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[ENTRETIEN] : Entretien avec Hélène Cattet et Bruno Forzani (Reflet dans un diamant mort)

© Dario Caruso / © UFO Distribution

Une bonne interview repose, la plupart du temps, sur la nature agréable de l’échange avec la ou les personne(s) interrogée(s). Ce fut donc un grand plaisir de discuter avec des esprits aussi vifs et cinéphiles qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani, le duo derrière les remarquables Amer, L’étrange couleur des larmes de ton corps et Laissez bronzer les cadavres. Leur nouveau long-métrage, Reflet dans un diamant mort, s’inscrit ainsi dans leur esthétique visuelle ébouriffante tout en jouant du genre abordé : l’ Euro Spy.

Le concept de base était ce James Bond plongé dans la nostalgie et c’est donc Sunset Boulevard qui a amené ce vrai/faux dont tu parles. Après, le truc est qu’on a aussi été beaucoup influencés à l’écriture par Millenium Actress, où le souvenir de l’actrice était multiple. Il pouvait symboliser plusieurs choses. On a travaillé le film comme ça, avec différentes strates, différents souvenirs : qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? - Bruno Forzani


D’où est née l’idée de Reflet dans un diamant mort ?

Bruno Forzani : De Fabio Testi !

Hélène Cattet : Oui, c’est lui qui est vraiment à l’origine du projet !

B.F. : On avait vu à Off Screen Road to nowhere de Monte Hellman dans lequel il avait un petit rôle. Ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu dans un film et il nous faisait penser à Sean Connery âgé et à Dick Bogarde dans la manière de s’habiller. Du coup, on s’est dit qu’on devrait essayer de faire un Mort à Venise mixé à un James Bond qui est à la retraite et qui repense à son passé.

H.C. : Ça, c’était le noyau.

B.F. : C’était en 2010 ou 2011 qu’on a vu ce film. Entre temps, on a fait les autres films puis après, au fur et à mesure du temps, on s’est nourri de genre et d’autres comme des expos photos. Par exemple, le personnage d’Amanda vient d’une expo photo qu’on avait vue à Bruxelles sur les robes Paco Rabanne.

H.C. : Il y avait aussi une expo sur l’Op Art qui était quand même importante car plein de films Euro Spy s’en sont inspiré.

B.F. : Puis la porte d’entrée était Sunset Boulevard et c’est ça qui nous a permis de faire le film.

H.C. : De trouver tout le cheminement du film.

Vos films sont toujours marqués dans un certain rapport de perception de l’image, la quête d’une visibilité absolue, passant ici par les gadgets comme la robe miroir ou la bague laser. À quel point est-ce important pour vous de jouer sur ce rapport de perception dans vos titres qui sont toujours hyper sensitifs et vivants ?

H.C. : C’est drôle car quand tu dis « perception », je ne vois pas ça que comme l’image (rires).

Effectivement ! (rires)

H.C. : Effectivement, on montre beaucoup mais on ne met pas la lumière sur tout (rires). On laisse aussi une grande part d’ombre pour que chaque spectateur fasse la lumière comme il veut. Du coup, c’est marrant ce truc de perception car, d’un côté, j’ai l’impression qu’on exacerbe beaucoup justement chaque détail sensoriel pour qu’il y ait une perception démultipliée…

B.F. : Une surréalité.

H.C. : Exactement, pour construire une espèce de surréalité, mais qu’ensuite, de toute façon, il faille quand même interpréter ! (rires) C’est donc drôle ce jeu de lumières et d’ombres dans cette perception.

B.F. : Ça me fait rebondir sur autre chose, sans savoir si ça a un lien. Quand tu parles des gadgets, on a remarqué que, dans tous nos films, il y a un truc où on essaie de pénétrer l’intérieur de la tête de l’autre. Il y a un truc par rapport à l’intimité qui était toujours violée d’une certaine manière. Je ne sais pas pourquoi, je relis ça à ta question (rires).


