[CRITIQUE] : The Flats
Réalisatrice : Alessandra Celesia
Acteurs : -
Distributeur : Les Alchimistes
Genre : Documentaire.
Nationalité : Irlandais, Britannique, Français, Belge.
Durée : 1h54min
Synopsis :
Dans sa tour HLM de New Lodge, Joe met en scène des souvenirs de son enfance vécue durant les « Troubles » conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce quartier catholique de Belfast. Jolene, Sean, Angie et d’autres voisins se joignent à lui pour revisiter leur mémoire collective, qui a façonné leur vie et leur quartier.
Critique :
Le cinéma peut-il être vu comme une thérapie ? Une partie du documentaire d'Alessandra Celesia suggère la question, en tout cas. Au coeur de cette idée, il y a Joe McNally, né dans la cité nommée New Lodge et y vivant toujours. Il a vécu l'épisode des Troubles en Irlande du Nord. Ce conflit ayant opposé durant plus de trois décennies les loyalistes majoritairement protestants, aux républicains majoritairement catholiques. Joe est un républicain catholique, vivant dans cette cité catholique de Belfast. Et il est encore hanté, traumatisé, perturbé par les événements du passé. La violence résonne encore en lui, et en d'autres membres de la communauté catholique de la cité (survivant-e-s ou descendant-e-s). The Flats a ainsi l'ambition de parler du passé avec la période des Troubles, tout en témoignant de l'état d'esprit du présent – avec les conditions de vie qui en découlent.
Le récit et le dispositif d'Alessandra Celesia reposent sur une thérapie. Celle de laquelle éclot des souvenirs, des traumatismes, des inquiétudes, des colères. Le tout dans une solitude affective. Joe confie même à la femme qui l'interroge qu'il continue de percevoir le monde, et de penser au passé, avec son regard d'enfant de 9 ans. A partir de cette thérapie, la cinéaste trouve le pont nécessaire pour (re)visiter le passé, pour l'évoquer. Quand bien même l'idée de rejouer des souvenirs et traumatismes du passé est une méthode thérapeutique valable, le film propose une multitude de reconstitutions. Une part de fiction s'invite donc au documentaire. Celle où des acteurs & actrices jouent le rôle de Joe, et des autres personnes composant le film, au temps des Troubles. S'ajoutent à des reconstitutions par la fiction (fonctionnant dans le récit comme des continuités aux souvenirs verbalisés) des images d'archives. Au-delà de ce que ces séquences cherchent et révèlent des expériences vécues, elles sont également une traduction esthétique de la mémoire, ou comment des événements du passé finissent progressivement par ne devenir que des images n'existant que dans l'esprit. D'une certaine manière, comment la perception individuelle d'expériences passées est une sorte de fiction éparse, au fur et à mesure que le temps file.
L'une des reconstitutions les plus émouvantes n'est pas un événement anodin. Il s'agit de funérailles, incluant la veillée funéraire, de l'oncle de Joe. Tué lorsque ce-dernier n'avait que 17 ans. Joe a dû porter le cercueil avec d'autres personnes. Puis, le cercueil est réutilisé pour autre chose. Sans rien dévoiler de cette scène surprenante, il est clair ici que la mort est une partie importante du film. Outre cette idée de mise en scène, il y a l'idée de Joe de faire une grève de la faim pour protester contre le trafic de drogue dans la cité. Il ressort de cette thérapie, et de ce dialogue entre passé / présent, entre images fictives / images documentaires, la mort de soi et la mort de toute chose. D'autant qu'en parallèle de l'histoire de Joe, la cinéaste Alessandra Celesia rencontre Jolene, une jeune chanteuse victime de sexisme et de violence conjugale. La mort est partout, que ce soit au passé ou au présent. Le dispositif de la thérapie permet ainsi de chercher ce qui reste de tous ces souvenirs, de cette époque des Troubles. Parce qu'il en reste définitivement des traces.
