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[CRITIQUE] : Les Banshees d'Inisherin


Réalisateur : Martin McDonagh
Avec : Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon, Barry Keoghan,…
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Irlandais, Américain
Durée : 1h54min

Synopsis :
Sur Inisherin - une île isolée au large de la côte ouest de l'Irlande - deux compères de toujours, Padraic et Colm, se retrouvent dans une impasse lorsque Colm décide du jour au lendemain de mettre fin à leur amitié. Abasourdi, Padraic n’accepte pas la situation et tente par tous les moyens de recoller les morceaux, avec le soutien de sa sœur Siobhan et de Dominic, un jeune insulaire un peu dérangé. Mais les efforts répétés de Padraic ne font que renforcer la détermination de son ancien ami et lorsque Colm finit par poser un ultimatum désespéré, les événements s’enveniment et vont avoir de terribles conséquences.


Critique :


Récompensé du prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise en septembre dernier, Martin McDonagh revient avec Les Banshees d’Inisherin quatre ans après Three Billboards et ses quatre Golden Globes. Avec huit nominations au compteur pour là-dite cérémonie de 2023, il semblerait que ce nouveau film suit le pas du précédent (verdict le 10 janvier !).

Copyright Walt Disney Company

Le cinéaste retourne dans sa terre natale, l’Irlande, et place sa caméra dans l’île fictive d’Inisherin pendant les années 20, au beau milieu de la Guerre Civile. De la guerre, nous ne verrons que des coups de canons au loin. Protégé⋅es par la mer, les habitant⋅es de l’île vivent tranquillement. Peut-être trop au goût de Colm (Brendan Gleeson) qui, du jour au lendemain, décide de ne plus parler à son grand ami de toujours, Pádraic (Colin Farrell). Une bagatelle quand on pense à la querelle sans fin du continent, quand on pense à sa violence, à la souffrance qu’elle inflige. Mais ici, à Inisherin, où le calme et la sérénité demeurent, cette querelle va prendre des proportions gigantesques.

La banshee est une figure mythologique provenant de l’imaginaire celte, bean sidhe en gaélique. Généralement, dans le folklore irlandais, les banshees sont des messagères de mort. C’est Colm qui invite cet imaginaire dramaturgique dans ce magnifique mais morne village, grâce à sa musique. Car c’est la raison qu’il donne à Pádraic : il ne veut plus lui parler pour pouvoir se consacrer à son art et ne plus devoir se farcir la logorrhée débilitante de son ancien ami. Les Banshees d’Inisherin est le nom donné à la mélodie qu’il crée et joue le soir, au pub du village. Seul, âgé, n’ayant rien à faire d’autres de ses journées que de boire des bières de deux heures de l’après-midi jusqu’au soir, Colm trouve un sens à sa vie en se concentrant uniquement sur son violon. C’est son acte de révolte face aux ténèbres. De son côté, Pádraic ne comprend ni l’élan lyrique, ni la violence contenue dans son besoin irrépressible de créer pour (sur)vivre. Commence alors un combat quotidien, entre discussion répétitive et creuse, entre des doigts coupés balancés contre une porte, un âne décédé et un incendie volontaire.

Copyright Walt Disney Company

Martin McDonagh invite la répétition dans sa mise en scène pour mieux immerger le public dans son île. Les personnages font exactement le même chemin chaque jour. Les discussions se ressemblent, le paysage se ressemble. De la musique redondante au montage tout aussi redondant, le cinéaste donne une rythmique faussement similaire dans son récit, jusqu’à l’absurde. Le rire peut survenir des sempiternelles questions de Pádraic : mais pourquoi, mais comment, mais surtout pourquoi ? Il se dégage une douceur innocente du personnage, qui se complaisait dans son quotidien sans se poser de questions. Pádraic est simple et se contente des choses simples : il aime son âne, sa bière, sa sœur Siobhán (Kerry Condon) et son ami Colm. Petit à petit, le récit lui enlève ce qui constituait ses repères. Colm ne lui parle plus et sa sœur, enfermée dans un rôle de mère-sœur étouffant pour cette femme ambitieuse, décide de partir travailler sur le continent. Lentement (mais sûrement), le film dévoile un enchaînement de péripéties qui conduit à l’inévitable : la violence. La guerre, pourtant si loin (dans les esprits) d’Inisherin, s’invite dans la campagne verdoyante et chez ces simples paysans. C’est une guerre d’égo masculin, de sentiments bafoués, d’incompréhension, qui escalade bien vite vers le drame, avec des victimes collatérales. Une guerre basique en somme, ce n’est juste ni les mêmes armes, ni les mêmes enjeux.

Les Banshees d’Inisherin s’intéresse aux détails infimes qui, dans un lieu aussi minuscule qu’une île à l’échelle mondiale, prennent des dimensions démesurées. Les paysages irlandais deviennent le théâtre dramatique d’un purgatoire où chaque personnage, relié à un stéréotype (ou à un péché) ne peut dévier de son destin. Drame insulaire, absurde tout autant qu’il est émouvant, le nouveau long métrage de Martin McDonagh s’éloigne d’une narration téléphonée (même si très classique dans son propos) en conviant un imaginaire théâtrale divertissant.


Laura Enjolvy


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