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[COOKIE TIME] : #12. Frankie Drake Mysteries - Femmes détectives dans les années 20’s


C'est le Cookie Time. Un moment de détente pour parler cinéma. Alors installez vous dans votre canapé, prenez un thé et un cookie. Et c'est parti !




Une fois n’est pas coutume, nous allons parler série dans cette section. Pas n’importe laquelle, une série policière d’époque, canadienne, avec quatre personnages principaux féminins, ce qui n’est pas banal. Nous allons parler de Frankie Drake Mysteries

Qui n’a jamais regarder Hercule Poirot, Miss Marple ou Les Enquêtes de Murdoch un soir d’automne, alors qu’il pleut dehors (mon plaisir coupable) ? Ces séries policières d’époques qui fleurent bon la simplicité, l'excentricité toute britannique, où les enquêtes plus ou moins biscornues s'enchaînent. Elles sont bien sûr loin d’être réalistes, mais ce n’est pas cela que le spectateur recherche. Un détective haut en couleur, des mystères censés être insurmontables, le plaisir que ces séries apportent est indescriptible, comme la joie de voir que nous avions raison sur le meurtrier présumé. Pourtant, il est important de souligner le peu de femmes détectives que ces séries dépeignent. Tout bonnement parce qu’elles se placent à une époque où le métier leur était presque inaccessible. Et aussi, parce que la littérature policière ne leur a jamais laissé beaucoup d’espace, les séries s’inscrivent dans la continuité. On s’aperçoit très vite que la détective femme célèbre est Miss Marple, mais elle n’est qu’une amatrice, une vieille femme qui aime espionner ses voisins, qui a un certain don de déduction, couplé à un instinct de choc (mais pas une enquêtrice de métier).

En 2008, Maureen Jennings crée la série Les Enquêtes de Murdoch pour la chaîne CBC, qui se passe (une fois n’est pas coutume) à Toronto au Canada à la fin du XIXe siècle. Même si le personnage principal est un homme, les personnages féminins sont très intéressants et doivent se battre dans un monde qui ne veut pas d’elles sur des scènes de crime. Deux des scénaristes du show, Carol Hay et Michelle Ricci créent en 2017 Frankie Drake Mysteries, entourées d’une équipe qui a déjà travaillé sur Murdoch. Il est intéressant de noter que la série est majoritairement écrite et réalisée par des femmes et qu’une certaine parité est respectée dans l’équipe technique. Un générique agréable à regarder donc. Lauren Lee Smith est choisie pour interpréter le rôle principal (Frankie Drake si vous suivez), actrice canadienne ayant joué un rôle dans Murdoch (on l’a même aperçu dans The Shape of Water de Guillermo del Toro l’année dernière, en tant que femme de l'antagoniste Strickland). Chantel Riley campe l’associée de Frankie, Trudy Clarke, femme afro-canadienne (oui vous avez bien lu associée et non secrétaire, c’est important). Rebecca Liddiard est Mary Shaw, une morality officer qui s’occupe de surveiller (comme son nom l'indique) la moralité des jeunes filles, mais rêve d’être une vraie policière. Sharron Matthews incarne Flo Chakowitz, l’assistante du coroner, médecin-légiste compétente. Ces quatre femmes se retrouvent fréquemment pour résoudre des meurtres, des disparitions, des vols, etc… Dynamique, Frankie Drake Mysteries est fun à regarder. Mais elle offre bien plus que cela, c’est pourquoi j’ai eu envie de vous en parler.

Femmes, mais détectives avant tout




Frankie Drake est la seule détective femme de tout Toronto. Elle est présentée dans le pilote de la série comme fille unique d’un couple de braqueurs et arnaqueurs. Sa mère s’est enfuie quand elle était petite, mais revient dans sa vie dans le premier épisode. Elle a donc été élevée par son père, ce qui explique son côté non traditionnel. Elle a voyagé en Europe dans sa jeunesse, a été espionne pendant la guerre et décide après l’armistice de rester dans sa ville natale pour ouvrir une agence de détective. Frankie est une femme moderne. Elle porte des pantalons, des cravates, des bretelles, des boots, fait de la boxe, de la moto. Elle a toutes les caractéristiques du “garçon manqué” (horrible expression pour décrire une femme qui s’intéresse à autre chose que ce que son genre est supposé aimer). Pourtant, elle ne reste pas moins féminine et maîtresse de sa sexualité.