Les souffrances du passé perdurent, à la fois en tant que souvenirs et parfois en tant que cicatrices physiques, jusqu'à cohabiter avec celles du quotidien présent. De même que les survivant-e-s cohabitent, dans ce même endroit que dans le passé, parfois comme voisin-e-s. The Flats est quasiment construit comme une fable sur une communauté, car il n'a de cesse de revenir au collectif malgré les informations individuelles qui se cumulent. Tel le bar où chante Jolene, ou les espaces naturels où se promène Joe, ou les interactions anodines de voisinage. Jusqu'à entendre la très belle phrase « notre victoire sera le sourire de nos enfants ». Bien que les traumatismes et les souffrances persistent et restent pour hanter ces personnes, la recherche de ce qui reste de tout ce passé est aussi une manière de sonder l'héritage (et la transmission envers les jeunes générations) comme une part d'identité (locale et nationale). Alessandra Celesia concrétise aussi esthétiquement cette question de l'héritage, en opposant les couleurs et lumière froides du présent avec un semi filtre bleu pour les archives.
Toutefois, le dispositif a de frustrant de ne pas chercher à prendre son temps pour explorer cet environnement (la cité, la proximité de voisinage entre certaines personnes). Le choix des plans ne permet pas de voir ces fameux appartements donnant leur titre au film dans leurs détails (dans ce qu'ils disent d'une identité, d'un traumatisme), et ne permet pas non plus de voir le paysage de Belfast qui s'est transformé à travers les décennies (il est mentionné que la communauté catholique a dépassé en nombre la communauté protestante). Ce choix dans le dispositif thérapeutique provoque cela dit un sentiment de suffocation et de claustrophobie, qui pourrait correspondre à l'impossibilité de se détacher émotionnellement des expériences vécues dans le passé. Mais aussi parce que ces personnes s'identifiant à une communauté n'arrivent pas à s'identifier pleinement à une identité irlandaise. Il faut alors retenir que tous ces plans serrés sont une invitation à dialoguer avec l'intime, à retrouver la place de l'affect personnel au sein d'une Histoire collective. Et s'il faut retenir aussi quelque chose de la thérapie, ce serait que les souvenirs ne disparaissent jamais véritablement – peu importe leur impact positif ou négatif. Parce que les souvenirs façonnent une identité et un caractère en constante constructions.
Teddy Devisme
Acteurs : -
Distributeur : Les Alchimistes
Genre : Documentaire.
Nationalité : Irlandais, Britannique, Français, Belge.
Durée : 1h54min
Synopsis :
Dans sa tour HLM de New Lodge, Joe met en scène des souvenirs de son enfance vécue durant les « Troubles » conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce quartier catholique de Belfast. Jolene, Sean, Angie et d’autres voisins se joignent à lui pour revisiter leur mémoire collective, qui a façonné leur vie et leur quartier.
Critique :
Parlant du passé avec la période des Troubles tout en témoignant de l'état d'esprit du présent,#TheFlats est quasiment construit comme une fable sur une communauté, car il n'a de cesse de revenir au collectif malgré les informations individuelles qui se cumulent. (@Teddy_Devisme) pic.twitter.com/TplhyFc8fr
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 24, 2025
Le cinéma peut-il être vu comme une thérapie ? Une partie du documentaire d'Alessandra Celesia suggère la question, en tout cas. Au coeur de cette idée, il y a Joe McNally, né dans la cité nommée New Lodge et y vivant toujours. Il a vécu l'épisode des Troubles en Irlande du Nord. Ce conflit ayant opposé durant plus de trois décennies les loyalistes majoritairement protestants, aux républicains majoritairement catholiques. Joe est un républicain catholique, vivant dans cette cité catholique de Belfast. Et il est encore hanté, traumatisé, perturbé par les événements du passé. La violence résonne encore en lui, et en d'autres membres de la communauté catholique de la cité (survivant-e-s ou descendant-e-s). The Flats a ainsi l'ambition de parler du passé avec la période des Troubles, tout en témoignant de l'état d'esprit du présent – avec les conditions de vie qui en découlent.
