[CRITIQUE] : Babylon
Réalisateur : Damien Chazelle
Avec : Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva, Jean Smart, Jovan Adepo, Li Jun Li, …
Distributeur : Paramount Pictures France
Budget : -
Genre : Historique, Drame
Nationalité : Américain
Durée : 3h09min
Synopsis :
Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, BABYLON retrace l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limites.
Critique :
Porté par une B.O éblouissante, avec #BabylonLeFilm, Damien Chazelle filme avec amour mais sans nostalgie la machine infernale qu’est le cinéma: un espace privilégié où se mêle l’art créatif et la beauté artistique, gangrené par une société patriarcale et raciste (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/9XKz3eSxUH
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 16, 2022
“It’s bigger than you” annonce Elinor Saint-James, critique de cinéma, à Jack Conrad, acteur sur le déclin après l’arrivée du parlant. Cette simple phrase pourrait résumer l’intégralité du nouveau long métrage de Damien Chazelle, Babylon. Un titre grandiloquent pour trois heures ininterrompues d’hommage burlesque, brûlant et clinquant à l’industrie hollywoodienne, dans ses grands comme dans ses mauvais moments. Babylon se veut immense, à l’image de la ville mythique de Mésopotamie, berceau vicié d’un empire prestigieux. Un film de Cinéma (avec un grand C), un film sur le cinéma, un film pour la salle de cinéma.
Cinéaste de l’obsession et des passions artistiques, Damien Chazelle construit jusqu’ici une filmographie à base de jazz et de montage endiablé. Parvenu à une consécration cinéphilique en 2014 avec son deuxième long métrage, puis une consécration grand public avec un Oscar du meilleur réalisateur en 2017, il nous avait aussi embarqué à bord de la mission Apollo 11, où Neil Armstrong faisait le deuil de sa fille au sein de son dernier film. Dans Babylon, en salle le 18 janvier, Chazelle convie ses propres obsessions dans un même film. On retrouve le jazz et la rigueur de Whiplash, la difficulté d'accéder à ses rêves et de suivre une histoire d’amour en parallèle, comme La La Land et la persévérance dans la douleur de First Man. Tout ceci prend place lors d’une phase charnière du cinéma : l’arrivée du parlant.
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La comédie s’est souvent penchée sur ces années. On pense au célèbre Singing in the rain (qu’on n’ose plus présenter), ou au récent The Artist. Chez Damien Chazelle, le parlant est l'occasion de s’épancher sur la difficulté technique d’une telle avancée. Longtemps habitués à parler pendant les prises, les cinéastes et techniciens ont dû revoir leur façon de travailler, parfois dans la douleur. Dans une séquence à la fois irritante et hilarante, le réalisateur conte cette transformation du cinéma en un art plus rigoureux, mêlant ce que sa mise en scène fait de mieux : l’escalade de colère grâce à la répétition de mouvement ou de geste, accompagné d’un montage franc et cutté à l’extrême, avec une caméra mobile venant capter les gouttes de sueurs d’une actrice en panique ou les postillons colériques d’un assistant réal au bord de la crise de nerf. Cette rigueur technique amène le récit dans un nouveau monde, celui d’une industrie corsetée par l’argent et les nouvelles mœurs américaines (bonjour le code Hays). On jette ceux et celles qui ne rapportent plus (les acteurs trop vieux, les actrices trop vulgaire, les femmes en général — le parlant a totalement évincé les réalisatrices et les techniciennes du paysage) et on soumet les autres à de nouvelles lois, les enferment par la même occasion à l’intérieur de contrats peu avantageux. L’hypocrisie bourgeoise est mise à mal lors d’une séquence charnière dans la narration, où les personnages issus de minorités, un homme noir, le musicien Sidney Palmer (Jovan Adepo) et une femme sans éducation, issue d’une famille pauvre, Nellie La Roy, doivent s’insérer dans cette société mondaine et en accepter les codes misogynes et racistes afin que leurs films soient financés. Les années 30 amènent aussi la fin d’une tolérance queer dans l’industrie cinématographique, appellant à l’hétéronormativité et aux règles genrés des codes religieux. La deuxième partie de Babylon, descente aux enfers des personnages, montre les dessous de ce monde artistique de l’époque.
