[CRITIQUE] : La Nuit Venue
Réalisateur : Frédéric Farrucci
Acteurs : Guang Huo, Camélia Jordana, Xun Liang,...
Distributeur : Jour2Fête
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h35min
Synopsis :
Paris 2018. Jin, jeune immigré sans papiers, est un chauffeur de VTC soumis à la mafia chinoise depuis son arrivée en France, il y a cinq ans. Cet ancien DJ, passionné d'électro, est sur le point de solder "sa dette" en multipliant les heures de conduite. Une nuit, au sortir d'une boîte, une troublante jeune femme, Naomi, monte à bord de sa berline. Intriguée par Jin et entêtée par sa musique, elle lui propose d'être son chauffeur attitré pour ses virées nocturnes. Au fil de leurs courses dans la ville interlope, une histoire naît entre ces deux noctambules solitaires et pousse Jin à enfreindre les règles du milieu.
Critique :
Esthétiquement et techniquement abouti, ne tombant jamais dans la facilité du conte moralisateur au happy end faisandé,#LaNuitVenue est une balade atmosphérique et mélancolique dans le Paris by night, un drame urbain hypnotique à la poésie brute, porté par le beau duo Huo/Jordana pic.twitter.com/EvudxAO3qG— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) June 15, 2020
Autant dire que pour son premier passage derrière la caméra, Frédéric Farrucci (les excellents courts L’offre et la demande et Entre les lignes), semblent avoir gentiment mis les petits plats dans les grands, avec une plongée nocturne dans les ruelles aussi illuminées que lugubres, d'une capitale hexagonale rarement autant mise en valeur; l'affiche convoquerait même un mélange totalement improbable entre le Taxi Driver du roi Scorsese - en plus soft et définitivement moins paranoïaque -, couplée à une envolée romantique de Wong Kar-wai, qui rencontrerait la rudesse hypnotique d'un Michael Mann - le côté thriller en moins.
Film hybride ne louchant jamais sur ses potentielles références (tellement rare pour être notifié), La Nuit Venue s'attache sur l'errance enivrante de deux âmes solitaires qui s'unissent physiquement et sentimentalement dans le carcan d'un habitacle qui n'a jamais paru un terrain de jeu aussi libre et poétique.
Ou Jin (Gang Huo, magnétique), un immigré chinois clandestin plutôt taciturne, dont le destin sous contrainte, est de passer ses nuits à conduire un VTC pour le compte de la Triade.
Une nuit, il conduit la belle Naomi (Camélia Jordana, brillante et littéralement à tomber), une strip-teaseuse/call-girl qui va vite être intriguée par lui, au point d'en faire son chauffeur privé attitré.
Supposément différents l'un de l'autre, ils sont pourtant unis par un même but : quitter les ruelles sombres de la capitale française, et tenter d'épouser les courbes rêveuses d'une potentielle nouvelle vie ailleurs, hors des soucis, des obligations et du malheur.
Au fil des courses nocturnes, une histoire d’amour passionnée va se nouer entre eux, ce qui poussera malheureusement Jin à enfreindre les règles d'un milieu dont il ne peut se défaire sans drame...
Plus qu'une love story empathique et interdite ou le destin tragique et sous tension d'un jeune homme qui l'est tout autant, le cinéaste se passionne aussi et surtout pour son cadre, une Capitale loin des paillettes et du strass qu'on lui connait.
Une " ville lumière " dont il filme les bas fonds et l'intimité peut reluisante (grosse crotte de nez sur la précarité du travail, et plus directement, de l'Uberisation du métier de chauffeur), cinégénique mais définitivement pas touristique.
Le Paris de la clandestinité, des migrants, des mafias diverses et de la criminalité globale, système prônant l'autogestion inhumaine (entre sévices, menaces et esclavages modernes), qui asphyxie jusqu'à l'extrême toute âme impliquée qui ne fait que survivre à défaut de pouvoir tout simplement... vivre; des victimes d'un monde dans le monde, volontairement sourd et aveugle, qui tolère cette misère humaine, avant tout par profit.
Une odyssée pesante et oppressante parce que vraie, ou une simple virée en espace clos - une berline noire comme il y en a des milliers à Paris chaque soir -, reste le seule petit bout de paradis ou chacun peut être un tant soit peu lui-même, et espérer même fugacement, à une vie meilleure.
Esthétiquement léché et techniquement abouti, ne tombant jamais dans la facilité du conte moralisateur au happy end faisandé (il en prend habilement le contrepied), La Nuit Venue, pas dénué de petits scories inhérents aux premiers essais, est une balade atmosphérique et mélancolique dans le Paris by night, un drame/thriller noir et hypnotique à la poésie brute, sublimé par le score électro entêtant de Rone.
Dans la pénombre ou le mal est partout, les corps de deux âmes en peine se cachent, s'échappent, s'étreignent sous l'électricité de la nuit pour mieux oublier leurs tourments et la réalité urbaine.
Certains auront beau targuer qu'il n'y a rien de nouveau sous les néons du polar urbain (ils n'auront pas tout à fait tort, mais là n'est pas totalement la question), mais voir autant d'ambition, de puissance et de beauté formelle dans le cinéma hexagonale, cela ne laisse définitivement pas indifférent et oui, espérons que Frédéric Farrucci continuera à autant nous réjouir à l'avenir, dans les salles obscures.
Jonathan Chevrier