[ENTRETIEN] : Entretien avec Souheila Yacoub (Planète B)
Jens Koch/Berlinade // Les Films du bal/Wrong men |
Après avoir été au casting
monumental de Dune : Deuxième partie, Souheila Yacoub
retrouve rapidement la science-fiction avec Planète B, le nouveau
long-métrage d’Aude-Léa Rapin. Venue présenter le film au FIFF, l’actrice a
accepté de se prêter à l’exercice de l’interview avec une grande convivialité.
Je rentre en France, je passe les essais, je re-rencontre Aude-Léa avec qui je discute de mes idées vu que j’ai enfin lu le scénario et ça a été un petit coup de cœur entre nous. Et c’est comme ça que je suis arrivée sur le film ! - Souheila Yacoub
Comment êtes-vous arrivée sur ce
projet ?
C’était assez classique, dans le
sens où j’ai reçu le scénario d’une directrice de casting et de la
réalisatrice. C’était à un moment où je jouais régulièrement au théâtre et je
venais d’avoir la confirmation que j’allais jouer dans Dune, ce
qui me faisait partir peu de temps après. J’ai donc reçu ce scénario en disant
que je n’aurais pas le temps de le lire et que j’étais trop stressée. On m’a
proposé une rencontre avec la réalisatrice. Mais quand j’ai vu Aude-Léa, je
n’avais rien lu, ce qui ne m’arrive jamais car je trouve ça un peu
irrespectueux de rencontrer quelqu’un sans avoir lu son travail. C’était un
rendez-vous raté qui m’a donné beaucoup de regrets. Là, je pars entamer le
tournage de Dune en me rendant compte que j’ai finalement trouvé
mes marques et que j’ai énormément de temps pour moi. Je relis ce scénario et
je me dis immédiatement que c’est extraordinaire tout en me demandant comment
j’ai pu passer à côté. J’envoie tout de suite un message à la directrice de
casting en l’implorant pour savoir si le rôle de Nour a déjà été pris. Elle me
dit qu’ils ne sont pas encore sûrs donc je lui dis que je suis prête à passer
tous les castings qu’elle veut car je voulais ce rôle. Je rentre en France, je
passe les essais, je re-rencontre Aude-Léa avec qui je discute de mes idées vu
que j’ai enfin lu le scénario et ça a été un petit coup de cœur entre nous. Et
c’est comme ça que je suis arrivée sur le film ! (rires)
Comment est-ce que vous décririez
Aude-Léa en tant que réalisatrice ?
Déjà, c’est quelqu’un qui vient
du journalisme et ça change énormément de choses par rapport au propos qu’elle
veut défendre dans le film. Elle gère son sujet, elle est passionnée par son
film, donc je me sens en confiance aveugle avec elle, notamment par rapport à
Nour. C’est un personnage qui est assez loin de moi, qui est une ex journaliste
irakienne qui a voulu fuir son pays pour se faire oublier et qui arrive en France.
Quand Aude-Léa me parle, je suis fascinée car elle a étudié son sujet et c’est
vraiment une vraie passion qu’elle a. En plus, sur le plateau, elle est d’une
écoute, d’une douceur, d’une gentillesse énorme. J’aime tout le temps faire des
prises différentes (rires), au-delà du sujet parce que j’adore partir dans des
états différents pour mieux comprendre le personnage. Est-ce qu’elle serait
énervée sur cette phrase ? C’est trop évident donc pourquoi ne pas la
faire s’énerver avant ? J’aime tout ce qui est technique et la musicalité.
Au début, on a pris un jour ou deux pour s’apprivoiser, sachant qu’elle a
commencé le travail avec Adèle avant ainsi que les autres activistes du film. Adèle
a un jeu très différent du mien donc on a dû trouver le même diapason mais ça
s’est trop bien emboité. Aude m’a donné après une liberté de jeu que j’adore.
Comment vous êtes-vous approprié
ce rôle et justement cette différence de jeu avec Adèle ?
