[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #157. Wild at Heart
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#157. Sailor et Lula de David Lynch (1990)
Que nous reste t-il maintenant, si ce n'est que de célébrer feu David Lynch à travers des écrits sur sa merveilleuse et foisonnante oeuvre, lui qui a été capable de déconstruire la notion de genre, voire même le cinéma lui-même, pour servir la vision hypnotique de son concept d'Americana.
Se pencher sur la filmographie de ce qui restera, à jamais, l'un des plus grands cinéastes surréalistes du XXe siècle, est donc au-delà d'un objectif sain, une aventure incroyable et magnifique qui ne souffrira jamais de l'épreuve du temps.
Tourné entre deux saisons de Twin Peaks - dont le spectre hante merveilleusement chaque recoin du cadre -, basé sur un bouquin de Barry Gifford et primé du Saint-Graal cannois des mains mêmes d'un habitué des polémiques, Bernardo Bertolucci (sans doute au panthéon des Palme d'Or les plus " scandaleuses " de l'histoire, pour un versant fragile de la critique), Sailor & Lula - dont on préfèrera le titre original, Wild at heart -, a tout du versant perverti et expurgé de toute innocence du Magicien d'Oz, itinéraire d'une utopie perdue dont la carcasse marginale, profondément anti-culturelle dans une industrie ricaine encore capable de jouer la carte d'un entre-deux créatif, incarnait l'une des pierres essentielles d'un vrai/faux nouvel Hollywood alternatif, porté par des cinéastes s'éloignant - en partie - des grosses majors et ne craignant jamais de raconter leurs propres histoires marquées par leurs propres personnalités, leurs propres humeurs.
L'ouverture du film est presque une note d’intention, une profession de foi : un feu ardent et vivant, le symbole même de la vie, d'une fureur irrépressible et inarrêtable, d'une passion qui ravage tout, même ceux qui la vivent.
S'en suit le couple titre, Sailor Ripley (un Nicolas Cage en plein virage Nic Cage des 90s) et Lula Pace Fortune (une Laura Dern plus à tomber que jamais), amoureux fou l'un de l'autre, qui descendent les marches d'un escalier dans une grande salle de Cape Fear, vite rejoint par un homme engagé par la mère de la jeune femme, pour tuer Sailor.
Monumentale erreur, Sailor fait s'abattre sur lui toute sa rage, à la fois pour sauver sa propre existence mais aussi comme pour envoyer un message clair, net et mortel : la victime supposée peut être un bourreau dans la violence, et rien ni personne ne le séparera de l'élue de son cœur (pas même une mère qu'il pointera du doigt, en sueur, après en avoir fini avec ce qui aurait pu être son assassin), qui n'a de cesse de crier de désespoir son nom, apeurée à l'idée de le perdre.
Tout Sailor & Lula est là, dans cette poignée de secondes excessives, brutales et littéralement surexcitées, où un Lynch n'a jamais peur de heurter son auditoire à une violence à la fois mature et sourde, sanglante et - presque - gratuite : comme chez David Cronenberg, la chair est aussi bouillante et périssable que l'âme, le mal est partout et se fait même nourrir par les liens du cœur et du sang.
En ce sens, Marietta Fortune est peut-être le visage du Mal ultime chez le cinéaste, un personnage sauvage et psychopathe à la fois, boursouflé de pouvoir et de haine viscérale; une sorte de Méchante reine de Blanche-Neige qui n’accepte pas la dure vérité du temps et ce qui va contre sa volonté (tout un symbole malsain que la magistrale Diane Ladd, soit elle-même la mère de Laura Dern dans la vraie vie).
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#157. Sailor et Lula de David Lynch (1990)
Que nous reste t-il maintenant, si ce n'est que de célébrer feu David Lynch à travers des écrits sur sa merveilleuse et foisonnante oeuvre, lui qui a été capable de déconstruire la notion de genre, voire même le cinéma lui-même, pour servir la vision hypnotique de son concept d'Americana.
Se pencher sur la filmographie de ce qui restera, à jamais, l'un des plus grands cinéastes surréalistes du XXe siècle, est donc au-delà d'un objectif sain, une aventure incroyable et magnifique qui ne souffrira jamais de l'épreuve du temps.
Tourné entre deux saisons de Twin Peaks - dont le spectre hante merveilleusement chaque recoin du cadre -, basé sur un bouquin de Barry Gifford et primé du Saint-Graal cannois des mains mêmes d'un habitué des polémiques, Bernardo Bertolucci (sans doute au panthéon des Palme d'Or les plus " scandaleuses " de l'histoire, pour un versant fragile de la critique), Sailor & Lula - dont on préfèrera le titre original, Wild at heart -, a tout du versant perverti et expurgé de toute innocence du Magicien d'Oz, itinéraire d'une utopie perdue dont la carcasse marginale, profondément anti-culturelle dans une industrie ricaine encore capable de jouer la carte d'un entre-deux créatif, incarnait l'une des pierres essentielles d'un vrai/faux nouvel Hollywood alternatif, porté par des cinéastes s'éloignant - en partie - des grosses majors et ne craignant jamais de raconter leurs propres histoires marquées par leurs propres personnalités, leurs propres humeurs.
Allstar/Cinetext/Polygram |
L'ouverture du film est presque une note d’intention, une profession de foi : un feu ardent et vivant, le symbole même de la vie, d'une fureur irrépressible et inarrêtable, d'une passion qui ravage tout, même ceux qui la vivent.
