[CRITIQUE] : Earwig
Réalisatrice : Lucile Hadzihalilovic
Avec : Paul Hilton, Romane Hemelaers, Romola Garai,...
Distributeur : New Story
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Britannique, Belge.
Durée : 1h54min
Synopsis :
Dans une demeure isolée, à l’abri des grondements d’une Europe hantée par la guerre, Albert s’occupe de Mia, une fillette aux dents de glace, assignée à résidence. Régulièrement, le téléphone sonne et le Maître s’enquiert du bien-être de Mia. Jusqu’au jour où il ordonne à Albert de préparer la fillette au départ…
Critique :
Quel est le lien entre un orthodontiste un peu trop zélé, le bruit du cristal et la fin de l’enfance ? Il s’agit de Earwig, le dernier film de Lucile Hadzihalilovic. Déjà, quelques mots sur ce film que sa réalisatrice qualifie elle-même de cauchemar éveillé.
Dans une demeure isolée, Albert s’occupe de Mia, une fillette aux dents de glace assignée à résidence. Régulièrement, le téléphone sonne et le maître s’enquiert du bien-être de Mia. Jusqu’au jour où il ordonne à Albert de préparer la fillette au départ.
Avec Earwig, Lucile Hadzihalilovic continue son travail sur l’enfance et le passage à l’âge adulte qui avait commencé avec Innocence en 2004 et continué avec Evolution en 2015. Si Innocence montrait l’enfance des petites filles comme une usine à féminité, Evolution se plaçait du côté des garçons et montrait leur transformation dans un récit presque fantastique.
Earwig se place dans la continuité d’Innocence. Mia, comme les filles dans Innocence, est cloîtrée, préparée, presque construite, pour un futur qui semble abstrait.
Si dans Innocence la féminité est montrée comme construite par la pression des pairs et l’exposition constante à la comparaison, dans Earwig c’est la pression sourde et distante d’un maître qui semble prédominer. Maître que l’on pourrait facilement assimiler au patriarcat. Sans pour autant trop extrapoler. Les films de cette dernière ne sont pas faits pour être trop rationalisés.
Le rapport au corps est tout aussi fascinant que dans ses deux premiers films. Il est d’ailleurs considéré par certains comme du body horror, mais visuellement très doux, latent, presque aérien.
Earwig est un film qui joue énormément sur les sensations, notamment celles du chaud et du froid. Le froid par la dentition glacée de Mia, cet immense appartement qui semble rempli de courants d’air ou encore par le bruit glaçant et métallisé des verres en cristal. Le chaud par la photographie dans des teintes chaudes, une peinture à l’huile rougeoyante et la présence du sang par moment.
Earwig est une production étonnante à l’opposé de la production cinématographique actuelle qui risque de beaucoup dérouter mais certainement pour le mieux.
Éléonore Tain
Qu'est-ce qu'un film de Lucile Hadzihalilovic ?
Résolument quelque chose de profondément singulier au sein d'un paysage cinématographique hexagonale où il est rare de découvrir de véritables expériences dont les intrigues sont sensiblement moins importantes que le mystère épais qui les embaument.
À tel point que chacun de ses efforts peuvent être beaucoup de choses à la fois, et encore plus lorsqu'elle tire leur force d'un matériau d'origine tout aussi nébuleux... comme Earwig.
Sombre fable qui creuse furieusement son chemin dans votre conscience, on y suit les aternoiements étranges de Mia, 10 ans au compteur et confinée dans une maigre demeure avec un homme qui est vendu par l'histoire comme son tuteur - Albert -, et qui subit une routine de soins minutieuse et rigoureuse par celui-ci : chaque jour, sans raison apparente, celui-ci insère des rangées de glaçons dans sa bouche édentée puis la laisse jouer toute seule.
Peu à peu, par saillies austères et surréalistes, nous en apprenons juste assez sur la situation de Mia pour nous soucier d'elle, mais aussi juste assez du monde violent et dangereux au-delà de la porte verrouillée du petit appartement, pour nous inquiéter de ce qui se passera lorsqu'elle viendra à sortir...
