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[CRITIQUE] : Comme si de rien n’était


Réalisateur : Eva Trobisch
Acteurs : Aenne Schwarz, Andreas Döhler, Hans Löw, Tilo Nest, Lisa Hagmeister , Lina Wendel,...
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Allemand
Durée : 1h30min

Synopsis :
Janne est une femme moderne, éduquée, rationnelle, une femme qui réclame le droit d'être qui elle veut. Lors d'une réunion entre anciens camarades sa vie bascule. Mais elle va persister à faire semblant que tout va bien, refuser de se considérer comme une victime et de perdre le contrôle... jusqu'à quand ?



Critique :



Depuis le mouvement #MeToo la parole des femmes s'est enfin libérée et il était temps. Les choses longtemps taboues sur leur corps, sur la violence systématique, sur la culture du viol, Internet a vu des témoignages pulluler. Côté cinéma, le changement se fait petit mais il est bel et bien présent. Le fait de mettre en avant plus de femme, d'avoir des personnages féminins qui sont loin d'être des faire valoir, des propos libérés sur les règles, le sexe. Et des films qui montrent la violence sur les femmes, les viols, les agressions sexuelles. Quand on voit le synopsis de Comme si de rien n'était, le premier long métrage de la réalisatrice Eva Trobisch, on se dit que le film a été produit dans cette veine. Pourtant non, la réalisatrice a bien précisé qu'elle a pensé son film bien avant 2017 mais qu'aucune production ne voulait de son scénario, car il ne propose aucune solution pour aller mieux à son héroïne. Mais ce n'est pas ce qui intéresse le plus Eva Trobisch. Non, elle préfère se concentrer sur le déni de traumatisme et les conséquences de cet absence de réaction, qui au lieu d'arranger les choses ronge petit à petit le quotidien. Et oui, il faut être prévenu, il n'y a pas de happy end dans Comme si de rien n'était, pas de solution miracle pour se sortir d'un viol.



Janne (Aenne Schwarz) vit un moment charnière de sa vie. La maison d'édition qu'elle a créé avec son compagnon et un ami est en faillite. Quand le spectateur l'a découvre, elle fait le deuil d'une partie de sa carrière. Elle s'apprête à déménager à la campagne, dans une vieille maison. Lors d'une réunion d'anciens élèves, elle rencontre un vieil ami, qui lui propose un job de rêve. Le beau-frère et collaborateur de son ami, Martin reste avec elle pour la soirée. Où elle décide d'oublier ses problèmes et de s'amuser. Sauf qu'ils n'ont pas la même définition de “s'amuser”. C'est tout innocemment qu'elle lui propose son canapé car ils sont tous les deux éméchés. Comme elle le racontera à sa mère plus tard “il avait envie, moi non”. Elle se dégage, et essaye déjà de mettre de la distance avec ce qui se passe, allant jusqu'au sarcasme, comme pour se persuader que ce qu'il entreprend est banal. Après l'agression, il s'en va et elle va se coucher, comme si de rien n'était. Ou presque. 



C'est dans ce “ou presque” que le film dévoile son enjeu. Car Janne continue sa vie, avec entrain et va même accepter le poste qu'on lui propose, sachant pertinemment qu'elle va croiser son agresseur tous les jours. Mais elle se pense capable de passer à autre chose, et de considérer son agression comme une chose désagréable de son passé. Et elle sait donner le change face à Martin (Hans Löw) son violeur. Quand il vient la voir, faussement repentant, demander si elle veut parler à leur supérieur de cette histoire, elle lui ment “on va pas en faire toute une histoire”, ce qui met fin à la discussion. Sous ce masque de contrôle, le secret est bel et bien là, affluent dans sa vie quand elle l'attend le moins. Il est dans chaque geste de Janne (brillante prestation de Aenne Schwarz), dans chaque détail de la mise en scène de Eva Trobisch, épurée. 