S'en suit le couple titre, Sailor Ripley (un Nicolas Cage en plein virage Nic Cage des 90s) et Lula Pace Fortune (une Laura Dern plus à tomber que jamais), amoureux fou l'un de l'autre, qui descendent les marches d'un escalier dans une grande salle de Cape Fear, vite rejoint par un homme engagé par la mère de la jeune femme, pour tuer Sailor.
Monumentale erreur, Sailor fait s'abattre sur lui toute sa rage, à la fois pour sauver sa propre existence mais aussi comme pour envoyer un message clair, net et mortel : la victime supposée peut être un bourreau dans la violence, et rien ni personne ne le séparera de l'élue de son cœur (pas même une mère qu'il pointera du doigt, en sueur, après en avoir fini avec ce qui aurait pu être son assassin), qui n'a de cesse de crier de désespoir son nom, apeurée à l'idée de le perdre.
Tout Sailor & Lula est là, dans cette poignée de secondes excessives, brutales et littéralement surexcitées, où un Lynch n'a jamais peur de heurter son auditoire à une violence à la fois mature et sourde, sanglante et - presque - gratuite : comme chez David Cronenberg, la chair est aussi bouillante et périssable que l'âme, le mal est partout et se fait même nourrir par les liens du cœur et du sang.
En ce sens, Marietta Fortune est peut-être le visage du Mal ultime chez le cinéaste, un personnage sauvage et psychopathe à la fois, boursouflé de pouvoir et de haine viscérale; une sorte de Méchante reine de Blanche-Neige qui n’accepte pas la dure vérité du temps et ce qui va contre sa volonté (tout un symbole malsain que la magistrale Diane Ladd, soit elle-même la mère de Laura Dern dans la vraie vie).
Et l'amour passionné entre Lula et Sailor va définitivement contre celle-ci.
Elle est le mal incarné, celui que les deux amants doivent fuir avant de le confronter, celui qui donne la vie et cherche à donner la mort dans un monde où tout lui est permis, un univers malsain, méphistophélien, peuplé de criminels de toutes sortes où un Lynch cabotin n'articule pas qu'un simple simple road movie allant d'un point A à un point B, mais bien un voyage introspectif tournant autour du point A : à la fois le Mal - au féminin - Alpha et l'amour avec un grand A.
Elle est le mal incarné, celui que les deux amants doivent fuir avant de le confronter, celui qui donne la vie et cherche à donner la mort dans un monde où tout lui est permis, un univers malsain, méphistophélien, peuplé de criminels de toutes sortes où un Lynch cabotin n'articule pas qu'un simple simple road movie allant d'un point A à un point B, mais bien un voyage introspectif tournant autour du point A : à la fois le Mal - au féminin - Alpha et l'amour avec un grand A.
Car c'est en apprenant plus de vérités sur eux-mêmes, leurs propres corps et sur l'expression de leur amour - sexuelle comme dialectique -, en partageant chacun sa propre intimité, qu'ils arriveront à survivre ensemble à cet enfer de sang, de cris et de larmes qui n'est ni édulcoré pour eux, et ne doit absolument pas l'être pour le spectateur.
Moviestore/Shutterstock |
Un road movie qui n'est pas pensé comme tel, même si les deux héros arpentent les routes poussiéreuses et ensoleillées du sud-est des États-Unis, mais bien comme un Rise and Fall romantico-kitsch et instable nourrit par les plus profondes obsessions du cinéaste, où la chair est bestiale et déformée, où il est urgent de vivre même si l'on fonce sans frein vers une mort certaine, et où il ne faut jamais s'éloigner de l'amour - uniquement s'il est pur et vrai.
Si Sailor & Lula s'inscrit dans la parfaite continuité de Blue Velvet et Twin Peaks, il se fera dans le même mouvement, le précurseur d'une maturité Lynchienne qui explosera à la fois dans le tout aussi conspué Fire Walk with Me, mais aussi et surtout dans le monumental Mulholland Drive.
Sailor & Lula est une merveilleuse ode embrasée et furieuse à la liberté et à l'amour, habitée par deux âmes aussi torturées qu'amoureuses, lancées sur l'autoroute du spleen dérangé et dérangeant par un cinéaste halluciné, qui s'en va imbiber d'essence tout le pays d'Oz pour mieux le remodeler à son image : baroque, kitsch, surréaliste et sauvage.
C'est fou combien David Lynch va nous manquer...
Jonathan Chevrier
Si Sailor & Lula s'inscrit dans la parfaite continuité de Blue Velvet et Twin Peaks, il se fera dans le même mouvement, le précurseur d'une maturité Lynchienne qui explosera à la fois dans le tout aussi conspué Fire Walk with Me, mais aussi et surtout dans le monumental Mulholland Drive.
Love me tender, love me sweet,
Never let me go,
You have made my life complete,
And I love you so.
Sailor & Lula est une merveilleuse ode embrasée et furieuse à la liberté et à l'amour, habitée par deux âmes aussi torturées qu'amoureuses, lancées sur l'autoroute du spleen dérangé et dérangeant par un cinéaste halluciné, qui s'en va imbiber d'essence tout le pays d'Oz pour mieux le remodeler à son image : baroque, kitsch, surréaliste et sauvage.
C'est fou combien David Lynch va nous manquer...
Jonathan Chevrier