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[CRITIQUE] : Hostiles


Réalisateur : Scott Cooper
Acteurs : Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi, Adam Beach, Ben Foster, Rory Cochrane, Jesse Plemons, Peter Mullan, Bill Camp, Thimothée Chalamet,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Western, Drame.
Nationalité :  Américain.
Durée : 2h13min.

Synopsis :
En 1892, le capitaine de cavalerie Joseph Blocker, ancien héros de guerre devenu gardien de prison, est contraint d’escorter Yellow Hawk, chef de guerre Cheyenne mourant, sur ses anciennes terres tribales. Peu après avoir pris la route, ils rencontrent Rosalee Quaid. Seule rescapée du massacre de sa famille par les Comanches, la jeune femme traumatisée se joint à eux dans leur périple.
Façonnés par la souffrance, la violence et la mort, ils ont en eux d’infinies réserves de colère et de méfiance envers autrui. Sur le périlleux chemin qui va les conduire du Nouveau-Mexique jusqu’au Montana, les anciens ennemis vont devoir faire preuve de solidarité pour survivre à l’environnement et aux tribus comanches qu’ils rencontrent.




Critique :


Qu'on l'aime ou que l'on vulgarise son cinéma à une simple copie-calque de ses nombreuses références (l'avis de certains, fou mais vrai), force est d'avouer pourtant que le talentueux Scott Cooper s'est solidement imposé dès son premier - et merveilleux - long Crazy Heart, comme l'un des cinéastes les plus importants à suivre du moment.
Offrant ni plus ni moins que l'un des meilleurs rôles de sa carrière à l'immense Jeff Bridges - il n'y a que chez les Coen qu'on l'a vu aussi merveilleux -, le bonhomme attirait surtout notre fibre cinéphile pour sa passion envers les personnages profonds et admirablement bien sculptés, tout autant que sa vision d'une Amérique white trash épurée de son idéalisme et de son triomphalisme gerbant.



Une vision radicale et sans aucune concession qui trouvait son paroxysme dans le chef d’œuvre Les Brasiers de la Colère, riche drame familial aussi bouillant que douloureux sur fond de revenge movie viscéral et déchirant, dans lequel Christian Bale (de loin son plus beau rôle) éclabousse l'écran dans la peau d'un col bleu à la détresse poignante, qui se lance dans une quête vengeresse pour liquider un Woody Harrelson bestial et ainsi sauver autant son honneur que celui de son frère décédé (Casey Affleck, incroyable).
Même s'il était encore un peu tôt, le jeune cinéaste s'imposait sans forcer comme l'héritier légitime et naturel de John Ford, Sam Peckinpah mais également de Clint Eastwood, avec qui il partage une certaine sobriété de ton salutaire.
Moins de deux ans plus tard, le Scott décidait une nouvelle fois de relever un défi hautement casse-gueule en s'attaquant au sacro-saint gangster movie, et qui plus est en s'attachant à compter le destin hors normes d'une des personnalités les plus importantes du grand banditisme de chez l'Oncle Sam, Whitey Bulger, avec Strictly Criminal.
Si Les Brasiers... était un hommage appuyé au Voyage au Bout de l'Enfer de Michael Cimino ainsi qu'à l’âpreté et au nihilisme des films de Peckinpah, le réalisateur citait à nouveau toujours - et assez logiquement - le papa de La Horde Sauvage, mais encore plus particulièrement le cinéma de l'inestimable Martin Scorsese (Les Affranchis et Les Infiltrés en tête), dont le nom est gravé au fer rouge sur le film de gangsters made in USA.



Très 70's dans son traitement frontal de la violence et des rapports humains tout autant que dans sa grammaire cinématographique, le film renouait avec la quintessence des classiques du cinéma US (une intrigue certes peu originale mais simple et allant constamment à l'essentiel) tout en frappant dans les bijoux de famille le symbole phare de l'American Dream par le biais de son appropriation dominante et crue par une figure pervertie et nullement héroïque (comme Tony Montana dans Scarface).
Tragédie fascinante et cohérente de bout en bout, Strictly Criminal jouissait pleinement de la patte brillante et impliquée de Scott Cooper derrière la caméra, qui retrouvait à nouveau ses thèmes chers (la famille, la fraternité, la loyauté et le cycle implacable de la violence) et se jouait habilement des passages obligés du genre pour mieux accoucher d'une relecture réaliste du gangster movie comme rarement on a pu en voir sur grand écran ses dernières années.
Mais le cinéma de Peckinpah est définitivement dans l'ADN du cinéaste, et il n'aura pas fallu attendre longtemps avant qu'il ne s'attaque lui aussi au western pour mieux lui offrir autant une renaissance qui tardait à pointer le bout de son nez, que de le débarrasser avec force de ses oripeaux racistes en suivant la voie tracée ces dernières années par Quentin Tarantino (Django Unchained, Les Huit Salopards), via Hostiles, pour lequel il permet une fois n'est pas coutume, à Christian Bale de briller face caméra.



En prenant pour toile de fonds deux sujets brûlants gravés dans les fondements du continent Américain, et dont la résonance avec le gouvernement actuelle est criante de vérité (l'endoctrinement de l'armée et le traitement inhumain des autochtones d'Amérique du Nord), Cooper se réapproprie l'histoire et pose son regard acerbe sur une terre meurtrie où les mots liberté et paix n'ont de sens que pour les hérétiques.
Véritable odyssée homérique aussi mélancolique que rude dans les entrailles des enfers où le danger et la haine de l'autre gangrènent chaque parcelle sableuse et rocheuse d'espaces que l'on jugerait presque interminables, Hostiles, à l'instar du chef-d'oeuvre Danse avec les Loups de Kevin Costner, détourne la fausse image de la fameuse conquête de l’Ouest véhiculée par un septième art jadis complice, pour mieux pointer du doigt avec une violence frontale, les dérives d'une nation entière bâtie sur et par le sang, d'hommes " civilisés " finalement encore plus sauvages que ceux qu'ils exterminent pour les déposséder de leurs terres.
Investi comme jamais, Cooper s'intéresse autant à la déconstruction de l'épopée US triomphante qu'à la culpabilité et les traumas qui rongent une poignée d'êtres épuisés confrontés à leur conscience, de Blocker (Christian Bale, tout en retenue), légende de guerre tourmenté qui a plus de sang sur les mains qu'il ne le voudrait, à Yellow Hawk (Wes Studi, magnifique), chef Cheyenne bouffé par le cancer et un désir de mourir sur ses terres tribales; en passant par Rosalie (Rosamund Pike, lumineuse), femme minée par le deuil et la colère.



Brutal, viscéral, émotionnellement dévastateur, d'un souffle épique et d'une puissance cinématographique rare, pas dénué de quelques défauts (on pourra sans doute lui reprocher une vision assez limitée des Comanches, où même son climax) mais cherchant constamment à rendre chacun de ses plans, d'une beauté sans nom (magnifique travail de Masanobu Takayanagi), férocement inoubliable pour son auditoire; Scott Cooper, toujours aussi cohérent dans son cinéma, fait de son Hostiles un diamant brut à la poésie et à l'humanité aussi sombre qu'intime et enivrante.
Un putain de grand film, et on commence franchement à avoir l'habitude avec le bonhomme...


Jonathan Chevrier