Le récit et le dispositif d'Alessandra Celesia reposent sur une thérapie. Celle de laquelle éclot des souvenirs, des traumatismes, des inquiétudes, des colères. Le tout dans une solitude affective. Joe confie même à la femme qui l'interroge qu'il continue de percevoir le monde, et de penser au passé, avec son regard d'enfant de 9 ans. A partir de cette thérapie, la cinéaste trouve le pont nécessaire pour (re)visiter le passé, pour l'évoquer. Quand bien même l'idée de rejouer des souvenirs et traumatismes du passé est une méthode thérapeutique valable, le film propose une multitude de reconstitutions. Une part de fiction s'invite donc au documentaire. Celle où des acteurs & actrices jouent le rôle de Joe, et des autres personnes composant le film, au temps des Troubles. S'ajoutent à des reconstitutions par la fiction (fonctionnant dans le récit comme des continuités aux souvenirs verbalisés) des images d'archives. Au-delà de ce que ces séquences cherchent et révèlent des expériences vécues, elles sont également une traduction esthétique de la mémoire, ou comment des événements du passé finissent progressivement par ne devenir que des images n'existant que dans l'esprit. D'une certaine manière, comment la perception individuelle d'expériences passées est une sorte de fiction éparse, au fur et à mesure que le temps file.
Copyright Les Alchimistes |
L'une des reconstitutions les plus émouvantes n'est pas un événement anodin. Il s'agit de funérailles, incluant la veillée funéraire, de l'oncle de Joe. Tué lorsque ce-dernier n'avait que 17 ans. Joe a dû porter le cercueil avec d'autres personnes. Puis, le cercueil est réutilisé pour autre chose. Sans rien dévoiler de cette scène surprenante, il est clair ici que la mort est une partie importante du film. Outre cette idée de mise en scène, il y a l'idée de Joe de faire une grève de la faim pour protester contre le trafic de drogue dans la cité. Il ressort de cette thérapie, et de ce dialogue entre passé / présent, entre images fictives / images documentaires, la mort de soi et la mort de toute chose. D'autant qu'en parallèle de l'histoire de Joe, la cinéaste Alessandra Celesia rencontre Jolene, une jeune chanteuse victime de sexisme et de violence conjugale. La mort est partout, que ce soit au passé ou au présent. Le dispositif de la thérapie permet ainsi de chercher ce qui reste de tous ces souvenirs, de cette époque des Troubles. Parce qu'il en reste définitivement des traces.
Les souffrances du passé perdurent, à la fois en tant que souvenirs et parfois en tant que cicatrices physiques, jusqu'à cohabiter avec celles du quotidien présent. De même que les survivant-e-s cohabitent, dans ce même endroit que dans le passé, parfois comme voisin-e-s. The Flats est quasiment construit comme une fable sur une communauté, car il n'a de cesse de revenir au collectif malgré les informations individuelles qui se cumulent. Tel le bar où chante Jolene, ou les espaces naturels où se promène Joe, ou les interactions anodines de voisinage. Jusqu'à entendre la très belle phrase « notre victoire sera le sourire de nos enfants ». Bien que les traumatismes et les souffrances persistent et restent pour hanter ces personnes, la recherche de ce qui reste de tout ce passé est aussi une manière de sonder l'héritage (et la transmission envers les jeunes générations) comme une part d'identité (locale et nationale). Alessandra Celesia concrétise aussi esthétiquement cette question de l'héritage, en opposant les couleurs et lumière froides du présent avec un semi filtre bleu pour les archives.
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Toutefois, le dispositif a de frustrant de ne pas chercher à prendre son temps pour explorer cet environnement (la cité, la proximité de voisinage entre certaines personnes). Le choix des plans ne permet pas de voir ces fameux appartements donnant leur titre au film dans leurs détails (dans ce qu'ils disent d'une identité, d'un traumatisme), et ne permet pas non plus de voir le paysage de Belfast qui s'est transformé à travers les décennies (il est mentionné que la communauté catholique a dépassé en nombre la communauté protestante). Ce choix dans le dispositif thérapeutique provoque cela dit un sentiment de suffocation et de claustrophobie, qui pourrait correspondre à l'impossibilité de se détacher émotionnellement des expériences vécues dans le passé. Mais aussi parce que ces personnes s'identifiant à une communauté n'arrivent pas à s'identifier pleinement à une identité irlandaise. Il faut alors retenir que tous ces plans serrés sont une invitation à dialoguer avec l'intime, à retrouver la place de l'affect personnel au sein d'une Histoire collective. Et s'il faut retenir aussi quelque chose de la thérapie, ce serait que les souvenirs ne disparaissent jamais véritablement – peu importe leur impact positif ou négatif. Parce que les souvenirs façonnent une identité et un caractère en constante constructions.
Teddy Devisme