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[CRITIQUE] : Faces cachées


Réalisatrice•eur : Christine Molloy et Joe Lawlor
Acteurs : Ann Skelly, Orla Brady, Aidan Gillen, Annabell Rickerby, Catherine Walker, Sadie Soverall,...
Distributeur : Destiny Films
Budget : -
Genre : Thriller.
Nationalité : Irlandais, Britannique.
Durée : 1h40min

Synopsis :
Rose, étudiante en médecine vétérinaire, décide de contacter Ellen, sa mère biologique qu’elle n’a pas connue. C’est une actrice à succès qui ne veut pas développer de relation avec Rose. Cette dernière se montre très tenace et Ellen finira par révéler un secret qu'elle a caché pendant plus de 20 ans. À la suite de cette découverte, Rose va se rapprocher de son père biologique…



Critique :


La vengeance n'est qu'une infime partie de Faces Cachées, le nouveau film de Christine Molloy et Joe Lawlor. Ce duo qui s'interroge à nouveau sur la question d'identité, sur les doubles vies, sur les existences alternatives. Au lieu de chercher à réparer la vie de la protagoniste Rose, ou même de combler des manques issus de son passé, le film soulève les questions qu'impliquent d'imaginer une vie dérobée. Que ce soient vis-à-vis du rapport aux autres, de la construction des sentiments, de sa place dans le monde, de son parcours professionnel, etc. Au début du film, Rose est étudiante en médecine vétérinaire, en pleine crise d'identité. Adoptée en obtenant le prénom Rose, c'est pourtant le prénom de Julie qui apparaît sur son acte de naissance. Elle décide de contacter sa mère biologique Ellen qu'elle n'a jamais connue, qui avait pourtant décidé de ne pas vouloir de contact. Persévérante, Rose découvrira l'identité de son père biologique et décide de s'en rapprocher également. A partir de cet imaginaire d'une vie dérobée à la naissance, il y a le désir de trouver les figures qui l'auraient composées. Les images cherchent donc à se connecter à des traumatismes, qu'ils soient lointains ou présents avec la crise d'identité.

© Destiny Films

Il y a la mélancolie de moments en famille jamais vécu, comme une balade sur le bord de mer que Rose suggère dans la première scène. Plusieurs fois, la protagoniste s'interroge sur les activités ou ce qu'elle incarne auprès de ses parents biologiques. Sauf que ces traumatismes ne deviennent jamais des images, et restent des pensées dictées en voix-off. Il s'agit de plans où l'actrice Ann Skelly est posée dans le champ, sans vraiment bouger, dans le silence. Par-dessus se pose sa voix-off pour exprimer ses pensées, ses réflexions, ses doutes. Face à ces images figées où la vie semble complètement s'arrêter (alors que Rose essaie de dessiner les contours d'une vie alternative), il y a sa voix off bien trop imposante. Ce malheureux besoin de sur-expliquer et d'expliciter la souffrance intime par les mots, parce que les images ne sont que des manières qui ne laissent rien sortir. Au lieu de chercher à quoi pourrait ressembler cette vie alternative (la personne qu'elle « était censée être » selon ses propres mots), le duo Molloy et Lawlor s'enlisent dans le symbolisme forcé. Les attitudes des personnages sont tellement maniérées, la mise en scène est tellement prononcée, que le drame qui se construit n'en devient qu'un artifice. Il y a tellement de plans avec ralentis sur le mouvement, de contemplations inutiles qui se veulent provenir d'une sorte de conte, de regards dans le vide, de corps figés avec une voix-off par-dessus, que ça en devient lourd. A force de chercher du sens partout, celui-ci disparaît progressivement. Au point d'avoir une surcharge de musiques, pour bien appuyer les émotions et le ton recherchés – comme si c'était impossible à partir des images.

© Destiny Films

Le film se voudrait immersif avec tous ces cadrages proches des corps et cette musique omniprésente, mais ça réduit surtout les traumatismes en de simples symboles mélodramatiques. Rose devient un pion de son propre destin dessiné par les cinéastes, qui la coincent entre deux instants de vie. Ce qui est paradoxal quand l'idée est qu'elle joue le rôle d'une autre vie (celle de Julie, son nom de naissance). D'autant plus que cette recherche d'une vie jamais vécue prend la forme d'un parcours fait de confrontations. La mélancolie naît en dehors, tandis que les nouvelles émotions sont le résultat de ces échanges avec les parents biologiques. Ces rencontres sont une façon pour Rose de se confronter avec l'incertitude et l'imaginaire qu'elle développe vis-à-vis de Julie, cette personne qu'elle n'a jamais pu être. Le plus étonnant est de voir à quel point cela s'effectue avec sérénité. C'est parce qu'il y a une certaine ambiguïté dans les échanges entre les personnages : les rapports de forces sont toujours incertains. Le calme qui s'instaure dans ces confrontations fait partie de l'artifice des symboles mélodramatiques, mais fait aussi partie de la construction d'une perturbation qui s'installe petit à petit, et qui peut changer de « camp ». Les vies des trois personnages (Rose et ses deux parents biologiques) sont bousculées. Ou plutôt, ce sont leurs déguisements qui sont renversés. Ceux qui permettent de refouler les émotions et de cacher des secrets. Ceux qui permettent de fonder une vie parallèle : face à la perruque de Rose permet d'agir comme Julie, il y a le métier d'actrice d'Ellen et le métier d'archéologue de Peter. L'actrice qui change de visage, joue à être quelqu'un d'autre ; et l'archéologue qui fouille pour trouver les traces d'autres vies.

© Destiny Films

A travers cette idée du déguisement, le duo Molloy et Lawlor cherchent un regard qui se détache de chaque espace, là où la protagoniste semble étrangère au monde. Au point d'être une sorte de somnambule qui navigue à l'aveugle dans ses confrontations. Pourtant, chaque personnage manque cruellement de développement. Ils ont des nuances dans les attitudes, tous autant qu'ils sont, mais ils semblent être étrangers à eux mêmes également. Les personnages sont aussi flous que les arrières plans des espaces. Avec ces faibles éclairages qui ont l'air de suggérer qu'il n'y a pas de vie dans le hors-champ, il n'est pas étonnant de voir des personnages qui se détachent du monde. Ce détachement et ces déguisements sont les arguments pour atteindre une forme de lyrisme. Sauf que les espaces qui composent le récit sont tout autant bloqués que Rose. L'ambiguïté de l'alternative, du contact, de l'avenir ressemblent à une longue temporisation dont la catharsis est constamment inaccessible. Le drame intime n'a pas alors pas tellement besoin de cet aspect lyrique. Pourtant, même si Rose ne devient jamais cette autre version d'elle-même en dehors des symboles artificiels de la mélancolie, la confrontation psychologique devient forte lorsqu'elle prend la forme d'une arme faite d'émotions brutes comme dans le final.


Teddy Devisme