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[GUINNESS, CORK ET CINE] #5 : Entretien avec Cathal


#5 : Le cinéma irlandais vu par un irlandais : entretien avec Cathal


Découvrir les goûts et les recommandations de quelques irlandais m’a bien plu, comme vous pouvez le voir dans mon précédent article. Seulement, j’ai voulu avoir une conversation plus complexe et personnelle sur le sujet. Autour d’un bon falafel, dans une ambiance musicale avec un best of des années 2000, mon ami Cathal m’a parle plus longuement de ses films favoris, du Brexit et de Cillian Murphy. 
Cathal (prononcez Ca-Hal) a 19 ans et vient d’un petit village non loin de Cork. “Ce n’est même plus un village à ce stade, mais une paroisse, avec sa minuscule mairie, son épicerie et son pub!” C’est un camarade des amphis d’informatique qui s’intéresse aussi de près à la politique, au pop-rock anglophone et au cinéma irlandais. Forcément la personne idéale pour discuter!


“Mes goûts en cinéma sont plutôt mainstream, commence-t-il, Je dirais que parmi les irlandais, on aime les films grand public américains”. Une tendance déjà visible dans mon article précédent. Exception notable dans son top 5 de films favoris : Hot Fuzz d’Edgar Wright. “C’est son film le plus britannique, le plus piquant et acerbe, celui qui a une identité très marquée.” Cathal va au cinéma quand il le peut, et comme tout le monde, il a une pile de DVD attendant sagement d’être regardés. “Dès que j’ai le temps, j’essaie de regarder des classiques du cinéma, des films cultes si l’on préfère”. D’ailleurs le dernier film qu’il a vu au cinéma est Spider-Man: Into the Spiderverse (Oscar du meilleur film d’animation cette année!). “Comme tout Twitter, j’ai adoré ce film, et j’adore Marvel en général. Il fait partie de mes films de super héros préféré, avec le premier Avengers.”
Après avoir parlé de cinéma en général, j’ai voulu continuer sur le cinéma irlandais en particulier et ses films notables récemment. Le premier qui est ressorti de notre discussion est Brooklyn, un film de 2015 avec Saoirse Ronan dans le rôle principal. “Ce film retranscrit bien une réalité historique, surtout dans la partie en Irlande, dans un petit village. Les gens jugeaient énormément les agissements des autres à cette époque, une mentalité qui selon moi n’est pas encore totalement partie.” Vous voilà prévenus ! Plus sérieusement, ce film illustre très bien la différence entre la culture américaine et irlandaise, l’importance de l’émigration dans les deux cultures, en plus de montrer des paysages magnifique et une belle histoire. 



Cependant, si le film a fait parler de lui aux Oscars (3 nominations), il a eu en Irlande un impact bien moins fort que le film The Young Offenders. Tourné entièrement dans la région de Cork en 2016, cette comédie sur deux ados dont l’ambition est de récupérer les restes de cocaïne d’un navire échoué sur la côte a été “extrêmement importante pour le pays”. Le film fut un succès massif à domicile, et s’il n’a pas eu beaucoup de visibilité à l’international, il a rassemblé les habitants, le rendant instantanément culte. La ville de Cork y est filmée sous toutes ses coutures, une quasi première dans l’histoire du cinéma irlandais. Les quartiers dans lesquels je passe tous les jours y sont mis en valeur et donnent une impression de réalisme accru. “Ce film a été un carton massif dans le pays, et ici à Cork encore plus. Le plus grand cinéma de la ville l’a joué pendant plus de trois mois!”.
Le succès du film a poussé la chaîne nationale RTE et la BBC à collaborer pour en tirer une série dérivée, qui a pour l’instant une saison et une autre en tournage. “Je regarde rarement les productions TV irlandaises, à l’exception de cette série. Je pense que la TV est une partie de la culture qui est négligée, encore plus que le cinéma.”. Pour lui, le film et la série représentent plutôt bien la réalité sociale de la vie irlandaise urbaine. Une atmosphère plutôt classe moyenne, mais où règne une certaine cohésion. Une cohésion à la fois dans la série et sur le tournage : “A Cork, tout le monde connaît au moins une personne qui a été figurante sur le tournage!”. Les thèmes abordés, au-delà de celui de la petite délinquance, sont la famille, l’alcoolisme, les violences, l’adolescence à l'irlandaise. “Je pense vraiment qu’on y montre des aspects contemporains de notre pays, un aspect plutôt dur, tout en montrant des côtés plus tendres et chaleureux. Cork n’est pas une grande ville, tout le monde se connaît et s’entraide.” La série en finit aussi avec une représentation datée de l’Irlande avec Dublin d’un côté et la campagne de l’autre, en montrant la deuxième ville du pays sous son vrai jour.



