup marketing pour racoler du billet vert en masse), perd un poil en viscéralité tout autant qu'il s'expurge de quelques panouilles (la séquence de playmates en tête), même s'il en laisse quelques-unes au passage (une extension maladroite de la scène de surf).
Pour le gros du morceau, la claque est toujours là même quatre décennies plus tard, moins dans le spectaculaire d'une Chevauchée des walkyries gravé dans le panthéon du septième art, que dans la cruauté brutale et manipulatrice de rapports intimes démontrant que l'homme est plus que jamais, en tant de guerre, un loup pour l'homme.
Autre Palme d’Or et autre chef-d'œuvre peut-être encore plus remarquable et intemporel (la surveillance, le voyeurisme et la violation de la sphère privée d'autrui, sont des thématiques plus actuelles que jamais), Conversation secrète, moins un thriller psychologique et paranoïaque qu'un formidable drame humain, vissé aux basques d'une figure solitaire et mecjamment introvertie, Harry Caul, spécialiste reconnu et férocement rigoureux de la surveillance audio (pour des particuliers fortunés ou des institutions gouvernementales), dont les certitudes vont lentement mais sûrement être ébranlées lorsqu'il découvre que le couple dont il est chargé d'écouter les échanges, est en danger de mort.
Une figure Coppola-esque en diable, bouffée par la mélancolie et les remords (une " tuile " qui l'a impliqué malgré lui dans la mort de plusieurs personnes, et qui n'a de cesse de se rappeler à lui depuis), qui tente de trouver un réconfort vain dans une pratique religieuse assidue qui, in fine, ne le guérira pas de sa mauvaise conscience.
Une créature de cinéma excentrique et fascinante (son voyeurisme extrême niché sous le vernis de son professionnalisme méticuleux, ne serait-il pas que l'aveu à la fois brutale et pathétique, de son mal-être profond face à son incapacité à nouer une véritable relation avec autrui ? Où comment susciter l'admiration en violant la vie des autres, tout en étant incapable de vivre la sienne), incarnée par un feu Gene Hackman littéralement au sommet de ses capacités, et auquel répond un tout aussi exceptionnel John Cazale, emporté beaucoup trop tôt par la grande faucheuse.
Pur produit du « Nouvel Hollywood » chapeauté entre deux Parrain et pouvant se voir comme un cousin pas si lointain du tout aussi essentiel Les Trois Jours du Condor de Sydney Pollack (bien plus critique envers l'intégrité comme le pouvoir absolu de l'État, dans une Amérique post-Watergate à la paranoïa excitée), Conversation secrète est et restera un Coppola épuré, anxiogène mais surtout majeur, embaumé par la partition merveilleusement atmosphérique de David Shire et dont l'épilogue, indélébile, n'a strictement rien perdu de sa puissance.
Autre chef-d'œuvre (oui) immanquable de cette sélection (et qui, elle aussi, a connue plusieurs versions), Outsiders, pierre fondatrice d'un Brat Pack encore inexpérimenté et adaptation du roman éponyme de Susan E. Hinton à la genèse assez folle (tout part d'une pétition dune bibliothécaire de Fresno, visant à ce que Coppola adapte le livre sur grand écran), chronique bouleversante d'une jeunesse désespérée au coeur d'une Tulsa en ébullition, tout autant vissé sur l'affrontement tragique entre les vaillants Greasers et les arrogants Socs, véritable lutte des classes au souffle lyrique éblouissant (que le cinéaste a sournoisement implantée sur le tournage même du film, à travers quelques artifices - logements plus luxueux et meilleurs salaires pour les Socs, divers jeux - pour accentuer leurs rivalités), que sur le tendre et authentique récit initiatique d'une jeunesse paumée et livrée à elle-même, dans une Amérique où on leur a sciemment distribué les mauvaises cartes.
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| Tucker - © Lucas Films / © Pathé Films |
Une chronique profondément émouvante sur l'amitié et la fraternité, sur la dureté du passage à la vie d'adulte entre deuil, premier amour impossible et ignorance consentie des adultes, capturant avec une justesse rare tous les sentiments propres - et contradictoires - de l'adolescence où tout nous apparaît essentiel, même le plus futile.
Le tout orchestré par la caméra virtuose d'un Coppola qui n'a jamais peur de rompre avec ses (plus où moins faux) contours machistes dévoiler la sensibilité comme la vulnérabilité de ses figures masculines meurtries (même les gamins les plus durs ne peuvent pas éternellement retenir leurs larmes), d'où se dégage à la fois un Matt Dillon charismatique as hell et terrassant d'authenticité, et un feu Patrick Swayze absolument renversant, parfait en grand frère/mâle alpha/force (trop) tranquille dont la brutalité n'a d'égale que son amour sincère et démesurée pour ses petits frères.
Stay gold Ponyboy, always...
On ne quitte pas du tout ce romantisme, ici encore plus exacerbé, avec Coup de Coeur tourné trois ans plus tôt, petite douceur perfectible mais enchanteresse qui mena le Copp, déjà frappé par une valse de critiques injustement négatives, à une faillite sous le poids d'idées de grandeurs qui, si elles ne l'avaient jamais habités, n'auraient jamais fait le cinéaste visionnaire qu'il a toujours été.
