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[CRITIQUE/RESSORTIE] : Cría Cuervos


Réalisateur : Carlos Saura
Avec : Geraldine ChaplinAna Torrent, Conchita Perez,…
Distributeur : Tamasa Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Espagnol.
Durée : 1h52min

Date de sortie : 3 juin 1976
Date de ressortie : 15 mars 2023

Synopsis :
Ana, 9 ans, ne dort plus la nuit dans la grande maison madrilène familiale. Ses parents sont morts récemment. Sa mère s'est éteinte de chagrin et de dépit amoureux, son père a succombé à une maîtresse vengeresse.
Témoin de ces deux morts malgré elle, Ana refuse le monde des adultes et s'invente son univers. Elle s'accroche à ses rêves et ses souvenirs pour faire revivre sa mère et retrouver son amour. Elle remplit son quotidien de jeux qu'elle partage avec ses soeurs.



Critique :


Si l'enfance est considéré comme l'âge de tous les possibles, l'âge où l'imaginaire est d'autant plus foisonnant qu'il ne se borne à suivre les limites imposées par la maturité et le monde des adultes, il peut tout autant se voir comme l'une des périodes les plus terrifiantes de l'existence tant dans la conscience comme dans l'inconscience des choses, se cache des zones d'ombres qu'il ne faut parfois jamais franchir.
Comme celle d'avoir conscience sans forcément totalement le comprendre, du mal et du trouble qui nous entoure, de l'accepter autant que d'en reproduire - involontairement où non - la violence et la toxicité, comme un héritage qui gangrène encore et encore avec une rage insatiable.

Cinéaste espagnol ayant sensiblement bâti sa filmographie sur une critique implicite du régime Franquiste, Carlos Saura, à qui les premiers films de Guillermo Del Toro - ses plus beaux - doivent beaucoup, concoctait avec Cría Cuervos une oeuvre protéiforme et féministe, à la fois une réflexion mélancolique sur la gestion du deuil et un portrait juste de l'enfance de la société espagnole à une heure où la nation se trouvait à la croisée des chemins (la fin du Franquisme et son espoir d'un renouveau démocratique).

Copyright Tamasa Distribution

Cocktail infiniment complexe entre fantaisie et réalité, vissé sur l'observation psychologique captivante d'une môme, Ana (Ana Torrent, impressionnante), vivant douloureusement dans l'ombre du décès prématuré d'une mère qu'elle considère toujours là (à la différence d'un père, militaire faciste, dont elle se moque de la mort étrange), alors que son pendant adulte est tout autant emprisonné dans une recherche Proustienne du temps perdu (Géraldine Chaplin qui joue également le rôle de la mère d'Ana, une ressemblance troublante comme une manière qu'à Saura de prouver leur immobilisme tragique, vouées qu'elles sont à répéter le même cycle d'erreurs et d'échecs); Cría Cuervos désarçonne dans sa manière de lier le traumatisme de son héroïne au traumatisme de sa nation, tant les références au système répressif de Franco sont intimement liés à la psyché qu'il explore, éduquée inconsciemment dans une violence qu'elle perpétue et qui l'a prive de son innocence depuis longtemps.

Une violence patriarcale dont la pression institutionnalisée (jusque dans les moindres recoins des cellules familiales des classes moyennes comme aisées/bourgeoises espagnoles) et banalisée l'oblige autant à errer dans une prison de verre claustrophobique coupée du monde et presque figée dans le temps, qu'à rejeter une autorité qu'elle ne comprend pas et dans laquelle elle ne se reconnait pas.
Elle est la lueur de vie et d'espoir, la fougue de la jeunesse dans une société endolorie où tout se (s'est) détruit à l'usure, coincée le popotin entre tradition et modernité, le fer de lance d'une réappropriation de sa (la) vie face à une mort qui est partout et qui emporte tout.

Copyright Tamasa Distribution

Aussi politiquement engagé qu'il est profondément métaphorique et mélancolique, Cría Cuervos se fait un chef-d'oeuvre funambule, un vrai numéro d'équilibriste où la vision non-idéalisée et à hauteur de môme d'une enfance meurtrie se fait le miroir troublé et troublant de l'agonie d'un régime totalitaire dont les séquelles sont encore vivaces.
Près de cinq décennies plus tard, sa puissance évocatrice n'a strictement rien perdu de sa superbe.


Jonathan Chevrier



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