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C’est un lien intéressant en effet ! (rires)

H.C. : C’est vrai qu’il y a toujours une espèce d’incompréhension dans les personnages qui cherchent à comprendre l’autre. Ça passe avec cette bague dans le film, sans trop en dire. Croire qu’on peut comprendre l’autre avec un gadget, c’est… oui ! (rires)

C’est justement intéressant car le film est très marqué par la mémoire à double tranchant du personnage, sans trop en dévoiler également. Ça explose encore plus dans ce film qui joue constamment sur le vrai/faux.

B.F. : Le concept de base était ce James Bond plongé dans la nostalgie et c’est donc Sunset Boulevard qui a amené ce vrai/faux dont tu parles. Après, le truc est qu’on a aussi été beaucoup influencés à l’écriture par Millenium Actress, où le souvenir de l’actrice était multiple. Il pouvait symboliser plusieurs choses. On a travaillé le film comme ça, avec différentes strates, différents souvenirs : qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? On s’est servi des Eurospy, des films très pops et psychédéliques qui représentaient le monde d’une manière édulcorée et fausse. On a utilisé tout ça pour parler du passé du héros, ainsi que d’autres supports comme la bande dessinée et le roman photo, pour explorer au fur et à mesure cette mémoire défaillante. En préparant le film, on est tombés peu de temps avant le tournage sur The Father avec Anthony Hopkins où tu as aussi ce truc à la mémoire qui se mélange. Je ne sais pas si ça répond à ta question ! (rires)

C’est une très bonne réponse !

H.C. : En tout cas, pour moi, ce qui me plaisait aussi avec ce côté vrai/faux, c’est que, même si on ne sait plus à un certain moment ce qui est vrai ou faux pour le personnage, on se retrouve vraiment dans sa peau. Tout est vrai pour lui donc on peut le voir aussi comme ça car c’est son parcours.


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C’est une nouvelle collaboration avec le chef opérateur Manu Dacosse. Sur quels points avez-vous échangé dans la conception de ce film ? Je pense au bleu de la mer qui ressort hyper fort.

B.F. : Pour nous, c’était un film bleu. Hélas, on a eu parfois des problèmes de météo qui en faisaient un film gris ! (rires) Par exemple, la séquence de poursuite dans le repère de Serpentik en a souffert.

H.C. : Il ne faisait pas beau, c’était au moment d’une de ces fameuses tempêtes méditerranéennes dues à la crise climatique.

B.F. : Ce qui rejoignait une des thématiques du film.

H.C. : Après ça, on a dû vraiment intégrer le mauvais temps dans le film.

B.F. : On a dû changer complètement le découpage de cette séquence-là parce que les endroits n’étaient plus accessibles, tout était submergé.

H.C. : Pour le reste, on voulait vraiment que ce film soit d’un bleu très bleu. Avec Manu, on a beaucoup travaillé le bleu mais surtout l’éclat, le reflet, par exemple sur la mer. On voulait l’éclat des flots.

B.F. : Avec le soleil, il y avait une forme de reflet dans l’eau semblable à un diamant donc on a essayé de tourner à ces moments-là.

H.C. : Comment faire vivre ces éclats ? Parfois, on se demandait comment les éteindre. On a beaucoup joué avec Manu sur les brillances et aussi le côté difracté mais également avec des faux diamants.

B.F. : Quand il a lu le scénario, Manu a dit « Ah ben là, il y a tous les effets possibles et inimaginables ! » (rires). Donc il était comblé, il avait du travail !

H.C. : Il a beaucoup bossé en effet ! (rires)

En parlant de découpage, il y a une séquence de bagarre dans un bar, « Le pirate », le tout coupé en deux parties. Y a-t-il moyen de revenir un peu sur cette scène ?

B.F. : C’était la séquence…

H.C. : Challenger.

