[CRITIQUE] : Fanon



Réalisateur : Jean-Claude Barny
Acteurs : Alexandre Bouyer, Déborah FrançoisStanislas MerharMehdi Senoussi,...
Distributeur : Eurozoom
Budget : -
Genre : Biopic.
Nationalité : Canadien, Luxembourgeois, Français.
Durée : 2h13min

Synopsis :
Frantz Fanon, un psychiatre français originaire de la Martinique vient d’être nommé chef de service à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie. Ses méthodes contrastent avec celles des autres médecins dans un contexte de colonisation.
Un biopic au cœur de la guerre d’Algérie où se livre un combat au nom de l’Humanité.




Avant d’entamer la critique de Fanon de Jean-Claude Barny, il est important de revenir rapidement sur les polémiques autour de la sortie du film. Nombre de spectateurs pointe en avant la faible distribution du long-métrage, dénonçant une forme de boycott de la part des cinémas français. Votre humble auteur n'aurait pas la prétention de se considérer expert dans ces sujets, mais avec ses quelques connaissances, il lui semble essentiel de rappeler que la machine de diffusion d’un film est complexe. Il existe énormément de raisons pour lesquelles un cinéma décide de programmer ou pas une œuvre. Une crainte de faible entrée, une ligne éditoriale différente, mais aussi un manque de place. Il sort entre 15 et 20 films par semaine. Parfois, des choix doivent être faits. C’est malheureux pour les productions, mais il n’y pas grand-chose à faire.

De plus, difficile de parler de boycott pour Fanon quand on sait qu’il est diffusé chez Pathé et UGC (faisant partie des plus importantes chaînes de cinéma). Il a d’ailleurs plusieurs séances à l’UGC Ciné Cité les Halles, à Paris, qui, en 2022, a été reconnu comme le cinéma le plus fréquenté au monde. Et enfin, si le film fait des entrées satisfaisantes, rien n'exclut la possibilité que les autres cinémas le diffusent à leur tour. Il ne tient donc qu’aux spectateurs de faire en sorte que le film soit le plus visible possible.

Copyright Eurozoom

Ceci étant dit, il est temps de passer à la partie importante, et de voir ce que vaut ce long-métrage. Co-production française, québécoise et luxembourgeoise, Fanon s’intéresse à la vie de Frantz Fanon, psychiatre et essayiste français du début du XXe siècle. Il est né et a grandi en Martinique, puis est allé exercer son métier en Algérie. Au cours de ses années de service, il se rapproche du Front de libération nationale, et notamment de Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda, deux figures importantes de la révolution algérienne. Fanon va aussi grandement changer la pratique de la psychiatrie en Algérie en y introduisant des méthodes modernes de sociothérapie ou de psychothérapie institutionnelle. Il est devenu par la suite une figure importante de la lutte antiraciste et décoloniale, malgré une reconnaissance tardive. 

Dans ce film, Jean-Claude Barny se concentre sur la période algérienne de Fanon, allant jusqu’à sa mort, due à une leucémie. Le réalisateur s’intéresse donc principalement à l’implication de Fanon dans la révolution algérienne, mais aussi sur ses écrits anticolonialistes, et notamment la rédaction de son œuvre majeure, Les Damnés de la Terre. La réalisation nous offre donc un film explorant les injustices et atrocités vécues par le peuple algérien, ainsi que les mécanismes coloniaux qu’a exercé la France durant plusieurs siècles.
Un sujet très fort, à la mémoire encore fraîche pour la France et que certains considèrent encore trop sensible. Mais cette dimension importante et complexe est ce qui dessert le long-métrage. Le problème est que malheureusement, les thématiques ont phagocyté le film et toutes ses ambitions de cinéma. Jean-Claude Barny propose un biopic beaucoup trop académique et symptomatique des films chargés politiquement. Il y a très peu d'idées de cinéma intéressantes, donnant une œuvre en pilotage automatique.

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Mais le principal problème vient des dialogues. Déjà, il faut souligner une performance rare, aucune ligne de dialogue n’est correctement servie. On a l’impression de voir des premières années d’écoles de théâtre qui tentent d’insuffler un charisme sur-joué tout en lisant leurs textes. Dans le film, il y a des passages où Frantz Fanon (interprété par Alexandre Bouyer) écrit et récite à voix haute des passages de son livre. Il a donc un ton très linéaire, comme lorsqu’on lit une histoire à un enfant. Il a exactement le même ton durant la quasi-totalité du film. Mais on peut se demander si la performance parfois (souvent) ridicule des acteurs et actrices n’est pas en grande partie due à une écriture d’une lourdeur particulièrement insupportable. Fanon enchaîne les tirades et citations philosophiques, donnant l’impression de voir un étudiant de première année de sociologie réciter ses cours. 

Le plus frustrant est que le film aborde des questions intéressantes et importantes. Il démarre son récit sur la découverte de cet hôpital psychiatrique qui ressemble plus à une prison qu’à un centre de soin. On s’attend donc à ce qu’il traite des traumatismes des citoyens algériens, et de l’exclusion et l’isolement de ces derniers par les autorités françaises. Ou qu’il traite des avancées en psychiatrie faites par Fanon. Mais il balaye très vite ces sujets pour au final, il bascule très vite sur la lutte de Frantz Fanon pour la libération de l’Algérie. Ce n’est pas forcément un problème en soit, mais ça reste une légère déception. Et même dans ce traitement de la question des révoltes et de la guerre d’Algérie, il y a plusieurs passages qui aurait mérité beaucoup plus de développement (“l’endoctrinement” des enfants qui subissent les horreurs de la guerre ou bien les revirements de certains soldats français devant les atrocités commises). Et enfin, les quelques idées de mise en scène ou de symbolisme dans le récit sont beaucoup trop appuyées, rendant le tout particulièrement épais. 

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Fanon aborde une partie de l’histoire française importante et passionnante, mais le film s’est fait dépasser par son sujet. En résulte donc une œuvre trop académique, aux dialogues épais et pompeux, et à l’interprétation franchement discutable. On a plus l’impression de voir une thèse de sociologie lu pendant 2h qu’un vrai récit. 


Livio Lonardi



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