[CRITIQUE] : Nickel Boys
Réalisateur : RaMell Ross
Avec : Ethan Herisse, Brandon Wilson, Hamish Linklater, Fred Hechinger, Daveed Diggs,…
Distributeur : Amazon Prime Vidéo France
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h24min
Synopsis :
Elwood Curtis est un garçon noir du Tallahassee des années 1960. Il est injustement condamné. Il est envoyé dans une maison de redressement pour mineurs appelée Nickel Academy...
Critique :
Drame brut qui ne cède jamais aux élans du sentimentalisme putassier, #NickelBoys est une sacrée claque narrativement dévastatrice et artistiquement audacieuse, sous fond de réquisitoire fiévreux sur les vérités d'une nation US où l'éveil social semble toujours aussi compromis. pic.twitter.com/hyZXpHFMdD
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) February 27, 2025
Il y a quelque chose d'ironique, où de tragique c'est selon, dans l'idée que les meilleurs films originaux du catalogue Prime Vidéo (qui se comptent sur les doigts d'une main méchamment amputée, on est d'accord) mériteraient justement de ne pas y figurer et d'atterrir dans nos salles obscures - comme outre-Atlantique, finalement.
Et dans cette rachitique liste, Nickel Boys, estampillé premier long-métrage de fiction de l'artiste, photographe et documentariste RaMell Ross (l'excellent documentaire Hale County This Morning, This Evening), adapté du roman éponyme de Colson Whitehead - lauréat du prix Pulitzer -, est clairement tout en haut, et dont les points de concordance avec le puissant La Zone d'intérêt vont bien au-delà de l'anecdotique : tout comme le film de Jonathan Glazer, il se fait une adaptation littéraire artistiquement audacieuse qui vient bousculer son auditoire tout en offrant une perspective nouvelle, vivifiante, à un sujet ô combien complexe et difficile.
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Qu'on se le dise, comme son ainé britannique, Nickel Boys n'a pas vocation à être un film facile ni à réconforter son spectateur, il le prend pas le col pour mieux lui jeter la noirceur de l'humanité en pleine poire, déterre l'horreur d'hier sans une once de nostalgie pour mieux nous confronter à la cruelle vérité qu'elle ne nous a jamais réellement quitté, et qu'elle va continuer de nous hanter encore longtemps.
Vivante et d'une honnêteté rare, l'histoire, entre deux temporalités, se fait avant tout celle d'Elwood Curtis, môme intelligent et fervant croyant autant des paroles du Dr. King que des valeurs d'une nation qui n'aura pourtant de cesse de l'en exclure.
Une petite mésaventure l'amènera dans un centre de redressement public, la Nickel Academy, où la cruauté et les violences qui y règnent sont les fondements aussi durs et impénétrables que les briques des murs qui soutiennent sans honte l'édifice.
Là-bas, il fera la connaissance de Turner, qui a abandonné son innocence depuis longtemps et qui a compris que la survie naît dans sa résilience autant que dans sa capacité à courber l'échine car à la Nickel Academy, tout n'est qu'une question de souffrance...
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Laissez la fausse impression que peut laisser ce court résumé, qui inscrit presque le film dans l'ombre des bondieuseries carcéro-sirupeuses purement Hollywoodiennes : non, il n'y a pas de discours motivants voire inspirants sur l'adversité où une quelconque quête de sens qui se niche derrière toute survie.
Nickel Boys est une tragédie tout aussi poétique que coup de poing qui s'expurge intelligemment de toute catharsis ronflante et artificielle, pour nous faire ressentir visuellement et viscéralement la souffrance et l'injustice d'un destin brisé parmi des milliers d'autres, de nous faire pleinement ressentir la brutalité du passé qui vient ronger les os du présent.
Son utilisation du point de vue à la première personne est dès lors non pas un gadget où un caprice expérimental, mais bien une vraie exigeance cinématographique (tout comme le plus perfectible Presence de Steven Soderbergh, d'autant qu'ils font totalement échos aux les instincts de documentariste de Ross) pour pleinement nous placer dans l’esprit d’Elwood à des moments clés de la narration (sensiblement à des moments où il réalise, férocement, que son idéalisme est voué à l'échec), un parti pris venant appuyer la délicatesse qu'ont RaMell Ross et sa co-scénariste Joslyn Barnes de jouer la carte de la retenue, de laisser vivre les silences comme respirer les émotions, de traiter des traumatismes sans rendre son propos (trop) facilement décelable.
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Si l'on pourra tiquer sur quelques petites panouilles (notamment le fait que le personnage de Turner est uniquement développé comme un contrepoint à Elwood), difficile pourtant de ne pas prendre en pleine poire cette critique fiévreuse et déchirante de tout un système, le réquisitoire douloureux d'une violence cyclique et d'une quête de justice impossible au coeur d'une nation où l'éveil social semble toujours aussi compromis.
Un drame à la vérité brute qui ne cède jamais aux élans du sentimentalisme putassier, et qui est totalement mué par l'envie sincère de rétablir les réalités d'une histoire que l'on a trop vite tendance à enterrer, pour ne plus s'y confronter.
LA claque du moment que l'on a pas vu venir.
Jonathan Chevrier