[CRITIQUE] : Grâce à Dieu
Réalisateur : François Ozon
Acteurs : Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Josiane Balasko,...
Distributeur : Mars Films
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 2h17min.
Synopsis :
Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi.
Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.
Critique :
Avec #GraceADieu, Ozon explore un fait divers édifiant et propose par la force d'une oeuvre pudique et respecteuse, d’oublier un instant la grandeur supposée de l’Église catholique, pour se concentrer sur les troubles engendrés par sa capacité à fermer les yeux. (@MnFrankenstein) pic.twitter.com/9uIjij9q7i— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) 18 février 2019
Après s’être concentré sur le portrait de jeunes femmes fragiles, Ozon s’intéresse à la fragilité d’hommes et le réussit bien mieux. Après L’Amant Double, on pouvait craindre un objet fumeux mais il n’en est rien, le réalisateur traite son lourd sujet avec beaucoup de respect.
Alexandre est un père de famille, bourgeois, dont la vie et la foi ne semblent être entachées par rien, si ce n’est le drame que l’homme a vécu alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Le film présente ce drame avec la même dignité que conserve le personnage, à partir une correspondance épistolaire, des lettres lues sur les images tranquilles d’un procédé de justice à l’amiable. Mais la pédophilie ne peut justement se régler à l’amiable et les échanges, aussi cordiaux restent-ils, résonnent de plus en plus comme une tragédie. Les correspondances d’Alexandre laissent alors place à une nouvelle figure, un autre homme également victime du prêtre Preynat qui aborde son passé d’une façon tout autre. Ainsi, tout au long du film, à travers les différentes victimes, Ozon laisse place à différentes gestions du traumatisme et ne tombe pas dans la généralité. L’impact des actes pédophiles sur chaque enfant est traité au cas part cas, pour des destins différents dont les blessures sont toutes liées aux mêmes images traumatiques, celles d’un camp de scout, en été, dans une campagne verdoyante ou d’un labo photo dont la porte se referme comme celle d’un piège. Cette sobriété est d’autant plus appréciable.
La composition de l’oeuvre comme l’approche des différentes personnalités à partir de mêmes souvenirs est excellente, néanmoins tous les segments ne sont pas égaux, celui d’Emmanuel (Swann Arlaud, pourtant bon), pêche un peu. Alourdi par une volonté bien trop prégnante de montrer la misère sociale, cette partie souffre d’un misérabilisme prégnant, assorti de décors sortis des années 70. Affublé de vêtements démodés, d’une large moustache et de cheveux gras, Swann Arlaud en tire davantage de mérite parce qu’il parvient à rendre cette caricature crédible.
Le parallèle avec la bourgeoisie d’Alexandre, le premier protagoniste, est plutôt intéressant, mais le résultat est trop maladroit, le réalisateur étant davantage doué pour filmer la bourgeoisie que la condition populaire, restant juste sur le premier, basculant dans le tableau caricatural sur le second. Le misérabilisme de ce segment est néanmoins le seul point négatif de cette construction, qui, en plus de parler des traumatismes différents, permet d’aborder la relation que chacun entretient avec la foi et l’Église catholique. Deux dimensions sont effleurées dans la toute première séquence du film, qui sert d’introduction, et reviennent par la suite et avec récurrence dans les dialogues : le rapport à une foi abstraite, personnelle et immatérielle, et l’institution bien rodée qu’est l’Église catholique. Au coeur de ceux-ci, le pardon, valeur phare du catholicisme. Mais le film est très clair, menant ses personnages, même les plus croyants à une impasse : le pardon ne peut être effectués pour un acte aussi destructeur que la pédophilie et se voit être réutilisé par une institution déconnectée.
Enfin, la figure du père Preynat hante, ses actes ne sont jamais minimisés, on n’épargne pas les descriptions aux spectateurs car elles sont essentielles, aussi difficiles à entendre. Ce prêtre apparaît comme un vieil homme brisé, naïf, qui se souvient de chacun des enfants – c’est pourtant bien la même personne sur laquelle on ne laisse planer aucun doute, la même personne dont les limites semblent inexistantes.
Il résulte, de l’exploration de ce fait-divers édifiant par François Ozon, un combat filmé avec une grande dignité. On peut se questionner sur l’approche très méthodique du sujet, pourtant celle-ci, d’apparence aussi impersonnelle puisse-t-elle être, est ici un gage de pudeur et de respect, le cinéaste s’effaçant au profit de ses personnages. Le grand regret réside en ce segment misérabilisme sur le personnage de Swann Arlaud, d’autant plus qu’il s’agit d’une figure particulièrement intéressante, mais qui demeure enfoncé dans la démonstration du cinéaste.
Grâce à Dieu propose d’oublier un instant la grandeur supposée de l’Église catholique pour se concentrer sur les troubles engendrés par sa capacité à fermer les yeux. Si la question est très discrète, on note également une réflexion sur la foi, celle-ci apparaît intérieure, reste à savoir si elle est inébranlable… En conclusion, on évoque Frantz et la capacité d’Ozon à créer des femmes fortes et intéressantes à partir d’hommes brisés et on demande à en voir plus sur cette optique.
Manon Franken