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[ENTRETIEN] : Entretien avec Myriem Akheddiou (On vous croit)

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Elle offre dans On vous croit une des prestations les plus bouleversantes de l’année 2025 : l’actrice Myriem Akheddiou a discuté avec nous de ce rôle qui nécessitait une grande justesse.


C’est un rôle qui a demandé une préparation assez intense. Dès le début du film, la charge émotionnelle de cette femme est très haute et elle ne descend pas pendant toute la durée. Je savais donc que chaque scène devait être intensément émotionnelle. - Myriem Akheddiou


Comment êtes-vous arrivée sur le film ?

En fait, Arnaud Dufeys et moi nous étions déjà rencontrés. Nous avions collaboré pour un très court moment sur un pilote de série pour la RTBF, un projet qui ne s’est pas fait finalement. Cette rencontre était assez chouette et je pense qu’on s’est rendu compte tous les deux que cela matchait, aussi bien humainement qu’artistiquement. J’ai appris par la suite qu’Arnaud pensait déjà à moi en écrivant pour le rôle d’Alice.

Justement, comment avez-vous approché ce rôle ? Il faut en effet un sacré investissement pour celui-ci…

Oui, bien sûr ! C’est un rôle qui a demandé une préparation assez intense. Dès le début du film, la charge émotionnelle de cette femme est très haute et elle ne descend pas pendant toute la durée. Je savais donc que chaque scène devait être intensément émotionnelle. Le tout a été de me préparer, de personnaliser surtout les choses car je ne suis pas Alice. Je suis maman, ce qui a été la première connexion émotionnelle que j’ai faite avec elle comme dans ce besoin de protéger et d’être empêchée de protéger ceux qui lui sont chers. C’est par ça que j’ai pu rentrer dans le rôle. Après, j’ai dû faire tout un travail de personnalisation, fabriquer toute une réalité, un background de blessure, avec aussi un passif pour chacun des personnages intervenant dans l’histoire, dans quelque chose de très concret. Il se trouve que c’est effectivement assez éprouvant comme tournage car ça demande d’être à température assez haute pour chaque scène mais on est bien préparé et on accumule assez d’ingrédients pour être à la température idéale. Je me souviens qu’il y a un moment qui a été primordial : le fait de tourner la première scène du film le premier jour. On était à cet arrêt de tram et je me souviens qu’il y a eu quelque chose à régler vraiment. On l’a refaite, refaite, refaite, … Arnaud venait à chaque fois me voir et essayait de m’aider à être au bon endroit, à mettre le curseur correctement en me demandant constamment d’aller plus haut, au vu de l’épuisement physique du personnage. J’ai dû y réfléchir et l’ai joué assez physiquement. Ça a été une mise au point de départ après la préparation qui a lancé le tournage, qui s’est passé de façon aisée. C’est juste que c’est fatiguant au vu des émotions à gérer mais chaque journée était également une façon de se libérer un peu. L’air s’échappe de la soupape. Chaque scène traversée amène quelque chose qui se lâche.

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Le fait que l’histoire se déroule quasiment en intérieur accentue également ce sentiment éprouvant, d’apnée procuré par le film.

Oui mais c’est aidant aussi pour ce qu’on tourne. On était enfermés dans ce septième étage d’une tour, dans un espace censé être des bureaux mais étant totalement vides et vitrés avec du tapis plein par terre. On était enfermés là-dedans pendant 13 jours en petite équipe. Je crois que ça aide à instaurer ce climat d’enfermement et d’isolement qu’on sent dans le film. C’est aussi quelque chose de poussé par les réalisateur.rice.s , des plans qu’on fait, de la focale qu’on utilise, ce qui est gardé au montage,… C’est très réfléchi pour soutenir ce sentiment qui ressemble à celui que peut ressentir Alice.

Comment décririez-vous la façon de travailler de Charlotte et Arnaud sur le plateau ?