B.F. : C’est ça, la séquence star du film car, même en termes de tournage, c’est quatre jours de prises de vue dans un décor en studio où tout pouvait être cassé. L’air de rien, une grosse partie du budget est passée dans cette séquence. C’est la première fois qu’on faisait une séquence de bagarre et on voulait vraiment la réaliser. Au début, on a commencé à chercher un chorégraphe. On avait été en contact avec Gareth Evans, derrière les deux The Raid qu’on adore, et son chorégraphe. Puis, on s’est rendu compte au fur et à mesure que ce n’était peut-être pas la bonne méthode. En fait, un chorégraphe refait le découpage et nous avions déjà tout en tête. Finalement, on s’est dit que c’était comme les scènes de meurtre qu’on avait tournées sauf que c’est avec 8 personnes. Du coup, on a fait comme pour nos autres films cette séquence un matin, en l’ayant prédécoupée avec des copains et Thi-Mai (Nguyen) qui joue Serpentik. Puis on a vu que ça fonctionnait avec juste quelques trucs à ajuster. Ce qui nous embêtait le plus, c’était au niveau de l’espace. C’est bête mais on devait penser au fait que telle personne se faisait tuer avant et qu’il fallait la replacer dans le décor. Comme ils sont 8 en tout (2 premiers puis 6), on devait se demander où intervenait un des personnages et voir où les poser.

H.C. : Cette question de l’espace était vraiment la plus difficile à gérer.

B.F. : Après, le reste a été plutôt facile. La scène était déjà splittée en deux dans le scénario.

H.C. : On voulait la couper à un moment clé pour embêter les gens ! (rires) Du coup, c’était ce choix de se dire que, pour que la réalisation de ce moment-là ne soit pas différente du reste du film, il fallait qu’on la fasse nous-mêmes. C’est pour ça qu’on a pris un coordinateur plutôt qu’un chorégraphe, pour la sécurité.

B.F. : On avait vu à la Cinémathèque Hou Hsiao-Hsien, qui avait fait The Assassin, et il avait eu le même truc car il avait commencé à travailler avec des chorégraphes mais il ne trouvait jamais le ton juste par rapport au reste du film donc il a préféré tourner ça lui-même.

Le travail sur le mixage sonore est quelque chose d’également remarquable dans vos films. Comment se passe cette étape pour vous ?

H.C. : Sur le tournage, on ne prend pas de son donc une fois qu’on a le montage, on n’a aucun son. C’est comme un film d’animation et on passe par un bruiteur qui bosse pendant 10 jours sur tous les sons du film en plus des comédiens qui viennent faire leurs respirations. S’ils ne font pas ça, ils sont trop bizarres : on n’entend pas qu’ils respirent mais s’ils ne respirent pas, on l’entend ! On fait tout hyper précisément avec le monteur son pendant 3 mois. C’est toute une création sonore qui nous permet de travailler hyper précisément la perception sonore qu’on veut, tout ce qu’on veut que le spectateur perçoive. On fait des couleurs particulières pour chaque séquence. On réfléchit aux teintes à adopter, parfois plus métalliques, on joue beaucoup avec les textures pour qu’il y ait vraiment ce côté sensoriel.

B.F. : Et tout ça grâce au bruiteur. Tout le film est un travail de bruitage. Tout ce truc de texture…

H.C. : C’est le bruiteur qui choisit les matières. Parfois, ça n’a rien à voir avec la matière à l’écran mais ça permet aussi de jouer, de faire parfois des caresses, d’ajouter des petits sons autres, … Ça permet d’être subtil dans ce qu’on veut faire percevoir aux spectateurs sans qu’ils ne s’en rendent compte. C’est vraiment inconscient.

B.F. : Du coup, le bruiteur regarde le premier montage muet du film, on discute et, selon les intentions sonores qu’on a, il va aller chercher aux puces ou dans son stock des objets qui vont sonner dans les intentions du film et il y a toute une recherche dans son grand bordel. Il arrive avec une camionnette remplie de trucs poussiéreux (rires) mais qui sonnent comme on demandait. C’est donc tout un travail fascinant avec Olivier Thys, qui a fait tous nos films, comme Dan (Daniel Bruylandt) qui est notre monteur son. Lui travaille sur le sound design, l’ambiance, …

H.C. : Il donne toute une musique, une atmosphère sonore au film.

B.F. : Le fait que le montage soit muet fait que, comme sur tout film muet, il y a une musicalité de l’image. Ça aide aussi le son à devenir musical malgré lui.

H.C. : C’est-à-dire que ce sont les images qui donnent la musicalité au film mais jamais l’inverse. En tout cas, on n’est jamais clipesque dans le sens où la musique n’influe jamais sur le montage.