Anecdote marrante sur cette représentation à l’international : la deuxième saison de la série américaine Heroes se déroule en partie à Cork. “Un des personnages passe du temps ici, mais ils n’ont pas utilisé de décors de Cork, et aucun acteur local puisque tous les acteurs ont des accents étranges de Dublin. L’illusion a tenu jusqu’à ce qu’ils ouvrent la bouche!” A bon entendeur.
Nous avons ensuite parlé du film Sing Street, qui avait été l’un de mes films coups de coeur a sa sortie en 2016. Il raconte la naissance d’un groupe de musique par des ados dans le Dublin des années 80, mais aussi la terrible récession qui touche alors le pays. “C’est une époque que beaucoup d’irlandais d’aujourd’hui ont vécue. La récession a poussé des milliers de gens à émigrer. Mes parents sont d’ailleurs partis à Londres, comme en rêvent les personnages du film, pendant cette période.” Cela explique pourquoi ce film, qui m’avait marqué par sa musique géniale, a autant touché Cathal. “Ce film était très pertinent, ça sonnait vrai. Mes parents s’y sont beaucoup reconnus.” Pourtant, le film reste très universel, et ma famille en France a aussi beaucoup apprécié Sing Street et ses chansons originales (qu’on vous conseille à 1000%). “C’est super de voir que des personnes ne vivant pas en Irlande regardent aussi ce film!”
Le fait que des films irlandais soient reconnus à l’international a pour Cathal une vraie importance : “En tant que jeune nation, c’est important de pouvoir se sentir fiers d’une oeuvre irlandaise”. L’Irlande n’a en effet accédé à son indépendance qu'en 1922, après des siècles de colonisation britannique. L’envie de se démarquer du voisin, tout en collaborant ponctuellement pour des films ou séries, est forte. L’ombre du Brexit, dont les conséquences sont incertaines pour l’Irlande, plane également sur son industrie culturelle, ce qui l’inquiète beaucoup. “Il faut qu’on continue à avoir les fonds nécessaires pour produire de la culture de qualité”.

 

J’avais déjà parlé dans cette section du film Black ‘47, qui raconte justement la colonisation britannique et ses conséquences dramatiques pour la population irlandaise. J’étais d’ailleurs étonnée de voir ce film présenté comme “le premier film sur la Grande Famine”, qui est un événement extrêmement important dans l’histoire irlandaise. Au milieu du XIXème siècle, une famine frappe le pays, tuant un million d’habitants et poussant à l’émigration deux millions d’autres. Cathal m’explique “La Famine est encore un point sensible et douloureux de notre histoire. C’était vraiment une période horrible, et c’est vrai qu’on ne peut pas vraiment faire de film sur le fait que des millions de gens mouraient de faim. Le fait que le film en fasse une histoire de vengeance est de fait l’un des seuls scénarios possibles pour parler de la période. Je pense que c’est le premier film sur cette époque parce que personne n’est encore prêt à en parler.” Il me confie que l’on reparle de la Famine à chaque fois que les problèmes de logement (le pays traverse une crise des logements qui génère des manifestations quasi hebdomadaires) de propriété, et de politique étrangère britannique sont abordés. “C’est un aspect sous-jacent de notre culture. Notre attitude par rapport à la terre et au Brexit est conditionnée par cela. C’était vraiment une période sombre”.
Peut être que la partie la plus reconnue du cinéma irlandais réside en ses acteurs. On peut déjà citer la moitié du casting de Harry Potter (saviez-vous que la tante Pétunia Dursley venait de Cork?) et de Game of Thrones (Littlefinger par exemple), mais aussi l’actrice Ruth Negga (Loving, la série Preacher) sont irlandais. Cathal apprécie particulièrement les films de Martin McDonagh (récemment le réalisateur de Three Billboards Outside Ebbing, Missouri) irlandais lui-même et qui emploie très souvent des acteurs irlandais aussi, comme dans Bon Baisers de Bruges (Colin Farell et Brendan Gleeson). “J’aime beaucoup ce film, c’est super drôle, ça fait plaisir de voir des irlandais rayonner!”.

 

Nous avons évidemment abordé Cillian Murphy, natif de Cork, qui a étudié dans notre université. Je lui explique qu’il est très populaire en France grâce à la série Peaky Blinders. “Je suis déçu de ne l’avoir jamais croisé par ici alors!”. Nous avons aussi parlé de Liam Neeson (au centre d’une polémique en ce moment d’ailleurs) qui a joué dans Michael Collins, “un film historique qui a eu un succès gigantesque à sa sortie, sur un des leaders de l’indépendance irlandaise. Certains aspects sont romancés, mais cela reste un très bon film.” De fait, beaucoup d’acteurs et actrices irlandaises sont reconnus à l’international, comme Michael Fassbender, “Il a vécu son enfance dans le Kerry (région voisine de celle de Cork)!”. Il résume : “They made it big in Hollywood!”.
Durant cette discussion, nous avons juste effleuré la surface du cinéma irlandais, qui pour un pays qui fait moins du dixième de la population française, est très riche! Pour un pays si “petit”, le cinéma et la culture en général ont une importance toute particulière pour l’identité nationale. Je ne peux que vous inviter à regarder le film The Young Offenders sur Netflix en ce moment, évidemment en version originale pour apprécier l’accent si typique de Cork! Cathal conseille aussi la série Rebellion,qui raconte les luttes d’indépendance irlandaise, et est également disponible sur Netflix. 



La bise irlandaise!

Léa