Comédie romantico-musicale singulière et théâtrale tout en néons et en blues, où la musique vient épouser comme nourrir une narration sincère mais méchamment bancale (vissé sur la culpabilité et le doute de deux amants ayant fait l'erreur de se séparer trop tôt, croulant sous le poids de leurs frustrations quotidiennes sans la moindre communication), dont la mélancolie profonde vient supplanter - voire totalement submerger - l'enthousiasme inhérent au genre; le film n'en reste pas moins un vrai petit théâtre des expérimentation audacieux et grisant, techniquement et musicalement flamboyant, flanqué dans un Las Vegas volontairement artificiel.
Autre oeuvre mal aimée d'une décennie qui n'a pas fait que du bien au bonhomme (malgré une qualité cinématographique pourtant constante et supérieure à la moyenne, n'en déplaise à une critique journalistique souvent à côté de la plaque), Tucker lui a fait parcourir le terrain balisé du biopic, au détour du parcours de l’ingénieur/entrepreneur visionnaire mais méconnu Preston Tucker (un excellent Jeff Bridges, auquel répond un Martin Landau absolument génial), qui a révolutionné l'industrie automobile au virage des années 50, malgré la réticence des grands constructeurs du milieu qui n'ont eu de cesse de saboter ses efforts.
Une célébration empathique mise en boîte avec élégance, alliant la verve ironique de ses dialogues à une désinvolture formelle splendide pour souligner la résilience comme la combativité bigger than life de son enthousiaste sujet (quitte à parfois exagéré un brin la réalité), dans lequel le cinéaste semble sans doute se reconnaître un brin (et encore plus sur une décennie où ses échecs critiques et commerciaux sont légion), le film prône une version idéaliste mais suffisamment lucide et préservée de l'American Dream à une époque où il avait encore un certain sens.
Un shot d'énergie positive comme Coppola en a rarement produit, aux antipodes d'un résolument plus sombre et malade Twixt, lui qui cherchait au virage du XXème siècle à renouer avec une énergie comme une inspiration juvénile, dans une sorte de divertissement partant d'un pitch " Stephen Kingien " en diable, pour mieux virer une odyssée " Poesque " (trop de barbarisme, pardonnes-nous cher lecteur) où la présence même de l'auteur se fait moins un caprice qu'il donne une clé de compréhension à son auditoire, tant l'importance ne réside pas tant dans la linéarité de son intrigue presque prétexte (les aléas d'un feu Val Kilmer convaincant, jouant les écrivain sur le déclin/enquêteur du pauvre dans une ville paumée pleine de secrets et de mystères), que dans ce qu'elle convoque à travers ses pistes méta : une interrogation désenchanté et sincère sur le processus de création artistique, par un cinéaste conscient qu'il a perdu sa flamme et qu'il doit continuer à tourner (comme Hall Baltimore à un besoin matériel de continuer à écrire) pour maintenir son train de vie.
Un effort presque obligé mais qui, paradoxalement, lui offre l'opportunité d'exorciser ses propres démons (notamment celui d'un deuil impossible) pour accoucher d'une rédemption pieusement souhaitée, tant artistique que personnelle.
Une incursion maladroite (mais, en grande partie, à mettre au crédit de son maigre budget) dans l'horreur mais qui s'avère plus complexe, dense et cathartique qu'elle n'en a l'air de prime abord, ouverte à de multiples interprétations tout autant qu'elle est capable de décontenancer, à l'image de son rythme beaucoup trop lancinante pour son bien.
Last but not least, Dementia 13, un premier long-métrage chapeauté sous la tutelle experte du maître Roger Corman, écrit en à peine trois jours (!) et produit sur les mêmes lieux de tournages que The Young Racers, où Coppola officiait en tant que réalisateur de seconde équipe.
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| Dementia 13 - © Pathé Films |
Thriller psychologico-sarcastique aux frontières de la folie - et du louchage plus où moins assumée sur Psychose -, sous fond de cellule familiale oppressante (aux figures sensiblement bouffées par leurs névroses), d'avarice, de tromperie et de morts (brutales), qui ne laisse jamais véritablement s'exprimer ses contours de bisserie fauchée (sauf peut-être un premier quart d'heure un chouïa didactique), le film revendique tout du long moins sa filiation à la grammaire Hollywoodienne, qu'au gothique anglo-saxon - de son noir et blanc contrasté à son montage précis aux coupes franches -, tout en semant quelques graines cinématographiques que l'on aura aucune peine à retrouver par la suite - dont une maîtrise formelle déjà impressionnante.
Le point final d'une rétrospective qui, on l'espère, en appelera une future avec des œuvres plus mineures (Big Boy, La Vallée du bonheur où encore Les Gens de la pluie).
On croise les doigts et, en attendant, on se régale comme des sagouins en salles.
Jonathan Chevrier