Trudy Clarke, son associé est une afro-canadienne venant d’une famille précaire. Quand elle rencontre Frankie, elle est domestique. Mais ce statut social ne lui convient pas. Devoir obéir à une personne blanche, plus riche qu’elle, alors qu’elle a soif d’action et que son cerveau est en ébullition lui est intolérable. Même si elle fait un métier moderne, boit de l’alcool, fait la fête et qu’elle est maîtresse de sa sexualité également, Trudy reste une femme plus traditionnelle. Elle ne porte que des robes et des chapeaux “respectables” pour une femme, elle va à l’église le dimanche, chante dans une chorale et vit encore chez ses parents vu qu’elle n’est pas mariée, où elle s’occupe de ses frères et sœurs plus petits.

Mary Shaw se rêve policière. Mais ce métier lui est inaccessible à cause de son genre. Dans les années 20, pendant la prohibition, les officiers de moralité féminines étaient en charge du bon comportement des femmes, surtout dans les lieux où elles fréquentent les hommes. Ce ne sont pas de vraies enquêtes et leur boulot est moindre comparé à leur homologue masculin. Mary, qui connaît bien Trudy, évite sa frustration évidente en participant activement aux enquêtes de Frankie et Trudy, avec une énergie et une passion illimitées.

Flo Chakowitz est l'assistante du coroner. C’est une médecin légiste douée, encore plus que son patron qui n’hésite pas à lui donner du boulot en plus (ce qu’elle accepte avec plaisir car elle connait ses compétences). Elle a de nombreuses conquêtes, a confiance en elle et se sait la meilleure de la ville.

Il est rare d’avoir un lead féminin dans le très phallo-centré monde des séries policières (Miss Marple et Miss Fisher enquête sont des exceptions à la règle), il est encore plus rare d’avoir quatre femmes en lead, dont c’est le métier d’être détective ou policière. Là où les hommes sont légitimes et nombreux, les femmes ont toujours été des amatrices (extrêmement douées) ou entourées d’hommes. Dans Frankie Drake Mysteries, il y a peu d’hommes qui les aident dans leur enquêtes. Les personnages masculins se résument aux clients, aux suspects ou alors au love interest des héroines. Elles n’ont pas besoin d’être accompagnées par un homme pour se sentir légitime dans leur travail. Cependant, le fait de n’avoir aucune once de testostérone dans leur agence de détective leur apporte un lot conséquent de remarque sexiste et de misogynie. Dans chaque épisode, quand elles proposent leur service aux hommes et/ou aux femmes, elles essuient les moqueries avec élégance. Au lieu de riposter et de les laisser dans leur problèmes, elle résolvent l’enquête pour leur prouver que le genre n’a rien avoir avec la compétence. La plupart des hommes pensent que les femmes ne sont pas assez intelligentes, certaines femmes pensent que ce n’est pas un boulot respectable pour elles (dont la propre mère de Trudy, qui n’hésite pas à lui faire quelque remarque sur son travail).

Même si nous pouvons parfois apercevoir leur vie privée (les hommes qu’elles fréquentent, leur famille, etc… ), les héroïnes restent des détective avant tout. Leur vie intime passe au second plan et les épisodes se concentrent beaucoup plus sur l’agence en elle-même et les enquêtes qu’elles doivent gérer. Chose assez rare pour le pointer du doigt, car le cinéma et les séries adorent s’intéresser aux femmes et leur tracas, et détestent se focaliser sur leur carrière. Ce sont quatre femmes intelligentes, compétentes, qui embrassent leur sexualité et n’hésitent pas à s’en servir pour obtenir des informations.

