[ENTRETIEN] : Entretien avec Ray Yeung (Tout ira bien)
Quel plaisir c’est pour une personne qui aime le cinéma de se faire cueillir par un titre émouvant comme Tout ira bien. Sortant en Belgique sous son titre original, All shall be well, ce film permet de raconter l’amour d’un couple lesbien âgé à Hong Kong, confronté à un drame. Il nous paraît alors évident d’en discuter avec son réalisateur, Ray Yeung, venu présenter son nouveau long-métrage au Film Fest Gent.
À Hong Kong, il y a des centaines de films produits chaque année. Pourtant, quand on les regarde de plus près, on en a peut-être une vingtaine qui parlent de personnes lesbiennes sur les 70 ou 80 dernières années. Et parmi ceux-ci, au moins une dizaine ont été produits pour une audience masculine. - Ray Yeung
Pourriez-vous nous raconter l’origine du film Tout ira bien ?
Ray Yeung : En 2020, j’ai participé à une conversation à Hong Kong. C’était une discussion sur l’héritage des droits LGBTQIA+ pour les habitants de Hong Kong. L’animateur a raconté diverses histoires qui se rapprochent de celle de mon film : des couples du même genre qui ont été ensemble pendant des années et, lorsque l’un d’entre eux décède, l’autre doit gérer les problèmes avec sa famille concernant l’héritage. J’ai donc demandé à l’animateur de me présenter à certaines des personnes évoquées dans ce genre de cas. C’est après leur avoir parlé que j’ai décidé d’écrire mon script, en m’inspirant de leurs histoires.
Il y a une forme de tabou au cinéma dans la représentation de couples âgés, d’autant plus quand il s’agit de membres de la communauté LGBTQIA+. Quelle importance est-ce que cela avait pour vous de mettre ces personnes en avant ?
Oui, c’est important. Pour commencer, à Hong Kong, il y a des centaines de films produits chaque année. Pourtant, quand on les regarde de plus près, on en a peut-être une vingtaine qui parlent de personnes lesbiennes sur les 70 ou 80 dernières années. Et parmi ceux-ci, au moins une dizaine ont été produits pour une audience masculine. C’est donc très rare d’avoir des films pour les femmes et la communauté lesbienne. Je me suis d’abord dit qu’il y avait un grand manque de représentation en ce sens. Je pense ensuite qu’il est très important de montrer des personnes d’un certain âge comme dans Tout ira bien. Je pense qu’il est très rare, même en Occident, d’avoir des films impliquant des femmes d’un certain âge, encore moins quand elles sont lesbiennes. Ce n’est pas non plus une histoire sur le coming out ou de femmes mariées qui sont bien avancées dans leur vie avec leurs maris avant de découvrir qu’elles sont lesbiennes. Non : elles vivent ensemble depuis des années et n’ont pas de soucis ou de honte à revendiquer leur amour. Mais c’est la société qui rend leur vie difficile.
Le film prend le temps d’installer la dynamique entre Angie et Pat ainsi que leurs relations avec leurs familles. Comment est venu ce besoin de les laisser vivre et respirer avant la perte ?
Je pense que c’était très important d’établir ça dans le film. Comme je vous l’ai dit, on ne voit pas beaucoup ce genre de représentation. Donc je ne voulais pas le dramatiser ou trop en faire. La première fois qu’on les voit, elles ne sont pas assises ensemble sur la plage à se câliner car cela ne me paraît pas réaliste après 40 ans de mariage de ne pas être en confiance par rapport à elles. Je ne voulais pas trop montrer une passion forte du coup de foudre au premier regard mais plutôt installer que leur relation dure depuis un moment et que cette affection se fait sans mots. Vous n’avez pas besoin de mots pour exprimer ce sentiment, ça se joue entre certaines choses et ça installe un confort car je voulais aussi présenter leur logement, que leur appartement a quelque chose de cosy. Tout ça était important pour développer cette atmosphère. Pour moi, le confort naît régulièrement du silence, quand vous êtes assis tranquillement avec quelqu’un dans le calme. Ce genre de confort ne se crée pas du jour au lendemain, il y a besoin de temps pour le ressentir.
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C’est intéressant car ça va dans la manière dont vous montrez, ou plutôt ne montrez pas, la perte de Pat. C’est représenté par un silence, toujours dans ce processus de cette affection en ressentant plutôt la perte que montrer le décès.
