[CRITIQUE] : Soundtrack to a Coup d'État
Réalisateur : Johan Grimonprez
Acteurs : Patrice Lumumba, Louis Armstrong, Dizzy Gillespie, Abbey Lincoln, Max Roach,...
Distributeur : Les Valseurs
Budget : -
Genre : Documentaire.
Nationalité : Belge, Français, Hollandais.
Durée : 2h30min
Synopsis :
Jazz, politique et décolonisation s’entremêlent dans ce grand huit historique qui révèle un incroyable épisode de la guerre froide. En 1961, la chanteuse Abbey Lincoln et le batteur Max Roach, militants des droits civiques et figures du jazz, interrompent une session du Conseil de sécurité de l’ONU pour protester contre l’assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo nouvellement indépendant. Dans ce pays en proie à la guerre civile, les sous-sols, riches en uranium, attisent les ingérences occidentales. L’ONU devient alors l’arène d’un bras de fer géopolitique majeur et Louis Armstrong, nommé “Ambassadeur du Jazz", est envoyé en mission au Congo par les États-Unis, pour détourner l'attention du coup d'État soutenu par la CIA...
À une heure où le spectateur lambda (pas forcément le cinéphile, où alors c'est encore plus navrant) se questionne encore sur le fait que le cinéma soit où non politique - ne cherche pas midi à quatorze heures, il l'est -, difficile en revanche d'offrir une réponse aussi simple et catégorique en ce qui concerne la musique, tant la réponse peut tout autant s'avérer positive comme négative selon les exemples choisis.
Parce qu'on a beau être ouvert d'esprit, mais va quand-même falloir creuser très loin pour trouver une once d'esprit politique derrière Qui a du caca kaki collé au cucul de Bébé Charli - attention, on ne t'empêche pas d'essayer.
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Mais la musique est, souvent selon son genre, d'ascendance politique à sa racine (avec des artistes arrivant, plus où moins adroitement, à véhiculer à travers elle, leurs messages), quand bien même elle peut d'autant plus le devenir lorsqu'elle est instrumentalisée à des fins politiques, tant elle est l'art qui, plus que le cinéma et la littérature, peut toucher massivement le monde et faire appel à une multitude d'émotions par la force de quelques notes essentielles.
C'est justement cette notion d'instrumentalisation qui est au cœur du fascinant documentaire Soundtrack to a Coup d'État du cinéaste belge Johan Grimonprez, odyssée géopolitico-musicalo-dynamique (oui, tout ça) et furieusement créative au cœur de l'échiquier politique turbulent d'un monde sous-Guerre Froide, où jazz, politique et décolonisation s'unissent sous les coups de rythmes syncopés, pour former un plaidoyer puissant et éloquent contre la colonisation.
Une union du jazz avec son époque parfaitement logique et cohérente, que ce soit dans le sens même de cette musique, dans l'implication de nombreux musiciens dans la lutte pour les droits civiques où, plus directement, dans l'interruption en 1961 de Max Roach et d'Abbey Lincoln d'une session du Conseil de sécurité de l’ONU (pour protester contre l’assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo nouvellement indépendant et fer de lance d'une liberté qui gênait tout le monde), et l'engagement de certains (notamment Louis Armstrong) comme ambassadeurs de la paix et des valeurs culturelles des États-Unis, titre qui servait couverture pour les opérations de la CIA sur le continent Africain.
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Exploration fouillée et prenante, tout en images d'archives (et joliment chiche en voix-off plombante) savamment choisies et montées, d'un jeu de pouvoir complexe (et encore d'actualité) où la musique comme les artistes, sont instrumentalisés par les gouvernements en place pour consolider les positions américaines - et occidentales - dans l'Afrique postcoloniale (tout en englobant, avec cohérence, le mouvement américain des droits civiques dans son propos); Soundtrack to a Coup d'État retranscrit la symbiose étrangement parfaite entre musique et histoire, au coeur d'un documentaire méticuleux et remarquable, intense et profondément instructif.
La séance jazzy - mais pas que - immanquable de la semaine.
Jonathan Chevrier