Diversité, j’écris ton nom


Les séries ont pris une avance considérable sur le cinéma en matière de représentation et de diversité. Là où on a encore du mal avec un personnage principal féminin/racisé/non hétérosexuel/trans (et parfois tout cela à la fois) dans le monde cinématographique, les séries ont apporté depuis presque deux décennies déjà la représentation à laquelle les spectateurs aspiraient. Mais il restait une sorte de série qui ne faisait aucun effort de ce côté là, les séries policières d’époques. Alors oui, il est vrai qu’elles dépeignent une période où les hommes blanc cisgenre hétéro étaient tout puissant (je ne sais pas pourquoi je le dis au passé vu que cela perdure encore ….). Dans le début du XXe siècle, les femmes étaient éloignées des scènes de crime, car jugées trop émotives et les personnes non-blanches étaient les suspects numéro un. J’ai beau aimé de tout mon cœur la série Hercule Poirot, je ne suis pas aveugle au point de ne pas voir qu’elle est exclusivement blanche. 





Les enquêtes de Murdoch a créé un début de changement en proposant les personnages du Dr Julia Ogden (femme et docteur dans un monde d'homme) depuis la saison 1 et celui de Rebecca James (jouée par l'actrice noire Mouna Traoré) mais il aura fallu attendre 9 saisons avant de la voir apparaître. Frankie Drake Mysteries va encore plus loin avec le rôle de Trudy Clarke, jouée par Chantel Riley. La série évoque par son biais la culture afro-canadienne des années 20 et surtout le racisme ordinaire de l’époque. Car Trudy en plus d’être une femme détective, est une femme noire détective. Les clients se méfient encore plus d’elle. Et même ses amies Frankie, Mary et Flo (qui sont toutes blanches) peuvent avoir des propos racistes sans le vouloir. Car elles ne comprendront jamais totalement ce que doit subir Trudy, et elle n’hésite pas à les remettre à leur place.

Le personnage de Flo, lui, apporte une diversité du corps, encore trop normé dans les séries et le cinéma. Si l’on trouve normal d’avoir un Hercule Poirot bedonnant (au vu de son âge et le fait qu’il soit un homme), les femmes grosses sont plus rares, ne montrant qu’un type de corps bien défini. Et quand, une actrice grosse prend le devant de la scène, c’est pour une histoire qui tourne autour de son poids généralement. Ici, le poids de Flo n’est jamais mentionné, même pas la moindre petite allusion. Et surtout, il ne l’empêche pas de plaire aux hommes, au contraire ! Hollywood, prends-en de la graine.

Bien entendu, je ne dis pas que Frankie Drake Mysteries est un exemple phare de diversité. Le personnage principal reste une femme blanche mince. Et les personnages secondaires, même si différents, ne restent que des personnages secondaires. Cependant, le geste est louable quand on sait que d’autres séries et films ne font même pas cet effort.


Evidemment, Frankie Drake Mysteries n’échappe pas aux défauts des séries policières d’époque. Déjà parce qu'elle dépeint d'une façon très fantasmé le travail du détective privé, comme beaucoup de série ou de roman policier (merci à Jessica Jones de rétablir la vérité). La modernité des costumes n’est pas très réaliste, ainsi que la représentation des années 20, montrées d’une manière édulcorée. La prohibition est ici juste un prétexte pour voir Frankie et ses amies boire chez elles, car elles font leur propre alcool. Ou pour représenter leur modernité dans leur QG, le Quon’s, qui propose du “thé glacé” (comprenez du whisky). Si vous recherchez une série d’époque réaliste, passez votre chemin car vous trouverez Frankie Drake beaucoup trop moderne pour être vraie. Le peu de budget de la série se voit un peu trop également. Peu de scènes en extérieurs, les mêmes décors telle une sitcom, fond vert et surtout des scènes d'actions pas toujours maîtrisées. Mais Frankie Drake Mysteries est une toute jeune série encore, qui vient à peine d’être renouvelée pour une saison 3. La dernière saison montrait un budget un peu plus conséquent, force est d’espérer que cette nouvelle saison nous proposera plus d’innovation de mise en scène et de décors.

J’avais envie de m’épancher sur ma série coup de cœur de ce début d’année, méconnue en France. La chaîne de télévision France Ô a diffusé les épisodes de la saison 1 pendant le mois de mars en inédit, vous pouvez regarder les épisodes en replay et connaître enfin une série qui ne paye pas de mine, mais qui est à la fois divertissante, fun avec un propos plus sérieux à creuser.


Laura Enjolvy