Sorte de songe Lynchien (le mot sorte est très important ici, puisque Hadzihalilovic n'explore pas le monde des rêves pour mieux se perdre dans ses puzzles narratifs, mais une logique de rêve purement inexplicable) profondément perturbant dans l'invocation tranquillement apocalyptique que fait la cinéaste du passé autant que d'une peur primaire qui nous habite tous (la crainte des dentistes), le film, adapté du roman éponyme de Brian Catling, pourrait presque apparaître comme subversif à une heure où tout spectateur à l'exigence fragile, n'accepte pas de vouer son attention à une oeuvre qui le catapulte dans un univers trompeusement tangible où les scènes s'enchaînent et se répondent, au-delà des frontières du récit classique.
Une expérience où les effets les plus immanents - tous physiques - qui distraient et détournent la voix narrative, entrent à l'improviste dans le hors-champ et sont continuellement en avance sur l'image qui leur correspond, comme s'ils tissaient eux-mêmes leur propre réalité sur ce qui nous ait montré.
Cauchemar hallucinatoire et sensoriel - à la lisière du body horror -, qui se lit comme une réflexion sur l'angoisse des relations humaines - notamment les relations/conflits de genre -, magnifié par la photographie de Jonathan Ricquebourg (La Mort de Louis XIV, déjà embaumé dans un formidable clair-obscur claustrophobe), Earwig perturbe autant qu'il fascine et exige un visionnage répété pour scruter et explorer les nombreux mystères et ambiguïtés qui restent sans réponse.
Jonathan Chevrier
Avec : Paul Hilton, Romane Hemelaers, Romola Garai,...
Distributeur : New Story
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français, Britannique, Belge.
Durée : 1h54min
Synopsis :
Dans une demeure isolée, à l’abri des grondements d’une Europe hantée par la guerre, Albert s’occupe de Mia, une fillette aux dents de glace, assignée à résidence. Régulièrement, le téléphone sonne et le Maître s’enquiert du bien-être de Mia. Jusqu’au jour où il ordonne à Albert de préparer la fillette au départ…
Critique :
Cauchemar hallucinatoire qui se lit comme une réflexion sur l'angoisse des relations humaines, #Earwig, embaumé dans la sublime photo de Jonathan Ricquebourg, perturbe autant qu'il captive et mérite de nombreux visionnages pour explorer ses mystères qui restent sans réponse. pic.twitter.com/iYRXvt5Q2a
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 18, 2023
Quel est le lien entre un orthodontiste un peu trop zélé, le bruit du cristal et la fin de l’enfance ? Il s’agit de Earwig, le dernier film de Lucile Hadzihalilovic. Déjà, quelques mots sur ce film que sa réalisatrice qualifie elle-même de cauchemar éveillé.
Dans une demeure isolée, Albert s’occupe de Mia, une fillette aux dents de glace assignée à résidence. Régulièrement, le téléphone sonne et le maître s’enquiert du bien-être de Mia. Jusqu’au jour où il ordonne à Albert de préparer la fillette au départ.
Avec Earwig, Lucile Hadzihalilovic continue son travail sur l’enfance et le passage à l’âge adulte qui avait commencé avec Innocence en 2004 et continué avec Evolution en 2015. Si Innocence montrait l’enfance des petites filles comme une usine à féminité, Evolution se plaçait du côté des garçons et montrait leur transformation dans un récit presque fantastique.
Earwig se place dans la continuité d’Innocence. Mia, comme les filles dans Innocence, est cloîtrée, préparée, presque construite, pour un futur qui semble abstrait.
Copyright Ant Worlds Petit Film/FraKas Productions/The British Film Institute Channel Four Television Corporation |
Si dans Innocence la féminité est montrée comme construite par la pression des pairs et l’exposition constante à la comparaison, dans Earwig c’est la pression sourde et distante d’un maître qui semble prédominer. Maître que l’on pourrait facilement assimiler au patriarcat. Sans pour autant trop extrapoler. Les films de cette dernière ne sont pas faits pour être trop rationalisés.
