[CRITIQUE] : Babysitter
Avec : Monia Chokri, Patrick Hivon, Nadia Tereszkiewicz, Steve Laplante, ...
Distributeur : BAC Films
Budget : -
Genre : Comédie
Nationalité : Canadien, Québécois, Français
Durée : 1h27min
Synopsis :
Suite à une blague sexiste devenue virale, Cédric, jeune papa, est suspendu par son employeur. Pour se racheter, il va avec l'aide de son frère Jean-Michel, s'interroger sur les fondements de sa misogynie à travers l’écriture d’un livre. De son côté, sa femme Nadine en proie à une dépression décide d'écourter son congé maternité. L’arrivée dans leur vie d’une baby-sitter au charme espiègle et envoûteur, va chambouler leur existence.
Critique :
Avec #Babysitter, Monia Chokri brise les codes, modifie les fantasmes, redistribue les désirs et bouleverse le couple hétérosexuel pour mieux définir un nouveau monde : celui où les femmes, affranchies du regard masculin, pourront définir leurs propres fantasmes. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/HZzhESXDQK
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 5, 2022
Il y a trois ans, Monia Chokri sortait son premier long métrage La femme de mon frère, véritable nid de situations cocasses, amenées par un montage frénétique. Attendue au tournant pour ce deuxième long métrage, elle prend un virage qui, au premier abord, paraît consensuel : le film de genre. Mais ce serait bien mal connaître la réalisatrice québécoise que de penser qu’elle choisirait la facilité ou qu’elle se conformerait à une esthétique formatée. Dans Babysitter, elle se sert d’imaginaires cinématographiques et des fantasmes collectifs pour venir tracer les contours d’un nouveau désir : celui de voir les femmes débarrassées des attentes de la société.
Dans les remerciements en fin de générique, Monia Chokri place le nom d’Iris Brey tout en haut de sa liste et ce n’est pas surprenant quand on a visionné ce nouveau film. La réalisatrice a dû lire l’essai de l'autrice, Le regard féminin, une révolution à l’écran, publié en 2020. Babysitter s’emploie à dévoiler ce qu'il théorise, c’est-à-dire le besoin de représenter un autre désir, de mettre l’expérience féminine au premier plan et de tisser un nouveau regard sur ces expériences. Mais il ne faudrait surtout pas penser que la cinéaste recrache plan par plan une théorie et une façon d’analyser les films. Au contraire, elle réalise un film à son image : drôle, décapant, d’une maîtrise formelle inspirée mais sans rentrer dans le mimétisme. On peut se réjouir de voir qu’elle confirme son sens du cadre et du rythme, remarqués dans La femme de mon frère.
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Adapté d’une pièce de Catherine Léger, qui signe également le scénario, Babysitter s’intéresse à un couple des plus classiques : hétéro, blanc, bourgeois, dont la maison sort tout droit d’un épisode de Desperate Housewives. Mais à l’image de la série américaine, les apparences sont trompeuses. Cédric (Patrick Hivon) vient d’être mis à pied à cause d’une “blague” diffusée en live. Bourré, il embrasse, sans son consentement, une journaliste sportive après un match de MMA. De son côté, Nadine (interprétée par Monia Chokri) a accouché voilà six mois d’une petite fille qui ne fait toujours pas ses nuits. Le couple semble désaccordé. La mise en scène a du mal à créer une alchimie entre eux, comme si les personnages ne faisaient pas partie du même film. Lui sort d’une soirée à l’ambiance virile que l’on voit lors de l’ouverture du film : le montage est saccadé pour retranscrire l'ambiance boys club. Ils boivent de la bière, draguent ouvertement et lourdement, regardent lubriquement les corps des femmes et prennent beaucoup de place dans le cadre. Nadine est à l’opposé, dans un écrin de douceur, entourée de couleur pastel et de cris de bébé. Les deux atmosphères sont incompatibles mais viennent d’un même prisme, celui d’une société valorisant leur deux comportements : présence agressive pour l’un, maternité effacée pour l’autre.
Cette dualité se retrouve dans l’esthétique du film, très léchée. D’un côté, une ambiance de giallo, menée par un générique hanté par Nadine, qui conduit en chemise de nuit, espérant que les pleurs de sa fille s'arrêtent enfin. De l’autre, une ambiance de conte de fée, où la fameuse baby-sitter, Amy (Nadia Tereszkiewicz, hypnotisante), arrive au bon moment, éthérée et sensuelle. L’humour se niche entre ces deux ambiances, un lien ténu pour mieux nuancer la critique acerbe que véhicule le film. Monia Chokri utilise consciemment un imaginaire connu, la blonde ingénue (Amy cite Brigitte Bardot) pour mieux renverser les codes. La mise en scène accentue alors les attributs considérés comme féminins pour les retourner contre Cédric et son frère, Jean-Michel, convaincus d’être des féministes modèles suite à leur prise de conscience sur leurs privilèges de mâles alphas. Pour partager cette prise de conscience et montrer l’exemple, ils veulent écrire un livre, intitulé Sexist Story, un recueil de deux cent lettres d’excuses aux femmes célèbres, à commencer par la journaliste que Cédric a agressé durant son émission. Mais on se rend vite compte que les deux frères n’ont rien compris à la condition féminine. Avec son humour coutumier, la réalisatrice place la discussion de leur “idée de génie” à l’intérieur de la salle d’attente de la pédiatre. Les deux hommes monopolisent la parole, tandis que Nadine reste sur le côté, absente, une mère fatiguée et à côté de ses pompes.
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Monia Chokri ne cesse d’envisager l’image comme un moyen de briser les codes et d’envoûter le public. Le film ne vire pas dans un délire malsain de la sensualité exacerbée et dévoile un regard beaucoup plus cérébral sur la figure de baby-sitter, souvent fantasmée au cinéma. Amy se transforme en une sorte de sorcière, présente uniquement pour le bien des femmes (le bébé et la mère). Le personnage possède une dimension subversive : elle détient tous les codes de la féminité mais les transgresse pour se transformer en figure horrifique le temps d’une scène (où on pense au génial Jennifer’s Body et au personnage de Megan Fox). Elle sort également de la réification de son rôle, en mettant en avant le métier de baby-sitter, précarisé malgré la responsabilité inhérente du rôle de nounou. Cela met en lumière le rapport de classe et la façon dont on perçoit ce genre de métier. Nadine, malgré son mal être de maman à bout, à qui l’on donne des injonctions à la maternité, à la sexualité et au bonheur, reste aussi une femme riche et privilégiée, qui peut soulager sa charge mentale en la déplaçant sur une autre femme, si l’envie lui prend.
Monia Chokri emprunte une image du passé pour la restituer au présent. Babysitter modifie les fantasmes, redistribue les désirs et bouleverse le couple hétérosexuel pour mieux définir un nouveau monde : celui où les femmes, affranchies du regard masculin, pourront définir leurs propres fantasmes.
Laura Enjolvy
Laura Enjolvy