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[CRITIQUE] : Réalité


Réalisateur : Quentin Dupieux
Acteurs : Alain Chabat, Élodie Bouchez, Jonathan Lambert, Eric Wareheimet, Roxane Mesquida,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Comédie dramatique.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 1h27min.

Synopsis :
Jason Tantra, un cameraman placide, rêve de réaliser son premier film d'horreur. Bob Marshall, un riche producteur, accepte de financer son film à une seule condition : Jason a 48 heures pour trouver le meilleur gémissement de l'histoire du cinéma…


Critique :
Si il y a bien une chose qui est gravé dans la roche d'un septième art français dont le soucis d'originalité se meurt de plus en plus avec le temps, c'est que Quentin Dupieux est l'un des cinéastes les plus inclassables de la dernière décennie par chez nous.

Personne ne pourra reprocher au génial bonhomme de faire du mieux qu'il le peut pour produire des œuvres aussi singulières et barrées à l'intérieur d'un cinéma hexagonal qui n'a que trop peu l'habitude (et encore pire, la paresse) de laisser ses brebis tourneuses, trop s'écarter du droit chemin de la pellicule populaire.
Reste que l'aura fascinante du papa de Rubber s'est un peu écorné à nos yeux depuis l'an dernier, avec son raté Wrong Cops, bien loin d'être la meilleure mise en image de son style pourtant si inimitable.

Grosse accumulation paresseuse et ennuyeuse de vignettes plus ou moins bien senties (surtout moins) et tournée à la va-vite, au visuel assez maladroit - les limites du filmage à l'appareil photo - et dont la seule porte de salut se retrouvait dans le défilé délirant de guests stars délirantes (l'ami et habitué Eric Judor, Eric Roberts et Marilyn Manson en tête).


Un net essoufflement, voir même d'asséchement, pour un cinéma jadis surréaliste qui se devait de vite redresser la barre si il ne voulait pas éternellement tourner en rond et provoquer l'agacement plus qu'autre chose au sein d'une communauté cinéphiles qui n'a pas toujours été totalement acquis à sa cause.

Et ce nouveau souffle salvateur, il semble l'avoir trouvé avec Réalité - tourné avant Wrong Cops -, son sixième long métrage (mais de l'aveu même de Dupieux, le premier film qu'il aurait aimé mettre en scène) au pitch tout aussi foutraque que son casting est alléchant (l'inestimable Alain Chabat, la belle Élodie Bouchez, le délirant Jonathan Lambert et les habitués Eric Wareheimet et Roxane Mesquida).

Sublime, d'une folie absurde et parfois glaçante, référentiel (voir même auto-référentiel) tout en réussissant la prouesse d'être nettement plus accessible que ses précédents longs, le nouveau Dupieux est une péloche impitchable qui démarre sur une scène barrée et intrigante (une petite fille, Reality, trouve une mystérieuse VHS dans les entrailles d'un sanglier que son père vient de chasser et dépecer...), pour se poursuivre dans la quête impossible d'un caméraman wannabe réalisateur (Jason Tantra, mandaté par son producteur de trouver le gémissement parfait, condition sine qua non de la mise en production de son scénario), avant de totalement bâtir son suspens à coups de jeu de miroirs, sur la curiosité que provoque son histoire sur la psyché de son spectateur.


Jouant avec malice des codes du cinéma (il brouille les frontières entre réalité et fiction pour se créer sa propre Réalité cinématographique), alignant les mises en abimes et les situations délirantes via une écriture tout aussi joliment cohérente et soignée que sa réalisation à l'esthétique impeccable, Réalité incarne ni plus ni moins que la synthèse parfaite de tout un cinéma, mais surtout l’œuvre la plus aboutie et maitrisée de Dupieux, loin devant le pourtant merveilleux Wrong, dont le film pioche toute la savoureuse poésie décalée.

D'une densité étonnante (la satire d’Hollywood, toujours en arrière-plan comme pour Rubber) et hommage assumé aux génies chers au cinéaste (Lynch et Bunuel en tête, mais également Cronenberg), le film est un bijou de comédie mené tambour battant et qui ose tout, même l'impensable, pour nous dérider un sourire.

Les dialogues font constamment mouches et le timing comique est des plus remarquable, Alain Chabat, en tout point magistral, trouvant même ici son meilleur rôle depuis très longtemps (toujours ?), tout comme Jonathan Lambert, excellent dans la peau de Bob, un producteur râleur et condescendant, dont les interactions avec Jason sont de purs instants drôlatiques.


Décomplexée, stylisée, totalement absurde et méchamment ludique, le Dupieux nouveau est un millésime comme on n'en voit que trop peu au sein de la comédie hexagonale, au point qu'il risque de laisser sur le carreau plus d'un spectateur.

Dommage, car il est au bas mot, l'un des (gros) immanquable du moment en salles.


Jonathan Chevrier