Quant à la première partie, elle explose de fête, de sexe et d’extravagance, comme si Chazelle avait sorti le Baz Luhrmann en lui. Lors d’une soirée privée d’un producteur de cinéma, nous pouvons y croiser tous les protagonistes du film, avec entre autres Jack Conrad (Brad Pitt), acteur au sommet de sa carrière, Manny Torrès (Diego Calva), homme à tout faire et Nellie LaRoy (Margot Robbie, qui emprunte le côté sulfureux d’une Mae West et l'excentricité énergique d’une Katharine Hepburn), aspirante actrice. Ce trio principal a une chose en commun : un amour sans limite pour le septième art. S’inspirant des fameuses fêtes hollywoodiennes des années 20, avec son lot de scandales et de sexe, Babylon se faufile dans l’usine à fantasme américaine, lieu de débauche. Malgré la liberté sexuelle qui y règne, célébrée allègrement par la foule, la caméra pose aussi un regard derrière cette supposée liberté, où les violences sexuelles, la prostitution et la pédocriminalité étaient un secret de polichinelle mais soigneusement cachées derrière un rideau de velours. C’est parce qu’une des actrices meurt dans la chambre d’un habitué que Nellie, venue s'incruster à la fête, tient son ticket d’entrée dans le sacro-saint plateau de cinéma, afin de la remplacer au pied levé. Si le cinéma est un lieu de création et de beauté (à l’image du montage alterné dynamique entre deux tournages où la magie de l’image se crée à la sueur du front), il est surtout un lieu où la concurrence fait loi. Dans un burlesque assumé et un montage énergique, Damien Chazelle donne l’illusion de se lâcher complètement et de tout donner au nom du cinéma. Au contraire, le réalisateur millimètre son cadre avec le soin qu’on lui connaît, sa mise en scène étant loin d’être aussi chaotique qu’elle ne le paraît. Dans Babylon, on peut même lui reprocher d’être trop théorique dans son approche dramaturgique. Emberlificoté dans son histoire, Chazelle n’arrive jamais à faire émerger l’émotion qu’une telle tragédie pourrait faire ressentir à son public. Les quelques envolées lyriques sur le cinéma, comme le fait Brad Pitt à sa fiancée (dans le film) Katherine Waterston, sont creuses car les mots prononcés ne sont pas vécus dans les images. À part quelques séquences où le cinéma prend vie, avec passion et fougue, Babylon nous paraît vain dans son hommage forcé du septième art. Mais Damien Chazelle a le mérite de ne jamais tomber dans une nostalgie douce et romantique de l’époque dont il peint le portrait, nous lui en sommes gré.
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Porté par une bande originale éblouissante (composée par Justin Hurwitz), Babylon filme la machine infernale qu’est le cinéma : un espace privilégié où se mêle l’art créatif et la beauté artistique, gangrené par une société patriarcale et raciste. Malgré tout, Damien Chazelle livre une déclaration d'amour à cet art. En racontant son histoire, il se positionne comme un héritier (parmi tant d'autres), lui permettant à son tour de faire vibrer d'émotion une salle de cinéma.
Laura Enjolvy
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Damien Chazelle nous emmène dans un Hollywood des années 1920, prétendument grouillant de stars du muet toxicomanes, de techniciens exploités, de morts accidentelles, de vulgarité assez prude et de costumes Zara. Il nous épargne heureusement le « c’était mieux avant » mais choisit tout de même de nous transmettre cette image-là de l’industrie pour « déclarer son amour au cinéma » (ses mots, pas les miens).
Après un apéritif un peu scato qui rappelle les comiques de situation à la Buster Keaton, nous voilà dans une soirée démente chez un riche producteur pour nous présenter tous les personnages. Afin de bien nous montrer que les sauteries de l’époque étaient extravagantes, ne prenons pas le risque de la subtilité : de la drogue à gogo, des animaux, des ébats en public, des paires de seins et, comble de l’outrage, un nain qui joue avec un pénis géant. De quoi choquer Mémé, peut-être, mais rien de vraiment inconvenant. Et c’est bien là le fond du problème pendant les heures qui vont suivre : tout ce qui se veut provocateur et excessif est plutôt ennuyeux et conventionnel.
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Rien de nouveau sous le soleil pour le développement des personnages principaux. Je précise tout de même que les acteurs sont excellents et j’applaudis leur performance dans des rôles très moyennement écrits.
Margot Robbie incarne la « manic pixie dream girl » des années folles. Elle est le reflet d’un fantasme masculin, rejetée par tous car trop petite et trop grosse (Ah ?), mais en réalité sublime. Animée par une folie très modérée (rien de très Possession), elle n’existe qu’à travers le regard des hommes dans ses joies comme dans ses peines, dans la drogue comme dans le vomi (qui n’atteignent évidemment ni son brushing ni son mascara). Elle n’a aucune profondeur, et les instants de démence supposés nous attirer sont tous aussi plats les uns que les autres. Mais aucun sexisme, car les personnages masculins sont traités à la même enseigne. Brad Pitt fait un excellent travail dans un rôle vu et revu, et l’homme à tout faire devenu producteur joué par Diego Calva n’est que le cliché du jeune immigré naïf et amoureux qui monte les échelons par sa « débrouillardise ».