C’est Arnaud qui s’est essentiellement occupé de la question de la direction du casting. Le regard de Charlotte était celui d’une professionnelle avertie, vu qu’elle côtoie le terrain et qu’elle fréquente le milieu, avec ce genre de victimes et de situations. Je pense que son regard a été important sur le tournage pour nous permettre de savoir quand on touchait à quelque chose de juste et réaliste. C’est marrant car on se fait très confiance avec Arnaud, on a la même approche de travail, ce qui est assez technique et dans la popote d’acteurs donc je ne sais pas si c’est intéressant à raconter. On se comprend trop vite et on a le même langage de jeu. Aussi, c’est quelqu’un qui aime comme moi dépasser le présupposé, se laisser la possibilité de faire une prise entière pour checker quel serait l’objectif dans la prise, essayer une autre intention différente plausible, afin de s’étonner. Cela laisse place à la surprise, à l’anti présupposé, et on n’a pas souvent cette chance-là. Le fait ici qu’on ait cette structure et que tout a été mis en place pour faciliter le jeu entre les acteurs et l’émergence de réel, de surprises, d’authentique, de spontané, etc. Tout a vraiment été dans ce sens-là. C’est infiniment facilitant au jeu dans les acteurs, sachant que tout le monde était excellent acteur donc c’était nourrissant. Je sentais que je pouvais proposer, me tromper s’il fallait, qu’il était ouvert, ce qui est extrêmement jouissif et donne confiance en soi.

En ce sens, comment a été le travail avec les jeunes acteurs qui jouent vos enfants ?

Il y a une différence d’âge entre Adèle qui joue Lilas et Ulysse qui joue Émile. Le plus délicat était pour lui qui était plus jeune et n’a jamais joué alors qu’Adèle avait déjà eu une petite expérience de tournage et était donc assez fraîche. Elle est arrivée en plus lors de ce premier jour de tournage, avec cette scène à l’arrêt de tram où elle était à l’arrière-plan sans savoir ce qui allait se passer. Comme on était en équipe réduite dehors avec des vrais trams, c’était une journée un peu compliquée. C’est déjà une actrice fantastique. Je ne sais pas comment elle était dirigée mais je sais qu’avec Ulysse, il a fallu créer un climat de confiance dès les essais pour leur permettre de dépasser leur timidité et leur trac. Une fois qu’Ulysse a été choisi, Arnaud et Charlotte ont mis en place un dispositif pour qu’on se rencontre petit à petit en sachant qu’il y aura des scènes pas faciles à jouer comme l’ouverture, où je dois tirer sur sa capuche, où on se bat quasiment. On a notamment fait des jeux, des impros avec une direction dans la couleur des scènes à jouer. Mais pour faire connaissance physiquement, on a joué, notamment avec un tapis carré dans lequel on était au centre et où je devais faire sortir Ulysse du tapis. On a été vite à fond et ça brise la glace, tout en enlevant la crainte de se toucher.

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Le film a eu une sacrée carrière avant sa sortie, avec des récompenses à Berlin et à Namur. On se rencontre lors d’une avant-première bien remplie. Comment voyez-vous ces premiers retours ?

C’est un petit film qu’on a fabriqué de manière artisanale. Même si ça a été très bien préparé par tout le monde, c’est un petit truc avec un budget réduit. C’est complètement inespéré de se dire qu’on est sélectionné à Berlin et avoir cette pré-carrière avant sa sortie. C’est une carrière d’avertis, de cinéphiles. Maintenant, on va confronter ça au public réel, même s’il y en a en festival. C’est à la fois formidable car on a une vraie reconnaissance de la part de la presse et de jury de professionnels, de gens de métiers. Leur reconnaissance est une vraie satisfaction, une vraie fierté. Il faut maintenant que les gens le voient car c’est important de voir des choses comme ça. Il y a des choses qui doivent changer dans le monde et ce genre de films peuvent aider à changer les regards et les systèmes.

Quel est le dernier point du film sur lequel vous souhaitez éventuellement revenir ?

C’est peut-être dû aux derniers retours que j’ai pu entendre mais c’est un film dont la thématique est poignante, personne ne peut rester indifférent devant sa détresse et c’est important que ce soit porté à l’écran. Mais c’est un objet cinématographique, un bel objet si je me permets, et il ne suffit pas d’une thématique importante pour toucher les gens et savoir la raconter de la meilleure manière. Je trouve qu’avec le peu de moyens, tout a été réfléchi… C’est un film extrêmement audacieux en fait car il a demandé énormément de choix, de décisions importantes et celles-ci ont été radicales. Je suis admirative de ça.




Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à Valérie Depreeuw d’Obrother Distribution pour cet entretien.