Le rapport au corps est tout aussi fascinant que dans ses deux premiers films. Il est d’ailleurs considéré par certains comme du body horror, mais visuellement très doux, latent, presque aérien.
Earwig est un film qui joue énormément sur les sensations, notamment celles du chaud et du froid. Le froid par la dentition glacée de Mia, cet immense appartement qui semble rempli de courants d’air ou encore par le bruit glaçant et métallisé des verres en cristal. Le chaud par la photographie dans des teintes chaudes, une peinture à l’huile rougeoyante et la présence du sang par moment.
Earwig est une production étonnante à l’opposé de la production cinématographique actuelle qui risque de beaucoup dérouter mais certainement pour le mieux.
Éléonore Tain
Copyright Ant Worlds Petit Film/FraKas Productions/The British Film Institute Channel Four Television Corporation |
Qu'est-ce qu'un film de Lucile Hadzihalilovic ?
Résolument quelque chose de profondément singulier au sein d'un paysage cinématographique hexagonale où il est rare de découvrir de véritables expériences dont les intrigues sont sensiblement moins importantes que le mystère épais qui les embaument.
À tel point que chacun de ses efforts peuvent être beaucoup de choses à la fois, et encore plus lorsqu'elle tire leur force d'un matériau d'origine tout aussi nébuleux... comme Earwig.
Sombre fable qui creuse furieusement son chemin dans votre conscience, on y suit les aternoiements étranges de Mia, 10 ans au compteur et confinée dans une maigre demeure avec un homme qui est vendu par l'histoire comme son tuteur - Albert -, et qui subit une routine de soins minutieuse et rigoureuse par celui-ci : chaque jour, sans raison apparente, celui-ci insère des rangées de glaçons dans sa bouche édentée puis la laisse jouer toute seule.
Peu à peu, par saillies austères et surréalistes, nous en apprenons juste assez sur la situation de Mia pour nous soucier d'elle, mais aussi juste assez du monde violent et dangereux au-delà de la porte verrouillée du petit appartement, pour nous inquiéter de ce qui se passera lorsqu'elle viendra à sortir...
Copyright Ant Worlds Petit Film/FraKas Productions/The British Film Institute Channel Four Television Corporation |
Sorte de songe Lynchien (le mot sorte est très important ici, puisque Hadzihalilovic n'explore pas le monde des rêves pour mieux se perdre dans ses puzzles narratifs, mais une logique de rêve purement inexplicable) profondément perturbant dans l'invocation tranquillement apocalyptique que fait la cinéaste du passé autant que d'une peur primaire qui nous habite tous (la crainte des dentistes), le film, adapté du roman éponyme de Brian Catling, pourrait presque apparaître comme subversif à une heure où tout spectateur à l'exigence fragile, n'accepte pas de vouer son attention à une oeuvre qui le catapulte dans un univers trompeusement tangible où les scènes s'enchaînent et se répondent, au-delà des frontières du récit classique.
Une expérience où les effets les plus immanents - tous physiques - qui distraient et détournent la voix narrative, entrent à l'improviste dans le hors-champ et sont continuellement en avance sur l'image qui leur correspond, comme s'ils tissaient eux-mêmes leur propre réalité sur ce qui nous ait montré.
Cauchemar hallucinatoire et sensoriel - à la lisière du body horror -, qui se lit comme une réflexion sur l'angoisse des relations humaines - notamment les relations/conflits de genre -, magnifié par la photographie de Jonathan Ricquebourg (La Mort de Louis XIV, déjà embaumé dans un formidable clair-obscur claustrophobe), Earwig perturbe autant qu'il fascine et exige un visionnage répété pour scruter et explorer les nombreux mystères et ambiguïtés qui restent sans réponse.
Jonathan Chevrier