C’est naturel, des codes de jeu
que certaines personnes ont. Comme tous les acteurs, l’important est que
l’alchimie soit là et qu’on ait envie de défendre le même film. C’était le cas
avec Adèle. J’ai oublié ça mais on a eu des répétitions ensemble, je m’en suis
rappelé tout à l’heure. C’était six mois ou un an avant le tournage car on
avait des projets ensuite à l’étranger et on ne pouvait pas se voir par la
suite. On a fait pas mal de lectures ensemble. J’ai aussi été très proche
d’Aude-Léa parce que je joue un personnage qui ne parle pas français, vient
d’un autre pays et avec une trajectoire beaucoup plus de l’ordre de la
solitude. Sa vie est détruite en début de film mais elle va retrouver espoir
grâce aux autres personnages. Donc j’ai beaucoup travaillé avec Aude-Léa et un
ami à elle qui a cette trajectoire-là, un irakien qui a dû fuir pour certaines
raisons et qui est en France. Elle sait donc de quoi elle parle aussi avec la
trajectoire de Nour. Vu que je ne parlais pas l’arabe, j’ai dû l’apprendre pour
le rôle et il m’a beaucoup appris. J’ai essayé d’être à la hauteur pour
raconter un petit bout de son histoire.
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Le film est très engagé
politiquement. Comment percevez-vous cet engagement sur certaines thématiques,
que ce soit le rapport à l’état policier ou le rapport d’une confiance à
recréer entre individus ?
C’est vrai que ça fait peur avec
ce film-là quand on pense qu’on n’est pas passé loin de la catastrophe en
France. En vrai, on l’est un peu. C’est une époque qui est très dure, où les
gens n’ont plus trop de nuances ou d’écoute. Wajdi Mouawad, un metteur en scène
avec qui j’ai travaillé et que j’adore, m’a dit qu’être nuancé, c’est être
radical. La radicalité, c’est la nuance aujourd’hui. On est un peu dans ce
monde-là, qui est effrayant. Mais dans des moments de grande peur comme ça où
un extrême peut arriver au pouvoir et qu’il y a un changement totalitaire qui
fait peur, il y a bizarrement une grosse forme de solidarité qui se crée. Ça
rapproche énormément de gens. Je trouve que c’est ça qui est beau aussi dans ce
film-là alors qu’on pourrait penser qu’à un moment donné, c’est chacun pour sa
gueule, mais en fait non. Souvent, il y a des moments d’entraide. Je pense à
autre chose en ce moment : j’avais fait un film sur une crise écologique
et il y avait cet homme, Pablo Servigne, qui avait dit pendant le Covid qu’il y
a eu de grands moments de solidarité pendant les grandes crises mondiales. Je
pense que c’est ça qu’il faut retenir aussi dans ce film : c’est avec la
solidarité que l’on gagne. Tout seul, on n’est rien.
Quelle est votre propre
perception de la science-fiction au cinéma ?
J’adore que ça existe ! Je
suis allée en Tunisie cet été pour voir ma famille et je suis tombée sur les
décors du premier Star Wars dans le désert tunisien. Je me suis dit que c’est
quand même un film des années 70 et c’est extraordinaire l’imagination de
l’ordre de l’enfance que ça demande. La science-fiction est pour moi de l’ordre
de l’enfance. Ça n’existe pas donc il faut l’inventer mais pour pouvoir
l’inventer, il faut être super créatif. Il n’y a rien de plus créatif que la
science-fiction ! C’est extraordinaire à regarder. Ce n’est pas un cinéma
qui me parle dans la vie de tous les jours. Je suis moins touchée par ce genre
de films que par d’autres genres mais jouer dedans, c’est extraordinaire, tout
simplement ! (rires)
De manière plus générale,
pensez-vous que votre expérience de gymnaste vous aide dans votre rapport au
corps dans votre jeu ?