Oui, je pense que c’est important de ne pas tout donner aux spectateurs en permanence. On a vu pendant des années tant de films et de séries télévisées qui montrent ce genre de scène et si peu paraissent authentiques. Nous n’avons pas tous vécu ce genre de drame et les personnes qui l’ont vécu vous diront que cela ne paraît pas réel. Je ne voulais pas tomber dans ce genre de dramatisation qui risquait de rendre cette scène fausse. J’ai donc voulu laisser le public ressentir cet instant selon sa propre expérience. Je lui fais confiance et le pense être assez intelligent et avoir assez de vécu personnel pour recevoir les informations que je lui donne et compléter le reste. C’est important pour moi que le public participe au film, non pas de manière totalement passive en étant juste assis à recevoir les informations que je lui donne. C’est bien mieux qu’ils soient actifs pour qu’ils amènent leurs propres imaginations et expériences pour compléter l’histoire et faire du film un souvenir à part entière, pas juste un instant de divertissement.
Comment vous voyez-vous face à ces thématiques sur le deuil et notre rapport à l’amour perdu ?
Personnellement, je n’ai pas vécu ce genre de drame mais j’ai interviewé pas mal de personnes qui ont vécu cela. Je crois que c’est le genre de choses où on ne peut pas totalement parler car chacun a sa manière de faire son deuil. Pour notre film, on ne pouvait en représenter qu’une et espérer que le public saurait se l’approprier pour poser son regard sur sa propre façon de faire son deuil. En termes d’isolement et d’aliénation, je crois qu’être une personne gay et asiatique qui vit en Occident depuis sa jeunesse confère ce genre de sentiment que je ne peux exprimer totalement. Être une personne d’origine chinoise et gay qui grandit au Royaume-Uni est une expérience qui provoque un certain isolement car on ne peut pas totalement s’intégrer, que ce soit de l’intérieur car on est gay ou de l’extérieur car on est asiatique. Ces sentiments d’isolement nous poussent à penser que personne ne nous comprend, tout comme la difficulté à être vu comme une personne comme les autres. En tout cas, ce sont des sentiments que j’essaie d’exprimer.
Quelles ont été vos conversations avec votre chef opérateur, notamment sur le traitement de la lumière qui diminue avec la perte ?
Je pense que Ming Kai Leung et moi avons discuté de cela dès le début. Nous voulions que le film dégage un sentiment très chaleureux avant le décès de Pat et aussi que la caméra soit plus fluide. On voit mieux les décors, il y a quelque chose de toujours lumineux à l’image et quand on les voit jouer, la caméra bouge beaucoup autour d’elles. Une fois que Pat décède, on voulait que les couleurs soient bien plus froides. On a également tourné avec beaucoup de décors de fond pour que tout le monde soit plus enfermé, pas seulement Angie mais également les autres membres de la famille. On a souhaité ajouter des coins, une dureté dans le cadre. Nous avons essayé volontairement d’avoir ce contraste.
Le film voyage beaucoup à travers les festivals, comme ici à Gand. Quelle est votre réaction concernant les premiers retours sur le film ?
Hier, on a eu un Q&A qui a duré 25 minutes avec beaucoup de questions de la part des spectateurs et ça fait énormément de bien. Bien sûr, on s’inquiète car l’histoire est très spécifique dans le fait qu’elle se déroule à Hong Kong, s’ancre dans une certaine culture ainsi qu’au rapport spécifique de notre système légal. On peut voir que le public se retrouve dans certains points comme la façon de faire son deuil mais aussi dans les différences et disputes qu’on peut avoir avec les membres de notre famille. Souvent, après les projections, les gens viennent me voir et me racontent leur propre histoire. Elles ne viennent pas régulièrement de la communauté LGBTQIA+ comme cette femme dans la soixantaine qui m’a raconté que c’est arrivé à sa mère. Quand elle est décédée, sa famille a dû gérer toutes ces choses comme les disputes et la division. Je pense donc que c’est très universel.
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S’il y avait une chose du film que vous auriez voulu creuser plus en interview, qu’est-ce que ce serait ?
S’il y a quelque chose que tout le monde me demande, c’est ce que je tirerais de mon histoire. Je dirais que c’est de faire un testament car les gens n’en font plus beaucoup. Lors d’un Q&A, j’ai demandé à une salle de 300, 400 personnes qui a fait un testament et seulement deux ont levé la main. On ne veut pas s’y confronter évidemment car c’est quelque chose de déprimant à aborder, mais on peut y réfléchir de façon plus romantique. C’est une lettre d’amour à votre moitié et le jour où vous n’êtes plus là, cela leur permet de voir que vous continuez à vous préoccuper de leurs intérêts. C’est difficile de changer la loi quand on a un pays qui n’accepte pas le mariage entre personnes du même genre et d’autres décident de ne pas se marier, ce qui les empêche de se protéger légalement. C’est donc une chose très simple à faire pour montrer à vos proches que vous vous préoccupez d’eux même après votre départ.
Merci à Marie-France Dupagne de Vedette et à l’équipe de FilmFestGent pour cet entretien.