[CRITIQUE] : Le Prince
Avec : Ursula Strauss, Passi, Nsumbo Tango Samuel, Victoria Trauttmansdorff,…
Distributeur : Shellac Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Allemand.
Durée : 2h05min.
Synopsis :
Galeriste allemande de Francfort, Monika n’a rien en commun avec Joseph, diamantaire congolais en attente de régularisation, qui survit de combines plus ou moins légales dans la même ville. Tous deux pensent qu’ils sont différents, qu’ils ne sont pas le produit de leur environnement et qu’ils vont pouvoir surmonter les obstacles. Pourtant, la défiance s’immisce dans leur amour…
Critique :
#LePrince est un film solide même s'il sent le déjà-vu, scolaire dans sa façon de cocher toutes les cases théoriques sans toutefois s'élever au-delà. Mais sous ce masque de froideur se cache une écriture vive et pointue via le portrait féminin qu'il a construit. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/79hNslaob5
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 2, 2022
Produit par Komplizen Film, la société de production de Maren Ade, le premier long métrage de Lisa Bierwirth possède des accents fassbinderien. La réalisatrice installe sa caméra à Francfort et se fait le témoin d'une rencontre hasardeuse entre une commissaire d’exposition et un diamantaire congolais, immigré en Allemagne. Le prince n’a cependant rien d’une comédie romantique tant il veut dévoiler une réalité sociale derrière l’histoire d’amour. Cinquante ans après Tous les autres s’appellent Ali, le film de Bierwirth démontre que l’hostilité sociale, bien que plus subtile, demeure.
Le rappeur Passi prête ses traits à ce fameux prince du diamant, Joseph. Perclus de rêve de richesse, le personnage sait que le chemin classique du déterminisme social lui est refusé. Il se propose alors de se créer soi-même un passage vers la richesse, acceptant les petites arnaques et les magouilles, puisque que l’administration rejette ses tentatives légales de créer son entreprise. Dans son monde, toute chose devient combat. Un combat pour sa survie, un combat pour se bâtir, de ses propres mains, un empire rien qu’à lui. Malgré tout, Lisa Bierwirth lui donne un air naïf dans sa caractérisation, derrière le sérieux qu’il met dans ses affaires. L’espoir fait vivre dit le dicton, mais chez Joseph, cette phrase devient une couverture de survie. Il est sûr de pouvoir gagner de l’argent, d’avoir les rênes de son destin bien en main. Monika (Ursula Strauss) lui apporte de l’amour mais aussi le dur retour à la réalité. Dans ce monde, il ne peut qu’être un immigré aux yeux de tou.tes : l’administration, les ami⋅es de Monika, … Leur mariage ne pourrait changer ce regard sur sa vie et sur ce qu’il est.
Copyright Port Au Prince Pictures |
De son côté, Monika se trouve à un tournant de sa vie. Sa carrière devient floue tandis qu’elle décide de briguer la direction de la salle d’exposition. Sa rencontre avec Joseph se superpose à ce changement et vient alimenter une vie bien morne et solitaire. Le début du film en montre un bout. Elle boit son café à son balcon. Elle traverse la ville à pied. Elle effectue des visites guidées de l’exposition en cours. Elle rentre chez elle, seule. Puis, tout comme la décision de postuler pour la direction, elle décide sur un coup de tête d’entrer dans un bar clandestin pour acheter des cigarettes. Alors que des policiers viennent y faire une descente, elle voit pour la première fois Joseph qui la convainc de se cacher derrière des poubelles.
Le prince n’a pas pour but de dénoncer les préjugés, il veut surtout flouter les définitions que l’on se donne. Joseph et Monika viennent de deux mondes différents, pourtant, au-delà des dissemblances, la volonté d’être tout à fait quelque chose transparaît des deux côtés. Du côté des ami⋅es blanc⋅hes de Monika, on se définit par son travail. Juriste, professeur, commissaire d’exposition, directeur, … Lors d’un dîner, ces derniers sondent Joseph sur son métier pour pouvoir lui donner une étiquette comme la leur. Ses vagues réponses ne leur plaisent pas, suspectant une arnaque derrière les explications sur les diamants. C’est même Monika qui leur annonce qu’il possède une mine de diamant, toute fière, ce que lui reprochera Joseph après le dîner. Contrairement à elle, dans son monde à lui on reste discret sur ses activités, pour éviter d'éventuels problèmes. Du côté de Joseph, on se définit par ce qu’on dégage. Ses amis pensent que Monika est forcément riche parce qu’elle est blanche, possède un grand appartement et travaille dans la culture. Tout se joue sur l’apparence et les préjugés derrière ces apparences. Mais les deux communautés ne sont pas filmées à part égale. Tandis que celle de Joseph accueille Monika à bras ouvert, celle de Monika, les élites blancs, ne peuvent s’empêcher de perpétuer un regard condescendant sur Joseph, sous couvert d’être inquiet pour elle.
Copyright Port Au Prince Pictures |
Lisa Bierwirth a bien digéré les inspirations de ses pairs et dévoile une mise en scène minimaliste. Rien ne dépasse et tout ce qui est filmé sert au récit, où se combattent élégance et réalisme. Et c’est bien là le problème. Le prince est un film solide mais que l’on a déjà vu cent fois. Un film scolaire, dans sa façon de cocher toutes les cases théoriques d’un bon film, sans toutefois s'élever au-delà. Mais sous ce masque de froideur (très allemand il est vrai) se cache une écriture vive et pointue du portrait féminin que le film a construit. Une femme qui ne se laisse pas vraiment happer par l’euphorie amoureuse mais qui accepte pleinement l’ouragan que devient sa vie. Ce portrait nuancé et ambigu porte en lui un espoir de voir le regard aiguisé de Lisa Bierwirth dans un prochain film plus libre dans sa mise en scène. On le lui souhaite.
Laura Enjolvy