Et si l'héroïne arrive à mentir à ses proches, elle ne peut pas cacher son désespoir au spectateur. Mais la réalisatrice le fait d'une manière subtil et sans pathos. Janne, quoi qu'elle fasse, sera toujours en phase autodestructrice, car elle ne se laisse aucune place. Même dans le cadre, où elle se retrouve entre deux personnages, entre deux murs, entre la photocopieuse et Martin. Jusqu'à la dernière scène, magnifique point de suspension, qui nous laisse dans le même état que Janne. Ce qui fait de Comme si de rien n'était un film puissant, c'est l'importance donné au personnage de Martin. Totalement conscient de son privilège et de son pouvoir, il sait pertinemment ce qu'il a fait, sans jamais prononcé le mot viol pour autant. Il n'y a pas de déni entre eux, pas de “zone grise”(ce concept dangereux de la relation sexuelle au consentement flou) ce qui rend l'histoire encore plus réaliste et plus horrible. 




Eva Trobisch nous propose un film important. Tout en donnant un point de vue sur le viol et sur les victimes, elle ne caractérise pas Janne seulement à travers son agression, nous montrant un personnage réaliste et complexe. 


Laura Enjolvy



Comme ne cesse de le marteler Eva Trobisch dans ses interviews, il ne s'agit pas d'un film sur le viol ni d'un portrait de femme mais comme le rappelle son titre et plus encore l'original – Alles ist gut, "tout va bien" en allemand –, de l'autopsie d'un déni et, à travers lui, d'une auscultation de notre système de représentations.
Si l'on en sort avec un vif sentiment d'inconfort ce n'est d'ailleurs pas tant pour le sujet en lui-même que pour ce qu'il déconstruit. À commencer par le viol lui-même qui n'a pas lieu dans une rue étroite la nuit entre deux inconnus mais chez la victime et rend ainsi compte du mécanisme de sidération de manière assez inédite dans le septième art.



La figure de victime n'est pas en reste : statut social, âge, personnalité, réaction face au traumatisme, finalement tout ce qu'on projette – et plus spécifiquement encore lorsqu'il s'agit d'une femme – est remis en question. Ici pas de cris(es) ni de plainte au commissariat mais une négation épouvantable, asphyxiante, qui résulte de la victime elle-même et où se joue peut-être sa survie – s'avouer "blessée" revenant semble t-il pour elle à s'avouer vaincue. Eva Trobisch n'omet pas non plus d'analyser ce que la victime elle-même projette sur ce statut : décrite dès les premiers instants comme une femme indépendante, physiquement forte, sexuellement épanouie, étrangère aux carcans de la féminité, Janne semble rejeter plus que le viol lui-même le fait qu'elle y soit associée, qu'il la concerne elle. A ce titre, le mot n'est pas prononcé une seule fois en 90 minutes. Incarné par Hans Löw – aperçu dans Toni Erdmann –, le coupable déjoue lui aussi très intelligemment tous les archétypes : ni spécifiquement violent ni particulièrement dominateur, somme toute, un mec lambda et qui plus est pris de remords après coup.


Comme si de rien n'était brille donc avant tout par la psychologie nuancée de ses personnages, très réussie et assez singulière – à l'exception d'un rôle secondaire – et plus largement par la qualité de son écriture : réaliste, lacunaire – le silence assourdissant cher à Aragon n'a jamais été mieux dépeint qu'ici –, clinique, très directe et dont on peut citer, à titre d'exemple, ce résumé savoureux, un brin acerbe, de Janne lorsque son compagnon l'interroge sur ladite soirée d'anciens étudiants : "Tous parents ou propriétaires sauf ceux qui ne sont pas venus". La réalisatrice décrypte également avec brio les rapports – de domination mais pas que – entre femmes et hommes, patron et employé, couples et leurs contradictions, ce sans jamais porter le moindre jugement – il y aurait pourtant beaucoup à dire du compagnon volcanique de Janne. Pour finir, Comme si de rien n'était doit beaucoup à son actrice principale, Aenne Schwarz, grâce à qui l'on remarque à peine la mise en scène relativement pauvre – ou tout du moins ne s'en offusque t-on pas ; son interprétation, empreinte de justesse, habite en effet le spectateur jusqu'à la scène finale – étonnamment décriée – où Eva Trobisch choisit assez malicieusement de nous laisser dans le même état que son héroïne : complètement désemparés.


Anaïs



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