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Est-ce que vous avez revu certains Eurospy pour reprendre l’ambiance ou plutôt dans le souvenir du genre ?

H.C. : Oui, plutôt dans le souvenir.

B.F. : En plus, les Eurospy, c’est une espèce d’univers global. On aime bien par exemple « OK Connery » avec le frère de Sean Connery, Neil Connery, mais tu n’as pas comme dans le giallo ou le western des séquences incroyables qui ressortent, ce n’est pas un cinéma de mise en scène. C’est plus un univers global.

H.C : C’est un univers psyché, pop et édulcoré.

B.F. : On en a regardé quelques-uns mais ça ne nous a pas…

H.C. : Ça nous a juste confirmé des idées. On est partis de ce genre de films car ils montrent des images fausses du monde, une image un peu naïve de monde en surabondance, de luxe où tout est accessible. C’était cette image édulcorée qui nous apparaissait intéressante à développer en contraste avec le présent. C’est pour ça que notre point de départ était cet univers pop et totalement illusoire. Aussi, dans les films qu’on a vus, il y avait ce côté Op Art, l’art de l’illusion optique, avec des jeux de reflets, de miroirs. Il y avait quand même ce côté exubérant. On partait plus de l’univers Eurospy que d’un truc précis.

B.F. : Nos comédiens nous ont demandé aussi s’il fallait en voir et on leur a dit que non, ils devaient jouer de manière premier degré. On ne voulait pas d’ironie par rapport au genre.

H.C. : On ne voulait pas qu’ils aient un recul sur leur rôle mais qu’ils soient vraiment des personnages de ces genres.

La figure de Serpentik est passionnante car vos films sont constamment hantés par des figures féminines qui marquent durablement et confrontent les figures masculines dans leurs retranchements, comme dans Laissez bronzer les cadavres.

H.C. : C’est vrai qu’il y a une forme de continuité avec ce personnage, c’est un chouette parallèle. On va encore plus loin on va dire. C’est l’antagoniste, ce personnage masqué qui constitue la quête insaisissable du héros.

B.F. : C’est comme on en parlait tout à l’heure, on veut voir l’intérieur de la personne et notre héros veut continuellement voir qui se cache derrière le masque.

H.C. : Du coup, elle peut représenter différentes choses au fur et à mesure du film. Elle le met face à différentes formes de quête.

B.F. : C’est comme effectivement dans Laissez bronzer les cadavres où on était dans un récit linéaire avec ce personnage fantomatique qui amenait le fantastique, qui ouvrait le film sur différentes choses, et c’est pareil avec Serpentik. On s’est basés sur des romans photos, Killing, sur un super-vilain masqué, portant une combinaison squelette. Il y a eu 13 épisodes si je ne me trompe pas et on ne savait pas qui était le comédien derrière le masque. Le numéro 13 devait justement révéler qui était l’acteur mais il a été censuré.

H.C. : Personne n’a jamais su qui était ce comédien.

B.F. : On s’est inspirés de cette petite histoire pour le personnage de Serpentik.


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Comment avez-vous vécu la sélection du film à la Berlinale ?

H.C. : C’était génial ! J’avoue que la projection était mémorable. Il y avait une ambiance électrique dans la salle, les gens étaient hyper réactifs. On entendait les rires, les applaudissements, … On était agréablement surpris ! (rires)

B.F. : Ça nous faisait plaisir car on veut donner du plaisir aux gens et voir ça dans une salle de 2000 personnes…

H.C. : C’est exactement pour ça qu’on a fait ce film, pour ce moment collectif, un vrai moment de cinéma tous ensemble.

B.F. : On ne pouvait pas rêver mieux ! (rires)

Quel est le point du film sur lequel vous souhaitez clôturer cette interview ?

B.F. : On a parlé de Fabio Testi au début mais, pour nous, ce film est aussi sur la destruction du monde, de la beauté, avec un personnage qui aime la planète mais la détruit. Pour nous, c’était un sujet contemporain avec un langage du passé, ancien. C’est pour cela que ce n’est pas un hommage à un genre mais que ça parle d’un sujet qui est traité de cette manière-là.


Propos recueillis par Liam Debruel

Merci à Heidi Vermander de Cinéart pour cet entretien.