[CRITIQUE] : Le système Victoria

Réalisateur : Sylvain Desclous
Acteurs : Damien Bonnard, Jeanne Balibar, Cédric Appietto, Antonia Buresi,...
Distributeur : The Jokers Films
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Français.
Durée : 1h41min.

Synopsis :
Directeur de travaux, David est à la tête du chantier d’une grosse tour en construction à La Défense. Retards insurmontables, pressions incessantes et surmenage des équipes : il ne vit que dans l’urgence. Lorsqu’il croise le chemin de Victoria, ambitieuse DRH d’une multinationale, il est immédiatement séduit par son audace et sa liberté. Entre relation passionnelle et enjeux professionnels, David va se retrouver pris au piège d’un système qui le dépasse.

Critique :

#LeSystèmeVictoria, embaumé dans une ambiance savoureusement oppressante, se fait un thriller complexe et troublant sous fond de désir et de transfuge de classes, qui fait joliment fit de sa prévisibilité malgré quelques longueurs. Solide tandem Damien Bonnard/Jeanne Balibar. pic.twitter.com/QWP5nxawlJ
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) March 5, 2025

On était de ceux à avoir sensiblement aimé le second long-métrage de fiction du cinéaste et documentariste Sylvain Desclous, De grandes espérances (qui n'avait de Dickens que le titre), sorti un brin dans l'ombre au printemps 2023, une péloche au cuir complexe qui peut se voir autant comme un thriller politico-social sous-tension mâtiné de romance avortée, qu'un drame dynamique façon plongée au plus près des moeurs et des manoeuvres politiques et économiques des élites.

Le tout enrobé d'un passionnant portrait de femme déterminée et complexe, pure héroïne de tragédie grecque ambigüe et captivante dans ses rêves de porter une vision idéaliste de la politique (comme un vecteur de changement social, le véhicule d'un espoir sain et ambitieux d'un lendemain meilleur... soit en total contradiction avec la vision réelle que l'on peut s'en faire aujourd'hui), dont le cinéaste scrutait avec justesse et empathie autant la détermination révolutionnaire que la détresse émotionnelle.

Son nouvel effort, Le Système Victoria - une adaptation du roman éponyme d'Éric Reinhardt - s'inscrit totalement dans le même mouvement et avec la même écriture aussi ciselée qu'habile (qui ne renie jamais ses élans romanesques), mais avec une nuance de taille sur le papier : un pendant masculin et non féminin, frappé à la fois du même idéalisme mais aussi et surtout de la même détermination à s'accomplir professionnellement et intimement, quitte à accumuler les dilemmes humains et moraux.

A ceci près que la figure centrale ici, David (un excellent Damien Bonnard), ex-architecte frustré à la tête du chantier d’une grosse tour en construction à La Défense, engoncée dans une position délicate et ambigüe tant il est soumis à un ordre établi qui l'oblige à moult sacrifices et compromis, tout autant qu'il use et abuse de sa stature, malgré la droiture évidente qui le caractérise, pour exploiter plus faible que lui et mener à bien ce symbole artificiel du capitalisme.
Un prisonnier autant qu'un (petit) bourreau du système.

Un statut de dominant-dominé qu'il va étrangement répercuter dans sa dynamique amoureuse et charnelle avec une mystérieuse et brillante femme, Victoria (une Jeanne Balibar toujours aussi insaisissable en femme fatale), DRH issue des hautes sphères du business international; une relation tout en manipulation et en prédation où elle, personnification glaciale du capitalisme sauvage et exacerbé (comme sa sexualité, qu'elle assume sans réserve), incarnera, évidemment, la face dominante du tandem et celle qui dévore l'autre.

Subtile observation d'un monde du travail - ici les milieux du bâtiment et de la construction de luxe - au plus près des élites sous fond de désir et de transfuge de classes, qui laisse autant de questions que de tenants en suspens, Le Système Victoria, embaumé dans une ambiance savoureusement oppressante, se fait un thriller prenant et percutant qui fait joliment fit de sa prévisibilité malgré quelques longueurs, un morceau de cinéma complexe et troublant tant il est totalement en phase avec son époque.

Jonathan Chevrier