Breaking News

[CRITIQUE] : La voyageuse


Réalisateur : Hong Sang-soo
Acteurs : Isabelle Huppert, Lee Hye-young, Kwon Hye-hyo,...
Distributeur : Capricci Films
Genre : Drame.
Nationalité : Sud-coréen.
Durée : 1h30min

Synopsis :
Iris a récemment débarqué à Séoul. Pour faire face à ses difficultés financières, cette femme, qui semble venir de nulle part, enseigne le français à deux sud-coréennes avec une méthode bien à elle.




Critique :



L'affirmation est facile, peut-être vulgaire d'une certaine manière, mais gageons qu'il n'y a pas de cinéma comme celui de l'orfèvre sud-coréen Hong Sang-soo, qui repose de manière aussi obsessionnelle sur la réitération insistante de situations, de rôles, de personnages, de schémas narratifs presque similaires - puisque marqués par d'infimes nuances/variations essentielles -; dite formule qui d'une manière assez miraculeuse, ne s'étiole pas de film en film, n'éreinte jamais son auditoire.
Un miracle donc, où la preuve irréfutable d'une maestria sans nulle pareille.

Si les réunions Berlinoises et Cannoises ne seraient rien - où presque - sans leur dose " Sang-sooienne " régulière, il est obligé d'admettre que les salles obscures ne s'en sortirait pas forcément mieux sans leur double, voire triple, séances annuelles, selon les aléas de la distribution.

Copyright Capricci Films

Plus prolifique qu'un Fassbinder à son époque, le bonhomme nous revient avec une nouvelle merveille, La Voyageuse, qui vient draguer sur de près comme de loin ses fantastiques La Femme qui s’est enfuie et La Romancière, le film et le heureux hasard, notamment le second où il opérait une déconstruction délicate et affûtée des mécanismes artistiques, à travers l'idée qu'une âme artiste puisse se transformer où, potentiellement, se réaffirmer au gré du temps et de rencontres décisives : il suit la même théorisation de la pureté de l'artiste face à la professionnalisation, où comment une personne motivée par un authentique besoin artistique (ou ici, linguistique, même si la notion d'art est presque aussi importante que le langage et la nature elle-même), peut s'avérer plus pertinente encore que ceux en ayant fait leur métier.

Savoureuse comédie de mœurs clouée aux basques d'une Isabelle Huppert à la fois merveilleusement spectrale et d'une candeur rafraîchissante (elle était déjà une voyageuse dans son In another country, auquel le film correspond également), Iris, une mystérieuse française qui vient d'on ne sait où et sur qui on ne sait rien (si ce n'est qu'elle donne des cours de français par le truchement étrange de la langue de Shakeaspeare, avec des méthodes venues d'un autre temps), le cinéaste la suit au gré de ses rencontres/cours où elle agit telle une enchanteresse, moins comme une professeure qu'une artiste à la tête rempli de nuages ​​et dont la façon de penser est totalement impénétrable.

Si les deux premières parties se concentrent sur les leçons enseignées par Iris (des cours ou il y a, justement, trop peu de discours pour être des cours traditionnels et non absurdes, mais aussi et surtout un poil trop d'inconfort pour que le tout soit embaumé dans quelque chose de réellement amical), la troisième s'attache à conter l'intimité de cette femme à travers sa relation avec son amant - mais pas que -, en appuyant encore un peu plus ses talents de portraitiste de l'inconfort silencieux, où sa mise en scène volontairement statique ne fait qu'appuyer la maladresse, drôle et touchante, de ses personnages.

Copyright Capricci Films

D'une modestie mais surtout d'une simplicité trompeuse, avec une pincée de nostalgie et de mélancolie baignant dans un shot de makgeolli (le soju n'est plus de son âge), Hong Sang-soo n'enfoncera pas de nouvelles portes avec La Voyageuse, mais il se glisse avec une grâce folle dans celle qu'il a déjà entrouverte pour mieux nous perdre dans sa poésie.
Un cinéma de l'instant pur par un cinéaste qui sublime la banalité de la vie, tout simplement.


Jonathan Chevrier