[CRITIQUE] : Frantz
Acteurs : Pierre Niney, Paula Beer, Ernst Stötzner,...
Distributeur : Mars Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Allemand.
Durée : 1h53min.
Synopsis :
Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France.
Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.
Critique :
Vissé en plein entre-deux guerre, #Frantz est une émouvante tragédie sur l'absence et le mensonge, douloureusement immersive et humaniste— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) 23 août 2016
Être honoré par le césar du Meilleur Acteur à peine rentré dans le ventre mou de la vingtaine et du quart de siècle, on pensait que cette soudaine - mais amplement méritée - consécration risquerait de peser bien lourd dans les choix de carrière de l'excellent Pierre Niney, définitivement attendu au tournant désormais par tous les cinéphiles mais également tout un septième art français qui voit en lui l'avenir de son cinéma.
Et bah finalement pot de balle, le célèbre YSL de Jalil Lespert a fait taire toutes craintes à peine quelques semaines plus tard, en portant avec conviction le très bon Un Homme Idéal de Yann Gozlan ou, aux côtés de la sublime Ana Girardot, il nous servait une partition des plus inspirés dans cette sorte de fusion maligne entre le Fenêtre sur Cour de David Koepp et le chef d’œuvre Match Point de tonton Allen; le tout sous fond d'usurpation, l'imposture et le vol de manuscrit.
Un choix de carrière intelligent, sans compter une partition vocale inspirée dans le chef d’œuvre Vice-Versa, ou il incarnait avec justesse la Peur.
Mieux, 2016 avait confirmer cette jolie lancée puisqu'on l'a retrouvé dans Five en mars dernier, premier long métrage d'Igor Gotesman (qu'il retrouvait après la série Casting), un " films de potes " hautement sympathique incarnant, de loin, l'une des meilleures comédies hexagonales de l'année.
Et alors que la cuvée ciné de 2016 entame son dernier virage après un été assez rude, il sera de retour à la rentrée avec Frantz, nouveau long métrage de François Ozon, deux ans pile poil ou presque, après le brillant Une Nouvelle Amie.
Ozon est un cinéaste aussi insaisissable que pervers (pas personnellement, on ne parle ici que de son style de réalisation), ou, tout du moins, un metteur en scène sincèrement attiré par le côté obscur de la nature humaine.
Si pendant longtemps, ce versant de sa personnalité ne s'était que partiellement dévoilé, il fut cependant entièrement assumé et affirmé avec la conception de ses trois précédents longs, Dans la Maison, Jeune et Jolie et Une Nouvelle Amie; aussi pervers donc, que manipulateur.
Voir le metteur en scène associé à l'une des pépites montantes du septième art bien de chez nous, avait donc de quoi attiser plus que de raison notre intérêt, surtout quand on sait qu'ils s'échinent à porter sur grand écran la pièce de Michel Rostand, tout en s'inspirant librement de sa première transposition au cinéma, Broken Lullaby, signé par Ernest Lubitsch en 1932.
Douloureux drame humain engoncé dans l'entre-deux guerre, Frantz examine avec minutie les ravages de la Grande Guerre sur une relation franco-allemande encore douloureuse et tendue, par le biais de deux âmes en peine, Anne et Adrien.
La première, jeune allemande dans la fleur de l'âge, souffre terriblement de la perte de son fiancé Frantz, mort au combat, tout comme le second, ami de celui-ci durant leurs études à Paris.
Peu à peu, Adrien va se rapprocher de la famille de Frantz et nouer une fragile amitié avec la belle Anna, jusqu'à reprendre goût à une vie qu'ils s'étaient pourtant refuser de pleinement apprécier depuis.
Mais la venue du jeune homme cache un lourd et terrible secret...
Bouleversante épopée pleine de tristesse sur l'absence, Ozon fait de Frantz une tragédie sociale émouvante sur l'émancipation et la gestion du deuil (comme Une Nouvelle Amie), aussi bien romantique - par la disparition de Frantz - qu'humaine - l'atrocité de la bêtise humaine et de la guerre.
Porté par un classicisme élégant (de sa mise en scène soignée à l'utilisation intelligente du noir et blanc) et une tension dramatique purement Hitchcockienne - la figure majeure qui plane sur tout le cinéma du cinéaste -, la péloche manipule la perception du réel (horrible) et de l'imaginaire (réconfortant) pour mieux dérouler un portrait ambiguë et morose du mensonge, véritable fardeau pour la belle Anna, dont les tiraillements intimes et le processus d'indépendance/reconstruction par la force de l'art, est croqué avec finesse par le réalisateur.
Contemplatif juste ce qu'il faut, pudique mais d'une poésie et d'un romantisme renversant, dense psychologiquement et à la violence jamais feinte (des nons-dits lourds de sens à la cruauté humaine planant comme une ombre sur tout le métrage); Frantz est un formidable drame humain et familial oscillant entre amour impossible (autant que peut l'être une amitié franco-allemande espérée, mais dont le spectateur connaît déjà la pesante issue) et vrai regard sociétaire (et dont l'universalité des thèmes abordés fait pleinement écho à l'époque contemporaine), s'éloignant lentement de son contexte historique pesant, pour mieux s'appuyer solidement sur une galerie de personnages remarquablement caractérisés et interprétés - mention à Pierre Niney mais surtout à Paula Beer, qui bouffe littéralement l'écran.
Sensiblement immersif, François Ozon convie son spectateur au coeur d'un chaos lattant et déchirant pour mieux en sublimer ses fugaces rayons de soleil.
La belle claque de la rentrée ciné est ici...
Jonathan Chevrier