Néanmoins ces rôles sans nuances sont également sans importance. Guidés par le réalisateur, on est à la recherche d’une atmosphère, une expérience immersive. Mais là non plus, la mayonnaise ne prend pas.
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En mystifiant une époque et une industrie, on s’attend à pouvoir lâcher les fauves et flirter avec le scandaleux. Mais, sans surprise, pas de ça chez Chazelle. Son immense talent est malheureusement gâché par son désir de consensus. En voulant rendre des hommages à tout va, en voulant plaire à tous ses spectateurs, on ne retrouve plus rien d’authentique et on finit par ne pas ressentir grand-chose. On commence déjà avec un scénario d’une banalité plutôt rasoir. L’arrivée du parlant et la déchéance des stars du muet, l’actrice montante que l’industrie gâche et l’acteur adoré qui sombre dans l’oubli, la liberté fantasmée avant l’étiquette imposée par l’argent, des thèmes déjà beaucoup exploités au cinéma. Le septième art qui parle de lui-même est un classique, car nos artistes ont du talent, mais ils ont aussi de l’ego, souvent froissé vers la fin mais toujours enorgueilli d’avoir fait partie de quelque chose de plus grand. Et c’est là le bouclier de Babylon fasse à tous ses critiques (les cafards assumés). En une scène de dix minutes, Damien Chazelle protège et défend non seulement son film, mais tous les films. Le personnage de Brad Pitt, mécontent d’un portrait peu flatteur de sa carrière en déclin par une célèbre critique, lui rend visite pour lui demander des explications. S’ensuit alors la réponse, qui prend une tournure assez universelle et ne s’adresse plus à notre acteur vexé : les stars vont et viennent, les talents apparaissent et s’effacent, les egos sont flattés puis meurtris, mais l’imposante machine du cinéma reste. Les performances des grands acteurs et des grandes actrices sont intemporelles, comme les scénarios des grands auteurs et grandes autrices, les mises en scène des grands réalisateurs et grandes réalisatrices, les bandes-son des grands compositeurs et grandes compositrices… tous les talents du cinéma sont voués à survivre. Alors on crée. On joue, on réalise, on écrit, on compose. Et ensemble, le Cinéma et le Temps décideront. L’idée est simple, le message est clair et le septième art est intouchable. Si Damien Chazelle s’en était tenu à la facilité de cette idée crédule, naïve, presque idiote, il m’aurait conquise. Car c’est la chantilly de costumes, musique, décors et dialogues explosifs qui m’a gavée. Littéralement.
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L’histoire devient intrigante au bout de deux bonnes heures, à l’apparition de Tobey Maguire qui ne laisse pas indifférent. Il nous fait alors la promesse du glauque, du monstrueux, du Lynchien (sans détours, Elephant Man fait d’ailleurs un petit coucou à Brad Pitt). Mais une fois de plus, Chazelle ne voulant probablement pas déranger trop de monde, cette promesse de « l’horrible » ne réunit que des éléments bien tranquilles dans une cave mal éclairée : un peu de sang, un peu de sexe et un grand monsieur mangeur de rats. C’est l’ultime déception, car les scènes d’après nous amènent petit à petit vers la fin édulcorée chazellienne (cf. La La Land et les larmes dans les chaumières). C’est là où le concept simple de l’immortalité du cinéma est mélangé avec d’autres messages plus confus, enfin pour moi. Chazelle fait-il une critique de l’industrie monétisée et aseptisée du cinéma hollywoodien en se moquant de la société après le parlant ? Ce qui pourrait beaucoup nous plaire, si le film ne faisait pas partie, au tout premier degré, de ce qu’il dénonce… Ou fait-il seulement un constat qui, historiquement, ne reposerait sur rien ? Ou je cherche peut-être la petite bête et il veut simplement nous faire profiter du spectacle, de sa « déclaration d’amour au cinéma ».
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Une déclaration d’amour peut-être, mais à un certain type de film, comme le montre explicitement l’étrange montage d’extraits de films à travers l’Histoire : le film à succès. Et ce n’est en aucun cas un reproche, j’en suis fan, il en existe des grandioses, et il touche le public. Mais on ne peut pas appeler ces films « le Cinéma ». Le grand et unique cinéma serait alors celui plébiscité par le public en salles ou adoubé par les critiques avec le temps ? C’est contradictoire avec le discours rassurant et défenseur évoqué plus haut, les grands acteurs meurent mais les grands rôles restent… Ou alors, sacrebleu, ne parlerait-on que des acteurs… bankables ?
Cette tentative de déclaration est à l’image de la tentative du film de Chazelle : conformiste, consensuel, presque facile.
Malgré tout, le talent de Damien Chazelle est discernable dans de belles et ingénieuses scènes, ce qui me rend encore plus frustrée. Le Damien de la simplicité, du brut, du vrai, de Whiplash me manque.
Éloïse Rocca