Ce qui m’aide, ce n’est peut-être
pas forcément dans mon rapport au corps car je suis une retraitée de gym qui ne
fait pas de sport. Donc je suis devenue une flemmarde énorme ! (rires) C’est
plutôt au niveau du mental. Aujourd’hui, je suis une flemmarde mais si on
m’appelle demain pour un film très physique, d’action ou guerre, j’ai mon côté
soldate gymnaste qui va être très disciplinée… si on me demande de le
faire ! Ce qui m’aide, dès que c’est professionnel, je retrouve les
réflexes d’avant, être rigoureuse dans ce que je veux faire mais ce n’est pas
forcément physique. Par exemple, dans la série No man’s land,
dont la saison 2 va bientôt sortir, je joue une combattante kurde. Donc ce
n’est pas seulement le physique mais aussi la langue. Dans toute la série, je
ne parle que le kurde alors que je ne le suis pas et que je n’ai jamais parlé
kurde de ma vie. J’ai donc paniqué comme pas possible quand j’ai reçu les
scènes. J’ai dit « Attendez, vous croyez que je suis capable d’apprendre
une langue en une semaine ? ». Là, je me suis dit que je n’avais pas
le choix et j’ai travaillé à fond. C’est ce côté-là qui m’aide dans mes années
de gym mais concernant mon physique… (rires)
Est-ce qu’on peut parler un peu
du travail avec Denis Villeneuve sur Dune : deuxième
partie ?
Denis, c’est vraiment quelqu’un…
Moi qui ne suis pas une grande fan de science-fiction comme je vous en parlais
-malgré le travail extraordinaire qu’il y a derrière- Denis arrive à me la
faire aimer. Il a quelque chose en plus dans la façon dont il travaille. Il est
très sincère. Premier contact est un de mes films préférés.
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Moi aussi !
Je ne sais pas comment on peut
faire pour écrire quelque chose d’aussi brillant. La rencontre entre un extraterrestre
et une mère… C’est tellement beau. Il arrive à rajouter de la poésie dans plein
de choses. Pour ça, Denis est extraordinaire. En plus d’être aussi talentueux,
il est tellement passionné. Je me souviens -et je dis ça sans me plaindre car
j’étais super contente sur le plateau- qu’il y a des moments où ça faisait 4, 5
mois qu’on n’était plus revenus en France, avec la famille qui nous manque, il
fait 55 degrés dans le désert, … Et lui, tous les jours, il est tellement
heureux et il nous rappelle à quel point on a de la chance de faire ça. Quand
on voit aujourd’hui comme la vie est tellement difficile, on se dit « Putain,
mon métier, c’est de jouer ». Rien que le mot « jouer » :
je suis payée pour jouer. Ça, Denis en est totalement conscient, il embrasse ce
monde et il s’en sert, pas seulement pour lui, mais pour le monde extérieur. Il
veut partager des émotions fortes aux gens. Une fois, on tournait dans une
grotte lors d’une journée super chaude en Jordanie, il était tellement excité
qu’il s’est cogné la tête ! (rires) C’est aussi quelqu’un de très à
l’écoute. Ce n’est pas parce qu’on fait un gros film qu’on est obligés d’être
méchant et de gueuler. Il est doux et calme. Je n’ai que du bien à dire sur
lui !
Est-ce qu’on peut aussi revenir
sur le travail avec Noémie Merlant par rapport à son nouveau film, Les
femmes au balcon ?
C’est une proposition artistique
comme Planète B, super forte et nouvelle en France. Les
femmes au balcon est dans la même veine et en même temps l’opposé
total : c’est un film coloré, burlesque, vivant, dynamique, … Même le code
de jeu part dans tous les sens. C’est la première fois que je joue ce genre de
rôle que j’attendais aussi depuis longtemps car il n’a rien à voir avec tout ce
que j’ai fait jusqu’à maintenant. Juste pour ça, j’ai hâte qu’il sorte et que
les gens le voient ! Je suis fan de ce film. Ce qui est génial avec
Noémie, c’est qu’elle l’a écrit avec Céline Sciamma mais elle a tenu à ce qu’on
participe toutes à son écriture, notamment Sandra Codeanu, qui est la troisième
actrice du film. Noémie a beaucoup écrit pour elle car elles se connaissent
mais quand je suis arrivée, on a creusé ensemble Ruby, elle m’a laissé une
liberté folle. J’ai réécrit des scènes avec elle. Même au niveau du look, je
suis allée encore plus loin que ce qu’elle avait comme image. Je ne voulais pas
que ce soit une caricature. Pour ça, Noémie m’a laissé quartier libre !
(rires) C’était donc super jouissif.
Propos recueillis par Liam Debruel.
Merci à l’équipe du FIFF pour cet
entretien.